Le corps humain et la gloire de la fragilité

Un peu de théologie, L’Oasis n°7 : La résurrection de la chair.

Notre corps, lieu d’expériences relationnelles et spirituelles est périssable mais a une vocation et un devenir surprenants.

Comment parler de la chair aujourd’hui alors que deux affirmations centrales de la foi nous interpellent : Jésus qui dit en Saint Jean « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » et le symbole des Apôtres qui nous demande de croire à la « résurrection de la chair » ? Dans la tradition biblique, la chair (qui inclut l’esprit) est création divine animée par le souffle de Dieu qui « vit que cela était très bon » . Dans la pensée grecque, la chair participe de la matière qui nous éloigne de l’âme et du monde des idées. La tradition chrétienne qui se nourrit de la pensée juive a dû s’exprimer dans la culture grecque et assumer une certaine contradiction. Nous avons hérité ainsi d’un langage qui parfois peut surprendre et prêter à confusion.

Un corps qui met en relation

Il nous faut d’abord redonner toute sa valeur au corps humain – chef d’œuvre de la création. Ce corps doit être l’objet du plus grand respect dès la conception. Il est inaliénable et ne doit jamais être considéré comme une chose, une marchandise. Ce corps est le lieu de notre expérience de la tendresse de Dieu. Notre corps est aussi le lieu de l’expérience de nos limites et de notre finitude. Nous découvrons au fil des ans la pesanteur d’un corps qui se fatigue. Il nous inscrit dans le réel et ainsi nous fait souvent souffrir !

Ce corps est fragile et en constant devenir. L’humanisation de l’homme et donc le travail de la culture conduit à le protéger contre les agressions extérieures ainsi que contre les épidémies et maladies. L’évolution des soins que nous connaissons de manière forte depuis le XXème siècle est un signe des temps. Nous avons lutté contre les pandémies et nous veillons à protéger la vie naissante comme la fin de vie. L’exigence portée à la lutte contre la douleur dit quelque chose de cette préoccupation. Toute culture est un travail du corps et sur le corps. Ce corps a aussi une dimension sociale car le corps est le lieu de notre présence au monde. Nos cinq sens sont en éveil pour nous faire naître à la Création et à la relation. Notre corps vit de cette exposition aux autres et aux éléments. Nous devenons pour une large part ce que nous expérimentons au fil de l’existence. La chair appelée à ressusciter est cette personne humaine nourrie de ses relations, de ses joies et de ses souffrances qui se laisse façonner par la miséricorde de Dieu.

Le corps est aussi le lieu de l’acceptation de notre différence et de la différence dans l’altérité. Il est facile d’aimer en pensée mais plus difficile d’aimer son prochain proche. Dans le développement de notre identité, nous nous découvrons plus ou moins heureusement « fils de… » ou « fille de… ». Nous devons assumer d’exister dans une fratrie, de porter un nom et une identité sexuée. Nous apprenons lentement à gérer cette différence féconde. Le siècle que nous venons de vivre nous a aidés à sortir d’un regard culpabilisant sur la sexualité. La relation sexuelle est désormais une composante pleine et entière de la relation amoureuse du couple.

Un corps liturgique

Le corps est aussi le lieu de l’expérience spirituelle. La relation à Dieu se dit dans des postures qui structurent notre foi individuelle et collective. Dans cette chair, nous faisons l’expérience de la présence aimante du Verbe qui s’est fait chair. Les sacrements nourrissent et réalisent cette présence. Dans cette chair, nous faisons l’expérience du bain baptismal (en particulier lorsqu’il y a immersion), nous accueillons dans notre chair celui qui nous dit « Prenez et mangez » et nous laissons Sa chair féconder nos infertilités. Dans cette chair, nous participons aux œuvres de miséricorde en ouvrant les yeux, les oreilles et les mains pour partager l’amour qui ne vit que de se donner. Enfin, ce corps qui est le lieu de notre union intime avec le mystère divin est aussi celui qui est célébré dans les funérailles chrétiennes, avec ce très beau geste de l’encensement. La chair qui dit l’épaisseur de la vie humaine est le lieu où l’être humain fait l’expérience que Dieu l’habite : « Dieu plus intime à moi que moi-même » !

En catéchèse et catéchuménat

Tous ces aspects sont essentiels et ont des conséquences quand on accompagne des catéchumènes, des adultes ou qu’on est catéchiste d’enfants ou de jeunes. La foi ne peut se transmettre qu’en invitant à mettre ses pas dans les pas du Christ. Elle n’est pas d’abord un savoir mais une expérience, une rencontre qui change notre rapport à nous-mêmes et aux autres. Elle est relation et donc mise en présence. Elle se dit dans le regard, l’écoute, la main qui s’ouvre, elle est invitation à sortir, à se lever, à s’asseoir, à vivre l’hospitalité. Un geste bien vécu dit souvent beaucoup plus qu’un discours. Notre corps personnel se découvre aussi dans la participation à un corps ecclésial qui lui donne sens. Sur les chemins de Galilée et de Judée, Jésus a pris soin du corps de ses interlocuteurs. Il les a écoutés, il leur a permis de se redresser, de se sentir digne dans son regard. Tout accompagnement suppose d’aller au rythme de l’autre, de le respecter dans ses fragilités. L’initiation chrétienne parle au corps et l’éveille à la Vie reçue.

P. Jean-Marie Onfray, directeur adjoint du Service national famille et société, responsable du service diocésain du catéchuménat de Tours

Approfondir votre lecture