Les traductions de la Bible, un jeu de pistes pour mieux la comprendre

Mosaïque représentant le Baptême de Jésus par Jean-Baptiste dans le Jourdain.

Cet article est paru dans la revue Initiales n°267 : Foi et science, un mariage impossible ?

Nous vous proposons de découvrir trois traductions d’un épisode central des quatre évangiles : le baptême de Jésus. Elles poursuivent chacune des choix éditoriaux propres, pour ne citer qu’eux : la recherche de précision littéraire de la Bible de Jérusalem et la facilité de compréhension d’une lecture orale pour l’AELF.

(Re)découvrir le texte

Pour cela, il est nécessaire de mettre de côté tous ses préconçus pour se laisser étonner par chaque détail. Ceci est d’autant plus important lorsqu’il s’agit d’un épisode connu et que nous avons en tête quantité d’œuvres d’art. L’iconographie peut nous desservir, car en lisant avec attention nous voyons que Jean le Baptiste n’est pas présent ! En regardant de plus près, nous voyons qu’il faut distinguer : l’allusion au baptême et le présent du récit qui consiste en une manifestation divine pendant la prière de Jésus.

Les notes des éditions bibliques donnent des indications intéressantes, comme la présence d’une citation qui pourrait sinon passer inaperçue (“tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré” du Psaume 2, 7). Ce n’est pas une exception ; les Évangiles sont tissés d’échos à des textes de ce que nous nommons aujourd’hui l’Ancien Testament. Ce jeu de piste devient plus évident à force de compagnonner avec les textes bibliques, qui ne cessent de s’interpeller.

Nous remarquons que la finale du texte est bien différente selon les traductions, et pour cause : tous les manuscrits grecs ne présentent pas le même texte. Les exégètes suspectent une tentative d’harmonisation avec les versions de Matthieu et de Marc (“en qui j’ai mis toute ma joie”). Tous les manuscrits ne sont pas identiques à la “virgule près” ; ces différences sont appelées “variantes” (environ 5 000 dans l’AT et 1 400 dans le NT). Certaines sont involontaires et ont été commises au moment de recopier le texte ; d’autres, volontaires, dans l’objectif d’améliorer par exemple une tournure ou corriger l’orthographe d’un mot. Toutes ces variantes, longuement répertoriées et analysées, ont permis l’édition d’un texte de référence en hébreu et en grec. Votre “Bible” donne en note les variantes majeures (cherchez par ex. : Jn 8, 1 ou Mc 16, 8).

Remettre le texte dans son environnement biblique

Resituons ces deux versets dans leur contexte immédiat : après cet épisode s’ouvre une généalogie de Jésus, et avant, l’auteur nous raconte l’emprisonnement de Jean le Baptiste !

Ainsi, l’auteur met un terme narratif à l’activité de Jean le Baptiste au moment où s’ouvre le ministère de Jésus. Nous voyons là le travail rédactionnel de l’auteur, qui depuis les premières lignes de l’ouvrage juxtapose les épisodes relatifs à Jean et à Jésus. L’un annonce l’autre. Pour que cela reste cohérent, il distingue le baptême et la manifestation divine.

Prenons encore davantage de hauteur : le Nouveau Testament comprend quatre évangiles1. Il se révèle intéressant de regarder comment les autres ont construit leur récit, non pour fondre un seul texte, mais pour relever l’accent particulier de celui de Luc. Dans l’évangile de Matthieu (3, 13-17), Jean Baptiste n’ose pas baptiser Jésus, celui-ci doit lui révéler que cela est nécessaire pour “accomplir”.

L’accomplissement des Écritures par Jésus est la grande dynamique de cet évangile !

Dans l’évangile de Jean (1, 32-34), pas de récit, mais un témoignage dans la bouche même du Baptiste. Rien d’étonnant, car il est décrit depuis les premières lignes comme le témoin ! Ainsi, les quatre évangiles relatent le baptême de Jésus, mais nous discernons l’empreinte de chaque auteur dans la ligne de l’ouvrage.

Le récit lucanien se distingue avec les éléments suivants : l’absence du Baptiste, Jésus en prière, la mention de l’Esprit Saint et son descriptif, la citation du Ps 2, 7.

Quelques recherches permettent de comprendre ces particularités.

Discerner le message théologique

Ces deux versets de l’évangile de Luc forment un nœud, où le précurseur a disparu pour laisser toute la place au Messie qui est investi par le Père, en s’appuyant sur l’extrait du Psaume, tiré d’une liturgie d’intronisation.

Cette manifestation se déroule alors que Jésus est en prière, attitude commune aux grands moments de l’Évangile, car dans cet écrit, la communion de Jésus avec son Père transpire ainsi dès le baptême et jusque sur la Croix (23, 34.46).

L’Esprit Saint accompagne Jésus, comme il conduit le développement de l’Église dans le livre des Actes des apôtres. Dans ce second tome du même auteur, l’Esprit Saint est visible d’une autre manière à la Pentecôte, un baptême du feu pour les disciples devenus apôtres !

Elodie Verdun-Sommerhalter, Bibliste
Service des formations, diocèse de Strasbourg

Or, comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait ; alors le ciel s’ouvrit ; l’Esprit saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : “Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.”

Traduction œcuménique de la Bible – TOB

Or, comme tout le peuple avait été baptisé et alors que Jésus, baptisé lui aussi, était en prière voici, le ciel s’ouvrit et que l’Esprit saint descendit sur lui sous un aspect corporel, comme une colombe et qu’une voix advint du ciel qui disait : — Tu es mon Fils, le bien-aimé : en toi je me suis complu.

Bible de Jérusalem – BJ

Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : “Toi,
tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie.”

Nouvelle Traduction Liturgique – AELF

1. Cette pluralité de regards et de voix est constitutive de la Bible (dont l’expression d’origine ta biblia signifie “les livres”). Les livres prophétiques (AT) comme les lettres aux communautés (NT) se comptent par dizaines. Tout est pluriel dès les “commencements” avec un double récit de la Création, comme un avertissement au lecteur.

Dans le même numéro :

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