Communauté et jeunes catéchumènes

26 mars 2016 : Les nouveaux baptisés sont revêtus du vêtement blanc et portent la lumière pascale, lors de la célébration de la Vigile pascale. Paroisse Saint Ferdinand des Ternes, Paris (75), France.

26 mars 2016 : Les nouveaux baptisés sont revêtus du vêtement blanc et portent la lumière pascale, lors de la célébration de la Vigile pascale. Paroisse Saint Ferdinand des Ternes, Paris (75), France.

Intervention de Mgr Leborgne lors de la session « Lieux de vie des adolescents : lieux d’accompagnement vers les sacrements ? » autour de la question de la communauté.

De plus en plus de jeunes adolescents arrivent avec une demande de baptême ou d’autres sacrements de l’initiation chrétienne. Ils sont quelques fois déjà intégrés dans un lieu d’Eglise, une communauté, un mouvement, ou, une proposition leur est faite de rejoindre un groupe de jeunes chrétiens du même âge. A cette occasion, on peut se poser la question de ce qui fait communauté. Qu’est-ce qu’une communauté ?

Le mot communauté est un mot évident dans notre monde même si on voit bien qu’il pose des questions, notamment celle du communautarisme. C’est un mot évident surtout quand on travaille en catéchuménat et en Église. Cependant, c’est un mot extrêmement problématique pour au moins deux raisons.

Le mot communauté, un mot problématique

Première raison : de quelle communauté parle-t-on ?

Tout le monde a ce mot à la bouche, en tout cas dans l’Église, mais qu’en est-il vraiment ? De quoi parle-t-on lorsqu’on demande pour son enfant l’entrée dans une communauté chrétienne dans laquelle on ne va jamais ? Il y a un désir d’appartenance mais il est fort probable que le baptême soit sa première entrée dans la communauté et peut-être aussi la dernière. Nous sommes dans une époque très individualiste et ceux qui s’adressent à nous sont marqués par la postmodernité et ont un rapport individualiste et subjectif à la religion. La communauté n’est pas celle qui s’impose à eux historiquement ou institutionnellement, c’est celle à laquelle ils s’adressent et que, peut-être ou peut-être pas, ils choisiront.

Quel type de communauté d’appartenance spontanée existe pour les jeunes ? On peut penser au groupe au collège ou au lycée, à la bande dans les cités… C’est un groupe qui donne une identité mais sans servir la liberté, même souvent en aliénant la liberté. Les jeunes existent à travers le groupe mais affirmer une idée différente est difficile. Ils me disent qu’ils ne sont pas sensibles aux marques mais ils s’habillent tous de la même manière. Pour exister dans le groupe, ils adoptent ses codes.

Quel va être leur rapport à l’Église sachant que la communauté est un incontournable de la foi ? La communauté, dans le cadre du catéchuménat, se propose à un jeune à un moment particulier de son existence, l’adolescence. C’est un temps long (12-30 ans et parfois plus) et un moment de passage. Le jeune se retrouve à un moment de passage dans une communauté de passage : l’école catholique, l’aumônerie, un mouvement scout ou le MEJ ou l’Action catholique. Comment articuler la communauté de passage à une communauté stable, qui, dans l’Église, est la paroisse ? Et puis, l’adolescence est le temps où l’on se pose en s’opposant, même si c’est un peu rapide. On le vit dans la communauté familiale (« je t’aime moi non plus ») et, pourtant, la famille est toujours sollicitée, même par les adolescents, d’autant plus qu’elle est fragile. Plus que jamais ils ont besoin de la famille parce que ils ont besoin d’un tuteur pour grandir, d’un mur contre lequel s’exercer. Cette communauté dans laquelle on se pose en s’opposant, c’est aussi la communauté institutionnelle dans laquelle on propose la confirmation. C’est un vrai problème parce qu’on invite à une démarche libre dans cette période de passage où on se pose en s’opposant. C’est également le moment des communautés affectives qui sont aussi des communautés sécuritaires et qui peuvent amener à un certain fondamentalisme. Les jeunes que nous rencontrons sont confrontés à d’autres jeunes qui ont trouvé dans un islam clair, ferme et dur un lieu d’identité et de force. Ils se trouvent parfois très démunis face à cela et nous trouvent trop gentils dans la manière de les accompagner. Enfin, il y a la communauté élective (sport, scoutisme…), qui n’est pas toujours une communauté affective.

Deuxième raison : on ne trouve aucune occurrence biblique.

Sur un moteur de recherche biblique, aucune occurrence n’apparait pour le mot communauté. Ce n’est pas en soi une difficulté insurmontable (c’est pareil pour le mot Trinité qui est pourtant au cœur de la Révélation) mais cela pose des questions. De quelle communauté s’agit-il ? Cette réalité est évidemment présente dans l’Écriture, comme celle de la Trinité, mais le mot n’y est pas. Le Nouveau Testament emploie un certain nombre d’images que nous connaissons bien : corps du Christ, temple de l’Esprit, épouse, famille de Dieu (Eph), … Dans un monde entre dislocation individualiste et tentation communautariste (l’une appelant l’autre parce que la dislocation individualiste fait perdre toutes ses sécurités et pousse à se réfugier dans un communautarisme identitaire replié sur lui-même), il faut que nous précisions la nature de la communauté chrétienne. Je voudrais le faire en trois points autour des mots ecclesia, fraternité et catholicité.

Trois mots pour préciser la nature de la communauté chrétienne : ecclesia, fraternité et catholicité.

Ecclesia

Premier point autour du mot ecclesia : ce mot grec traduit l’hébreu qahal qui veut dire rassemblement mais sous l’aspect de la convocation. C’est une assemblée convoquée. A travers ce mot, c’est le statut de la Révélation qui est spécifié. C’est capital : la Révélation chrétienne n’est pas individualiste mais elle est communautaire. Dieu s’adresse d’abord à un peuple. La Révélation biblique n’est pas une révélation personnelle, même si elle s’adresse à des personnes (et non pas à des individus anonymes, interchangeables et sans lien. La personne est absolument unique mais toujours en relation dans une communauté alors qu’un individu est dans une masse). La Révélation biblique se donne aussi toujours par la médiation de personnes (prophètes, apôtres, écrivains bibliques…) mais elle est néanmoins toujours pour la communauté.

C’est une dimension tout à fait décisive pour le processus catéchuménal, d’autant plus importante dans une période très individualiste et subjectiviste. Ce processus ne peut pas ne pas être communautaire. L’altérité de la Révélation (c’est une convocation) s’accueille dans la vie communautaire par l’altérité de frères et sœurs, de la prière, de la recherche, de l’action et de la vie partagés. La Révélation que nous servons, c’est : « tu es aimé à la folie » ; il y a un je/tu de la foi. J’aime beaucoup ces mots de Gaston Bachelard pour parler de la foi, même s’il parle de l’expérience amoureuse : « Nous vivons endormis dans un Monde en sommeil. Mais qu’un Tu murmure à notre oreille, et c’est la saccade qui lance les personnes : le moi s’éveille par la grâce du toi. […] nous n’étions rien – ou rien que des choses – avant d’être réunis ». Le je/tu de la foi appelle toujours le nous de l’Église comme source, comme tradition (transmission dans une communauté) et comme mission.

Deuxième notation sur le mot ecclesia : Paul récupère des mots, des structures de son époque et il va les habiter en les subvertissant. C’est le cas du mot ecclesia ; c’est un mot très courant qui désigne l’organisation politique, l’assemblée politique de la démocratie grecque. Il utilise un mot connu mais en renouvelle complètement le sens. Cette assemblée grecque ne concerne que les hommes libres d’Athènes, l’ecclesia évangélique concerne, dès le début, les hommes, les femmes, les esclaves, les étrangers. Paul assume l’organisation existante mais il la subvertit de l’intérieur. Le texte de l’épitre aux Éphésiens (Ep 5, 21-33) sur les femmes et leurs maris, souvent mal lu, a un caractère vraiment révolutionnaire : il y réciprocité de la soumission ; le mariage est une question d’amour, ce qui n’est pas du tout le cas à l’époque de Paul et n’apparaît pas avant le 17ème siècle, et, en plus, le modèle de l’amour qu’il donne, est celui du Christ pour l’Église. Cela marque profondément la façon de vivre dans la communauté chrétienne : il y a une subversion des relations mondaines. Le cléricalisme, qui n’est pas que le fait des clercs, est sans doute d’avoir cédé à la mondanité : on se crispe sur ses territoires et ses pouvoirs. La communauté va être marquée par différentes identités qui sont bien identifiées mais elle ouvre à l’universalité et à la communion.

Fraternité

Deuxième point autour du mot fraternité : je voudrais aborder l’idée de la communauté comme fraternité. Je le fais avec l’apôtre Pierre dans sa première lettre aux chapitres 2 et 5 (1 P 2-5). Au chapitre 2, verset 17 (« Honorez tout le monde, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez le roi »), comme Paul, Pierre respecte les institutions mais on voit la sève subversive qu’apporte l’Évangile. Cette traduction de la Bible de Jérusalem, « aimez vos frères » est un contresens. Le mot latin fraternitas ne signifie pas la fraternité comme vertu mais comme communauté (adelphotes, en grec, qui est d’ailleurs une faute de grec et n’apparait que deux fois dans le Nouveau Testament chez Pierre). Le Père Michel Dujarier, qui a beaucoup travaillé ce thème de la fraternité chez Pierre et chez Clément de Rome, dit qu’avec Pierre, la fraternité est le « nom propre de l’Église ». On retrouve cette expression dans la première lettre de Pierre au chapitre 5, verset 9 : « … c’est le même genre de souffrance que la communauté des frères… supporte ». Vivre l’Église comme fraternité, et il y a un appel très fort aujourd’hui, nous invite à nous interroger sur le fondement de cette fraternité. Pour Pierre et pour le Nouveau Testament, c’est très clair, cette communauté est constituée autour du Christ frère. Nous avons à redécouvrir la communauté sous l’angle de la théologie du Christ frère. Il se fait notre frère pour nous associer à sa filiation. La manière dont Dieu nous sauve en Jésus-Christ est de se faire notre frère jusque dans la mort (He 5, 8 : « … il apprit par ses souffrances l’obéissance… »). Mon Dieu, en Jésus, veut apprendre mon humanité jusqu’au bout, jusque dans la mort, jusque dans ce qui nous défigure. Il veut « obéir » à mon humanité en traversant ses souffrances jusque dans la mort. Lui qui est mon Seigneur et mon Dieu se fait mon frère jusque dans la mort. Lui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait péché (2 Co 8). C’est énorme ! Au temps de l’Inquisition, Paul aurait été brulé sur un bûcher. On est devant l’abîme de la miséricorde. Dieu se fait sa propre absence puisque le péché, c’est l’absence de Dieu (et pas la faute morale, même si celle-ci nous aide à relire ces lieux d’absence de Dieu). Pour nous sauver, il se fait notre frère afin de nous associer à sa filiation et de nous introduire à la plénitude de la vie du Père. Nous sommes cohéritiers de Dieu, dira Saint-Paul (Rm 8), héritiers avec le Christ. Cette communauté nait du Christ frère qui veut nous faire partager son héritage. L’héritage, c’est ce que l’on partage entre frères et sœurs quand les parents décèdent, cela dit la fraternité. Ce « nom propre de l’Église », ce n’est pas n’importe quelle fraternité, c’est une fraternité qui nait du Christ frère.

Cela inviterait à creuser dans trois directions. D’abord, « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 9-17). C’est tout sauf une indication morale, même si cela a des conséquences morales, parce que juste avant il est écrit : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ». Nous sommes invités à contempler la Trinité. La mesure de l’amour de cette communauté, c’est l’amour trinitaire, du Père et du Fils dans la grâce de l’Esprit.

On peut citer aussi He 2, 11. Jésus n’a pas honte de nous appeler ses frères. Et He 2, 17 : « Il lui fallait … se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple. »

On pourrait relire également Jean 17, la prière sacerdotale : il y a quatre mentions de l’unité. Et cette unité n’a pas pour but de nous renfermer sur nous-mêmes mais elle ouvre l’horizon missionnaire : « …afin que le monde sache que tu m’as envoyé… » (Jn 17, 23). La fraternité évangélique basée sur le Christ frère, qui doit être la vie de la communauté, n’a pas d’autre visée que la visée missionnaire : « A ceci, tous reconnaitront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 35).

Catholicité

Troisième point autour du mot catholicité :

De fait, la communauté n’est pas close sur elle-même et c’est ce que garantit ce mot catholicité. Cela pose de vraies questions quand on prépare des adolescents et même des catéchumènes adultes ; on veut tellement en prendre soin qu’on les surprotège, ce qui n’est pas une bonne chose.

Le travail de l’évêque est de garantir que la communion ne se clôt pas sur elle-même mais qu’elle est ouverte à toutes les autres communautés, l’Église dans l’espace : les autres diocèses, la communauté universelle et dans le temps : la tradition. D’où l’importance capitale de la visite d’autres communautés, qu’elles soient dominicales ou monastiques. Il n’y a pas de préparation catéchuménale sans un week-end dans une communauté monastique. Attention aussi à la surprotection affective. Si on n’arrive pas bien à faire le lien entre communauté de passage et communauté stable, ce n’est pas grave mais la surprotection affective n’aide pas à faire ce lien. C’est une espèce de prise de pouvoir sur le jeune. La communauté doit être fraternelle mais non « cocoonesque ». L’ouverture à celui qui passe est fondamentale. On voit la vraie fraternité quand l’amitié rend d’abord attentif aux autres, à commencer par les plus pauvres.

Et la fraternité, si elle est évangélique et fondée sur le Christ frère, sera par elle-même missionnaire et pourra appeler des projets précis d’évangélisation.

 

Quand j’ai ouvert le dictionnaire au mot communauté, j’ai lu société, groupe plus ou moins étendu, réuni par les mêmes croyances, les mêmes usages, éventuellement soumis aux mêmes règles. Le mot vient de communis auquel on a ajouté le suffixe –itas. Communis, c’est porter la charge ensemble. C’est pourquoi je veux terminer ce point introductif avec Mt 11, 28-29 : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. »

Il s’agit de porter ensemble la charge du Christ qui est, lui, venu porter notre charge. Le Christ se met à notre pas pour porter notre charge afin que nous puissions nous mettre à son pas pour naitre à la vie de Dieu. Et je crois que c’est vraiment la vocation de la communauté de porter ensemble la charge pour nous laisser porter par le Christ qui vient porter notre charge et nous introduire à Dieu.

 

Mgr Olivier Leborgne, évêque d’Amiens, président de la CECC

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