Éduquer au silence, éduquer par le silence
Cet article est paru dans la revue Initiales n°235 : Silence ? On prie…
Dans la relation éducative avec des adolescents, le silence est une ressource pédagogique nécessaire. Lieu d’intériorité, il est un espace personnel de réflexion, d’élaboration du dialogue avec les autres, de construction de son identité, d’appropriation des savoirs. Il permet aussi de prendre conscience du sens de la vie.
Les constats sur la difficulté de trouver le silence aujourd’hui sont nombreux. Pointons-en deux.
Tout d’abord, l’évolution des moyens de communications et leur portabilité, la concentration humaine dans les villes, la motorisation des tâches les plus simples, la sonorisation des lieux publics et des commerces font que nous sommes de fait dans un univers de sons incessants, que l’on peut qualifier de bruits dans la mesure où ils sont pour la plupart dépourvus de sens pour ceux qui les vivent, voire les subissent.
Ensuite, les moyens de communication font que le jeune d’aujourd’hui est « connecté » en permanence, constamment interpellé par son téléphone, sans pour autant être présent
mentalement à la situation présente .
Interprété comme négatif, neutre ou positif ?
Au préalable, il faut opérer une distinction. Évoquer le silence renvoie à deux sens : l’absence de bruit et le fait de se taire. Les deux ne vont pas forcément de pair. Certaines personnes ont besoin de « bruit » pour s’isoler
et se concentrer sur leur propre pensée. C’est le jeune qui va mettre de la musique à fond pour s’isoler… Et l’on peut faire silence pour mieux écouter les personnes, la nature.
Du point de vue relationnel, le silence est absence de communication verbale, ce qui oblige l’interlocuteur à y trouver un sens qui s’appuie sur le comportement, l’histoire de cette relation, l’environnement, etc.
De fait le silence peut être interprété par celui qui y est confronté comme :
– négatif : tension, agressivité, préjugé…
– neutre : réflexion, rêverie…
– positif : ébahissement, satisfaction, écoute attentive…
Ce qui fait que dans une relation éducative, le silence est une dimension difficile à gérer pour l’éducateur.
Enfin le silence pour le silence n’a pas de sens positif en soi. Tel le trou creusé dans le sable de la plage qui se remplit sans tarder d’eau, le vide se remplit rapidement. Quand le Christ, avant sa vie publique, s’est retiré
quarante jours au désert (Lc 4, 1-9), le silence s’est vite rempli par les tentations : matérialisme, orgueil et pouvoir. Pour l’animateur en pastorale comme pour tout éducateur, s’il est important d’éduquer au silence et par le silence, cela n’est réellement éducatif que si ce silence est habité.
Éduquer au silence, éduquer par le silence. La formule pourrait être : « Éduquer au silence ; le silence pour éduquer », pour signifier l’aspect interactif. Le silence est un élément capital à la construction et à l’épanouissement de la personne. Nécessaire à toute situation éducative, il faut également que le jeune en ressente le besoin.
Inviter à l’apprentissage de l’écoute active
Le développement de son intériorité et la prise de conscience de son identité : dans un monde qui favorise l’extériorité, le silence est vécu souvent comme angoissant. Sans cet effort de retour sur soi, la personne vit comme « en dehors d’elle-même », étale sa vie sans retenue y compris à la télévision.
Éduquer au silence/par le silence, c’est rechercher les espaces de silence, faire silence en soi, ne pas être transparent, avoir de l’épaisseur, condition essentielle pour développer cet espace interne, base de son
identité.
La qualité de sa vie relationnelle et de sa capacité à dialoguer : le développement de l’intériorité appelle directement les relations aux autres, l’autre dans son altérité. Souvent les discussions sont stériles dans la mesure
où chacun veut tellement faire avancer ses idées qu’il en oublie d’écouter l’autre. Éduquer au silence/par le silence, c’est inviter à l’apprentissage de l’écoute active, c’est-à-dire non seulement à savoir se taire, à laisser
parler, mais surtout à rechercher ce que son interlocuteur veut dire, ce qui passe par l’apprentissage au débat et au (réel) travail de groupe…
La capacité à se projeter dans l’avenir et à percevoir le sens de sa vie : dans un monde où l’urgent prime sur l’essentiel, l’immédiateté domine. Le téléphone portable a remplacé la lettre que l’on mettait du temps à écrire, du
temps pour lire et relire la lettre reçue.
Éduquer au silence/par le silence, c’est introduire des ruptures dans le bruit quotidien qui permettent de se retrouver pour développer la capacité à affronter les vraies questions et à trouver des éléments de réponse personnels…
Permettre de se constituer un savoir « durable »
La capacité à discerner et à faire des choix raisonnés : sans silence, on peut interagir, mais on ne peut analyser tranquillement les différents aspects d’une situation nécessaire pour des choix pertinents.
Éduquer au silence/par le silence, c’est donner du temps pour réfléchir personnellement lorsqu’une question se pose, c’est proposer de passer par l’écriture, temps où le silence se fait et où la prise de recul est facilitée…
La possibilité de construire des savoirs maîtrisés : dans tout groupe éducatif, si la parole est incessante, des connaissances peuvent être acquises momentanément, mais l’expérience montre bien qu’elles ne sont pas vraiment fixées et que d’une séance à l’autre elles se sont souvent « évaporées ».
Éduquer au silence/par le silence, c’est, comme l’ont souligné des pédagogues, introduire dans les séances d’apprentissage un temps d’intériorisation pour finaliser ces connaissances afin qu’elles se structurent et constituent un savoir qui sera « durable »…
Proposer des temps de silence, donner l’habitude et le goût du silence, c’est permettre au jeune de se construire et de se développer harmonieusement. Encore faut-il que ce silence soit habité positivement comme les quelques pistes ci-dessus ont cherché à le suggérer. Comme tout ce qui se veut éducatif, cela doit s’inscrire dans la durée et si possible faire consensus chez les éducateurs. Cela demande un climat propice, une
pratique des ruptures, et des activités qui ont du sens pour les jeunes et qui les amènent à réfléchir, raisonner, se projeter, contempler, méditer…