La vie des autres, de Florian Henckel von Donnersmarck : fiche analytique
Utilisé pendant la formation d’octobre 2012 Films et catéchèse, ce film de 2006 La vie des autres, primé plusieurs fois, de Florian Henckel von Donnersmarck, permet de s’ouvrir à la dimension anthropologique et éthique du cinéma.
1ère séquence : du début du film à 6’23
Comment commence le film ? Il n’y a pas de son, seulement des mots et des chiffres apparaissent à l’écran. Ces mots sont un état des lieux qui précise la situation, le contexte politique et les données chiffrées en nombre de morts.
L’appareil d’état s’exprime dans sa dimension de contrôle de la société, chiffres à l’appui.
Ensuite on suit un prisonnier de dos qui avance dans un couloir jusqu’au bureau où il va être interrogé. Suit un jeu de champ / contrechamp entre le numéro (l’homme ne porte plus de nom) et l’interrogateur de la Stasi. La perte du nom est un procédé connu pour déstabiliser.
L’agent de la Stasi est froid, désincarné, professionnel. Il fait honnêtement son métier.
Via la bande magnétique, le spectateur découvre que l’agent de la Stasi est aussi enseignant et qu’il a charge de cours.
Par la construction du scénario, l’interrogatoire nous est présenté comme un modèle du genre, c’est même un cas d’école. On demande aux étudiants de repérer tous les indices qui permettent de déterminer si le prisonnier dit vrai ou pas.
L’efficacité de la méthode pour obtenir des aveux est démontrée.
Les étudiants sont impliqués diversement. Un des élèves réagit en disant que c’est inhumain. Il est de suite repéré. Pourra-t-il faire un bon agent de la Stasi s’il est pris de pitié ?
Au-delà de la réaction des étudiants, il y a aussi notre propre réaction.
Nous nous situons du côté de l’étudiant humain, du côté de la victime sans doute pour pleins de raisons mais avant tout à cause de la construction du film. Les premières images nous ont invités à
suivre le prisonnier. Nous subissons le face à face de l’interrogatoire. Certes nous pouvons avoir un
penchant naturel à être plus ému par la victime mais tout est fait pour nous faire épouser son point
de vue.
De façon récurrente, l’enseignant rappelle que la Stasi a affaire à des ennemis du socialisme. Le but est de faire avouer les prisonniers.
A la fin de la séquence, un nouvel intervenant apparaît, responsable hiérarchique de l’enseignant, qui lui propose une invitation pour un spectacle de théâtre. Dans la réception de la proposition, il y a le rappel du passé, les préoccupations à venir. Chacun reste sur ses gardes.
2ème séquence : à la suite de la première jusqu’à 16’17
On se retrouve au théâtre. L’attitude des personnages est très différente entre l’agent de la Stasi qui utilise ses jumelles (jeu du regard, regard de prédateur) comme s’il était en situation d’interrogatoire et le responsable de la section culturelle qui assiste benoîtement au spectacle. L’actrice a d’ailleurs une vision qui la bouleverse.
Dans les échanges après le spectacle, on note un jeu de mise en rapport, jeu de pouvoir, d’arrangements au profit des intérêts propres de chacun. Comment cela va-t-il servir les intérêts personnels dans le parti au pouvoir ?
A propos de la fête : le réalisateur travaille sur l’ambiance ombre et lumière, la position des corps. Le fond musical ne sert à rien, les gens ne dansent pas. C’est une fête de la Stasi !
Le ministre a des vues sur l’actrice (geste de la main aux fesses à l’appui). Le dialogue est très serré entre le ministre et le producteur de la pièce. Celui-ci fait un plaidoyer pour un homme interdit de travail (même si le mot ne doit pas être prononcé). On ne peut pas épouser le propos du ministre qui nous parait abject, il est gros, se goinfre…Le producteur de la pièce sait bien qu’il ne peut plus faire le théâtre qu’il faisait auparavant. Il ne peut plus faire un acte de création libre, il demande la réhabilitation de son ancien metteur en scène.
L’artiste libre, qui n’est pas encore interdit de travail, prend la parole. On est dans des questions de limite, de franchissement de limite, de soumission à la limite mais aussi de ruse. Quand le jeu du
respect de la loi n’est pas possible, un autre jeu prend le relais. Mais se pose alors la question de la compromission, de la vérité dont on veut témoigner dans l’œuvre créatrice. Position éthique, des choix différents ont des conséquences différentes pour ceux qui posent ces choix.
A ce moment du film, on est bien en plein cœur du drame qui se noue entre un état de type dictatorial et des artistes dont la vocation est de faire émerger ce qu’il y a dans l’humain.
Qu’est-ce qu’exister dans ces conditions-là ? Comment faire l’impasse sur son aspiration à la liberté ?
Quel est le statut de la vérité ? Qu’est ce qui servira la vérité ?
Un participant fait la mise en parallèle avec une situation du quotidien dans une pression subie au travail.
Le cinéma nous donne à voir du singulier, dans une situation concrète portée avec art et intelligence pour que cette situation unique déborde sur nous. On est là dans une histoire plus large que la seule histoire qui nous est racontée. C’est le principe du conte. (La chèvre de Monsieur Seguin n’est pas l’histoire d’une chèvre).
Il y a donc à faire confiance au film et à ceux qui le regardent.
Quand on choisit des extraits de film pour inscrire une continuité narrative, on fait la même chose que dans l’étude d’un texte. Il ne s’agit pas d’une lecture d’un film mais d’une construction séquentielle qui n’est pas celle du film mais qui a du sens aussi du moment qu’on justifie le choix des séquences retenues.
Ensuite le film nous raconte la mise en place d’un système d’écoute de l’actrice et son compagnon, le producteur de la pièce de théâtre. Il s’agit d’une surveillance 24h/24 dans l’appartement du dessus, casque aux oreilles en continu. Le producteur comprend que le ministre est arrivé à ses fins en violant l’actrice car il la voit monter dans la voiture du ministre. Elle n’a pas besoin de le lui dire.
L’extrait suivant démarre quand le téléphone sonne et que le producteur apprend le décès du metteur en scène dont il avait demandé la réhabilitation.
3ème séquence : de 48’43 à 53’42
L’agent de la Stasi, à l’écoute à ce moment-là, est déstabilisé en entendant la musique. D’ailleurs on entend la musique avant de voir l’homme s’installer au piano.
Pour la première fois, une émotion gagne cet agent, une larme coule sur sa joue.
Son univers est bousculé. Dans l’ascenseur, la parole de l’enfant (l’innocent) brise un rempart. L’agent sort de sa logique professionnelle. La mise en scène sert le cheminement de cet homme. La phrase est coupée…et détournée.
Dans la suite du film il se mettra à bricoler de faux rapports.
4ème séquence : de 55’ à 1h03’19
On note le franchissement de pleins d’interdits. L’agent de la Stasi restitue en lieu de vérité ce qu’il apprend par effraction. Il n’y a plus aucun rapport avec le « il ment » du début du film. La mise en scène est très efficace. On entend toujours en stéréo ce que disent les deux membres du couple et ce qu’entend celui qui épie. Cela nous interroge sur notre propre regard. Où sommes-nous situés dans ce jeu-là ?
L’analyse du film a engagé un processus de dialogue ainsi que le fait de soulever les questions posées par le film.