Dans l’intimité de la Sainte Trinité : la joie de Jésus dans sa relation à son père dans l’Esprit

Sortie en forêt pour un groupe de jeunes.

Sortie en forêt pour un groupe de jeunes.

Cet article est paru dans la revue Initiales n°238 : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit sous le titre « La joie de Jésus ».

« Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez » et que tant de rois et de prophètes auraient voulu voir ! Oui, comme Luc le raconte dans ce passage d’Évangile, ce que les disciples voient est bien l’accomplissement de toute l’attente du peuple d’Israël.

Le dessein de Dieu se réalise en Jésus dans le souffle de l’Esprit. Il bouleverse la réalité : les forces du mal sont abattues, les plus petits, les laissés-pour-compte sont les premiers à voir et accueillir l’amour de Dieu tel qu’il se révèle en Jésus.

Cette expression de joie la plus claire et la plus pure de tous les Évangiles, au retour de mission des soixante-douze disciples, se situe pourtant à l’un des moments les plus graves de l’Évangile de Luc où « comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem » (Lc 9, 51). Alors que le temps de la Passion se profile, Luc nous fait témoins, avec les disciples, de la joie profonde de Jésus « exultant sous l’action de l’Esprit saint ».

Signe de l’accueil de la volonté de Dieu

Cette joie liée à l’Esprit saint est celle-là même dont sont imprégnés les récits accompagnant l’annonce de la naissance de Jésus : le « tout-petit » Jean-Baptiste dans le sein de sa mère bondit de joie (agalliasis) et Élisabeth, sa mère, est emplie d’Esprit saint. Et c’est le même verbe employé pour exprimer la joie de Jésus (ègalliasato) que Luc met dans la bouche de Marie dans sa prière d’action de grâce : « Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit a exulté (ègalliasen) à cause de Dieu, mon Sauveur » (Lc 1, 47). Dieu s’est fait proche de celle qui s’est rendue disponible pour permettre au projet de Dieu de se réaliser. La joie profonde est le signe de l’accueil de la volonté de Dieu par celle ou celui qui doit l’accomplir. Et autant le Magnificat que la prière de Jésus manifestent que ce projet de Dieu se réalise de façon paradoxale, dans une nouveauté qui bouleverse la réalité et les normes humaines habituelles. Il y a renversement des valeurs et substitution des personnes : les humbles et les petits sont les premiers en capacité d’accueillir la révélation de l’amour de Dieu.

Marie en fait l’expérience inouïe dans l’appel qui lui est fait. Jésus en fait l’expérience concrète au quotidien de sa mission : les foules des pauvres et des petits se pressent pour le voir, l’écouter, le suivre. Elles ne se trompent pas, alors qu’empêtrés dans tous les mots de leur savoir, scribes et savants sont aveuglés, incapables de reconnaître l’action de leur Dieu et son amour dans les gestes et les paroles de Jésus.

Un projet bienveillant révélé aux tout-petits

Avant la montée de Jésus vers Jérusalem et sa Passion, l’Évangile de Luc nous fait pénétrer dans l’intimité de la prière de Jésus, à la source de sa joie, dans l’intimité de sa relation à son Père dans l’Esprit. La joie de Jésus naît de son adhésion entière, de son « oui » sans réserve au projet bienveillant du Père pour tout homme et toute femme et pour l’humanité, dont l’appel à être le témoin avait été révélé lors du baptême.

La vie même de Jésus incarne et manifeste ce bon vouloir de Dieu pour le monde. Ce projet bienveillant est celui-là même qui a présidé à la Création du monde par le Dieu qui est « le Seigneur du ciel et de la terre ». Jésus inscrit sa vie et sa prière de louange dans le déploiement de l’histoire et de la prière du peuple d’Israël dont il vient accomplir l’attente.

Et le signe de la réalisation de ce projet réside dans la révélation aux tout-petits, si petits qu’ils n’ont pas encore accès aux mots et à la parole (nèpioi : littéralement, « ceux qui ne parlent pas encore »).

Comme si leur incapacité à parler leur permettait, à eux et à eux seuls, de faire place à la plénitude de Dieu pour le rencontrer, entrer en relation avec lui et le reconnaître à l’oeuvre en Jésus. Car la connaissance dont il est question ici n’est pas la connaissance à laquelle les sages et les savants peuvent accéder par les moyens de la raison, mais la connaissance du cœur, la connaissance que permet la relation d’affection nouée entre les personnes. Telle est la relation de confiance du tout-petit qui accueille la vérité comme venant d’un autre que lui. Telle est la relation de Jésus avec son Père, cette relation de confiance et de communion dans l’Esprit qui est la source de la vie et de la joie du Fils. « La source de l’intimité entre Jésus et son Père est une unité fondamentale de vouloir, d’action et finalement d’être. »1 Le vouloir du Fils et le dessein de Dieu sont en parfaite harmonie.

Confiance et communion dans l’Esprit

Mais cette harmonie ne peut se satisfaire de n’être partagée que par le Père et le Fils dans l’Esprit. Le mystère trinitaire de relation entre le Père et le Fils, qui se donne à voir ici comme une expérience dévoilée, n’est pas fermée sur elle-même ; elle s’ouvre nécessairement à d’autres, à qui « le Fils veut bien le révéler », à tous ces petits, ces « sans-parole » qui, seuls, ont reconnu dans le Dieu de Jésus un Père plein de tendresse.

Les disciples ont vu Jésus exulter de joie sous l’action de l’Esprit saint, ils l’ont entendu louer son Père, le Créateur du ciel et de la terre. Ils ont été les témoins privilégiés de l’expérience intime de Jésus rencontrant le Père dans la prière. Ils ont compris que tous ceux qui croiraient qu’en Jésus le Fils se révèle la bienveillance du Père, ceux-là entreraient, par l’Esprit, dans le mouvement de l’affection réciproque du Père et du Fils. La Trinité n’est pas objet de connaissance, c’est une expérience à vivre, une rencontre à faire, ou plutôt à laisser faire. Une expérience qui requiert de laisser derrière soi tous les mots de nos savoirs, de nos certitudes, pour, à la suite du Fils, nous recevoir tout entier du Père, dans l’Esprit.

Parler de la Trinité avec les mots de la raison est difficile. Les mots nous manquent ou paraissent tellement insuffisants. Jésus nous révèle que les plus petits, ceux qui font confiance, y ont directement accès. La Trinité est simple comme l’amour est simple pour celui qui aime. En vivre est la source de la joie de Jésus, comme elle est celle des tout-petits, comme elle peut être la nôtre si nous devenons comme l’un d’eux…

Claire Escaffre, co-rédactrice de ZeBible

Texte biblique

À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père. Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » Puis il se tourna vers ses disciples et leur dit en particulier : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car, je vous le déclare : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous-mêmes voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. »

Lc, 10, 21-24

1. Christian Duquoc, Christologie I, Paris, Cerf, 1968, p. 281.

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