Écouter pour libérer
Cet article est extrait de la revue Initiales 241, Souffrir pour quoi, pour qui ?
Si la discrétion n’est plus de mise à l’heure des réseaux sociaux, le besoin de se confier n’a pas disparu pour autant. Rencontrer un écoutant qui n’interfère pas avec le milieu scolaire ou familial est une précieuse occasion de satisfaire ce besoin.
Pourquoi écouter ? En premier lieu, pour que celui qui vient vers nous se sente accueilli tel qu’il est, pour nous parler aussi longtemps qu’il le voudra. Ils sont nombreux, ceux qui n’ont pas ouvert leur cœur par peur de déranger et n’attendent qu’une parole de bienvenue pour le faire.
Il est utile de rappeler à la personne écoutée que ses propos resteront confidentiels, sauf dans le cas de violence grave sur personne mineure où la loi nous oblige à faire un signalement. En matière de secret, les catholiques ont bien sûr la chance de disposer de la Réconciliation.
Aussi précieuse que soit celle-ci, il faut souligner une différence avec l’écoute qui ne se limite pas au caractère sacramentel : dans l’esprit du chrétien, une confession concerne surtout le mal qu’on a fait ou cru faire. Une écoute comprendra plus souvent le mal qu’on a subi, un pardon à donner plutôt qu’à recevoir, et l’un conduit à l’autre : Seigneur, pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (Matthieu 6, 12).
Les jeunes et la parole
Un écoutant n’a pas pour fonction de résoudre les problèmes de la personne qu’il écoute, d’autant plus qu’en général il ne la voit qu’une fois. Ce n’est pas ce qu’on attend de lui, même s’il lui arrive de donner un conseil utile, ou de renvoyer vers d’autres types d’accompagnement. Son rôle est plutôt de libérer la parole, d’aider son interlocuteur à trouver en lui ses propres solutions : et parfois, de le convaincre qu’il est acteur de son destin. Les jeunes que j’ai écoutés ont souvent besoin d’entendre une parole positive sur eux et sur la vie. Ils retrouvent espoir si on écoute leur souffrance, si on les aide à prendre le recul nécessaire pour que leur problème n’occulte pas tout leur horizon. Ils se redressent de se voir restaurés dans leur dignité, et estimés plutôt que catalogués. L’avenir est crédible quand nous leur montrons l’exemple de la confiance. Car il ne faut pas se laisser abuser par la dérision contemporaine : les jeunes jouent volontiers à ceux qui n’ont que faire de la parole des parents, des enseignants, des prêtres…Mais en vérité ils redoutent les jugements de leurs aînés. Sachons donc les écouter sans les juger, et leur donner à l’occasion une parole qui les aidera à vivre.
Quelle est cette parole ? Il n’y a pas de réponse unique. Voici quelques pistes, cependant : les jeunes se sentent souvent coupables du mal qu’on leur a fait. Si c’est le cas, rappelons-leur que les victimes ne sont pas coupables. Ils ne se sentent pas indispensables, et parfois même leur environnement les pousse à croire que leur simple existence pose problème. C’est à nous de leur dire que chacun est unique et irremplaçable : « sans toi, le monde ne serait plus le même, il serait moins beau ». Enfin, nous avons pour nous aider une parole simple et bouleversante : celle du Christ, lorsqu’Il nous dit par exemple va, ta foi t’a sauvé (Marc 10,52)
Gardons Sa parole à l’esprit quand nous écoutons, elle viendra naturellement à nos lèvres. Et appliquons-nous à prêter l’oreille. Mieux encore : à la donner.
Comment écouter ?
L’écoute ne constitue pas en premier lieu une panoplie de techniques. Mais il y a bien sûr des attitudes à proscrire, d’autres à recommander. Voici quelques points de repère.
La première recommandation est de se rendre, aussi complètement que possible, disponible au prochain que nous rencontrons et qui envisage de partager avec nous quelque chose de personnel et parfois d’intime : solitude, mal-être, violence subie ou commise, dépendance, mépris, mort d’un proche…Cela demande de faire le vide en soi, pour se laisser remplir par la parole de l’autre. Pour cela une certaine concentration est requise. Lorsque ces écoutes se déroulent dans un cadre (rassemblement de jeunes par exemple) où elles peuvent se succéder rapidement, la capacité de dégager son esprit de l’écoute précédente s’impose. On peut trouver de l’aide dans un moment de prière, en déposant au pied de la Croix la souffrance qu’on vient d’aider à porter. Autre recommandation : ne pas imaginer ce que la personne devrait nous dire mais être à l’écoute sans préjugés. Ce n’est pas toujours facile, car cette personne peut vouloir, consciemment ou non, nous égarer. Un exemple : une adolescente commencera par raconter qu’elle n’aime plus son petit copain mais ne sait pas comment lui dire, puis après quelques minutes d’échange sur la question – pendant lesquelles elle peut nous jauger – se lancer sur la vraie question en disant qu’elle a un gros problème avec sa famille mais qu’elle ne veut pas en parler. Il ne faut pas se laisser abuser par l’écran de fumée préliminaire ou l’antiphrase d’introduction, puisque le besoin qui l’a poussée vers l’écoute est justement de parler de ce gros problème – ce qui peut conduire à un long partage constructif. J’appelle cela la « fusée à deux étages » et il m’est même arrivé de voir – ou plutôt d’écouter – des fusées à trois étages. Respectons, quoi qu’il arrive, notre interlocuteur : il n’est pas animé par la duplicité, mais par la prudence. Se dévoiler ne se fait pas à la légère, et c’est à l’écoutant de respecter la pudeur de l’écouté.
Comment se déroule la rencontre ? La diversité des situations et des personnes rend illusoire tout protocole, et il serait risqué de faire rentrer les écoutes dans des schémas préalables. Quelques mots cependant : il faut créer un climat de confiance, par exemple en donnant son prénom, et en précisant qu’on est disponible pour tout entendre et ne rien répéter (sauf obligation légale). Un écoutant n’est pas appelé à être totalement silencieux. Il peut reformuler les paroles qui lui sont dites, par exemple lorsque son interlocuteur lâche après une suite de phrases sans importance sa « bombe atomique », c’est-à-dire quelques mots très signifiants, parfois bredouillés ou coupés de larmes. On doit alors remettre en forme ce qu’il a dit, en lui demandant si c’est bien cela qu’il a voulu dire : ainsi, il aura la certitude d’avoir été entendu, ou en cas d’erreur toujours possible il pourra rectifier notre compréhension. L’écoutant n’est pas là pour prendre la parole au dépens de l’écouté, mais il peut l’aider à poursuivre avec une question bien choisie, ou une phrase d’Evangile opportune. Le langage du corps dit beaucoup de choses : soyons attentifs aux mâchoires serrées, aux yeux mouillés, au menton tremblant, à la voix qui s’altère. Il vaut mieux se placer à côté de l’écouté plutôt qu’en face, on accompagne sans évaluer et la personne qu’on écoute ne doit ni soutenir ni éviter notre regard. On laisse pleurer le temps qu’il faut, sans interrompre : la conversation reprendra ensuite. Mais il est préférable de ne pas exprimer pleinement notre propre émotion car cela bloquerait la confidence. L’écoutant peut toujours pleurer seul, ensuite, pendant le moment de prière.
Il nous faut écouter de toute notre attention, et être en accord profond avec nos paroles : une erreur sera pardonnée, mais pas une distraction ou un mensonge même bien intentionné. Un écoutant n’a pas à juger, ni celui ou celle qu’il écoute, ni même ceux qui lui ont fait du mal. C’est aux victimes de qualifier les actes et les personnes si elles le veulent et elles n’ont pas besoin de nous pour cela. Une écoute prime sur tous les horaires, et ne peut être interrompue: nous pouvons le faire remarquer s’il apparait qu’on tourne en rond, mais c’est à l’écouté de mettre fin à l’écoute. Et à nous de lui donner en cadeau de départ une parole d’espérance. Elle changera peut-être sa vie.
En conclusion, s’il me faut résumer d’un mot l’attitude à prendre, ce sera : compassion.
Laissons-nous toucher : c’est facile, il suffit d’écouter.