Le livre de Job : un appel à l’amitié au nom de Dieu
Cet article est paru dans le n°241 d’Initiales : Souffrir pour quoi, pour qui ?
Parfois fatigués de vivre, nous faisions nôtre la désespérance de ce livre : « Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein [de ma mère] ? » (Jb 3, 11), crie le poète, se lamentant sur lui-même. Mais il est également le chantre de la douleur de ses contemporains : « N’est-ce pas un temps de corvée que le mortel vit sur la terre et comme les jours de saisonnier que passent les jours ? » (Jb 7, 1)
Job est un audacieux téméraire ; il veut que Dieu se justifie devant lui, il somme le souverain de l’univers de s’expliquer au sujet de la douleur de la vie. Le plus étonnant est que Dieu prend le temps de répondre à Job, de manière inattendue, comme toujours. La fin du livre est un discours de Dieu dans lequel il se présente comme celui qui a tout créé et qui maîtrise toutes choses, mêmes les plus funestes, comme la tempête et la mer, mais surtout, comme l’hippopotame et le crocodile (Jb 40, 15-32). Pourquoi faire de telles monstruosités ? Pour les tenir en laisse et jouer (Jb 40, 29) ! Effectivement, quand on est le tout-puissant, tout devient plus simple ! Mais alors, pourquoi Job connaît-il un sort si funeste ?
Le poète qui met en musique ces cris déchirants s’appuie sur un vieux conte populaire qui présente le sort d’un personnage parfait (Jb 1-2 ; 42, 7-17). Il est accusé devant Dieu par Satan, dont le nom signifie l’Accusateur et qui n’est autre que le procureur général de la Cour de justice que Dieu préside. Satan accuse parce qu’il est ainsi : Job est parfait, certes ; cependant, il ne le fait pas gratuitement, mais par intérêt ; la piété de Job ne saurait être gracieuse, selon Satan ; elle ne peut être que calcul. Comment laver Job d’un tel soupçon ? Comment lui donner de montrer l’authenticité et la sincérité de sa foi ? Dieu autorise Satan à faire tomber sur Job tous les malheurs possibles ; ainsi, il sera manifeste que Job éprouve la fidélité de Dieu à travers les nombreuses épreuves qu’il reçoit.
Job seul et malade est cri vivant qui appelle la justice et l’amitié ! Comment entrer seul dans une telle aventure qui veut faire éprouver la face cachée de l’existence, le don divin qui est à l’origine de tout ? Job est entouré de trois amis : Élifaz, Çofar et Bildad. Ils viennent soutenir leur compagnon et, pour cela, ils lui récitent les bonnes leçons apprises autrefois : « Tu portes toi-même la responsabilité du malheur qui t’a atteint. » Pour dire cela, ils ne font pas preuve de méchanceté, mais ils sont convaincus, avec une certaine raison, que le bien engendre le bien… Dieu bon et trois fois saint rend contagieuses la bonté et la sainteté ! Croyant être simplement logique, ils en déduisent que le mal engendre le malheur ! Et la réalité leur donne parfois raison. Mais pas toujours ! Tant d’innocents souffrent. Et le poids de souffrance de quiconque peut-il être justifié par une quelconque faute commise ? Job ne supporte pas cette idée : « Si j’ai péché, en quoi t’ai-je offensé, “toi, le gardien de l’homme ?” Pourquoi me prendre pour cible, pourquoi te serais-je un fardeau ? » (Jb 7, 20), dit-il, en parlant non pas de ses amis, mais bel et bien à Dieu !
Dieu ne peut punir ainsi un écart ! Dans ce long dialogue entre Job et ses amis, ce sont deux images de Dieu qui se heurtent et entre lesquelles Job cherche une issue.
- Soit Dieu est un grand maître d’oeuvre qui a tout pensé, ordonné, et en dehors de sa Loi, rien ne fonctionne : le péché est-il la cause du malheur des hommes ? C’est ce que disent les amis. Le problème n’étant pas qu’ils aient raison ou tort, ils disent cela sans amitié, sans compassion. Leur discours n’est pas une bénédiction, mais une accusation. En fait, ils n’en savent rien, mais ils sont la voix sur terre de ce Satan qui accuse (cf. Jb 4, 6).
- Soit Dieu est un espion, un brigand imprévisible, dont le nom serait alors hasard. Et si tel est le cas, Job demande seulement qu’il détourne de lui son regard quelques instants, juste pour vivre : « Ne peux-tu cesser de me regarder, le temps que j’avale ma salive ? » (Jb 7, 19).
La loi du hasard et la loi du maître d’oeuvre sont toutes deux aussi implacables l’une que l’autre ! Aucune n’offre un peu d’espace pour respirer sous le regard de Dieu. Aussi Job réclame-t-il un ami, un médiateur entre lui et le Seigneur : « Car lui [Dieu] n’est pas comme moi un humain pour que je lui réplique et qu’ensemble nous allions en justice. Pas d’arbitre entre nous pour poser la main sur nous deux, pour écarter de moi son bâton, et pour que sa terreur ne m’épouvante plus. Alors je parlerais sans avoir peur de lui. Mais il n’en est rien : je suis face à moi-même. » (Jb 9, 32-35).
Cette demande d’un médiateur parcourt le livre (Jb 16, 21). C’est un cri, un plaidoyer pour l’amitié ; la vie n’a pas de sens sans cet ami, qui se lèvera librement pour permettre de toiser, d’éprouver le sens de la vie, dans la gratuité d’un instant partagé.
Le livre de Job est porteur d’un message d’amitié, mais surtout d’audace et d’espérance. Ce livre, écrit au IVe siècle avant Jésus Christ, n’est pas rédigé en un temps où l’on croit en la Résurrection ou en une quelconque forme de vie après la mort. Pourtant, Job crie autant qu’il peut la nécessité d’une Résurrection aussi impensable qu’indispensable, mais qui seule lui permettra une rencontre gratuite et gracieuse de Dieu. « Mais je sais, moi, que mon rédempteur est vivant, que, le dernier, il se lèvera sur la poussière ; et quand bien même on m’arracherait la peau, de ma chair je verrai Dieu. » (Jb 19, 25-26).
L’arbitre, l’ami, le rédempteur, revenu d’entre les morts rend ainsi possible la rencontre entre Dieu et Job, que ce dernier à l’audace de réclamer envers et contre tous. Par ce retour improbable, alors Job serait transformé, transfiguré par la lumineuse simplicité de l’existence ainsi renouvelée, grâce à Dieu, devant lequel nous ne sommes là ni par hasard, ni par calcul, par l’amour de celui que nous nommons « Père » !