Veau d’or hier, idoles d’aujourd’hui : renouer l’Alliance avec Dieu
Cet article est paru dans la revue Initiales n°239 : Écrans et Cie
Vénérant des idoles, le peuple provoque la colère de Dieu. Moïse se fait alors médiateur. L’épisode du livre de l’Exode au chapitre 32, versets 1-14 interroge sur notre relation à Dieu, la place accordée aux idoles d’aujourd’hui…
Après la sortie d’Égypte, Dieu a proposé l’Alliance à Moïse et à son peuple. Et le peuple, unanime, a accepté l’Alliance. Après l’extraordinaire manifestation de Dieu, dans les éclairs, le tonnerre et le feu, le peuple s’est engagé de nouveau : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique, nous y obéirons » (Ex 24, 7). Moïse remonte alors sur la montagne pour recevoir les tables de la Loi et les consignes de culte pour célébrer l’Alliance.
Rebelle ? (versets 1-6)
Soudain, le projet de sanctuaire à construire est interrompu. Pendant que Moïse reçoit les ordres de Dieu, le peuple prend peur et se révolte. Il voit que Moïse tarde à revenir, son absence se fait ressentir et le peuple commence déjà à se détacher de lui. Sans lui, pas d’expérience religieuse extraordinaire, de sensation forte. C’est le quotidien qui se réinstalle, sans rien voir ni entendre… Où est passé Moïse ? Et où donc est Dieu ?
Inquiet de ne plus revoir Moïse, le peuple demande à Aaron de lui donner des dieux qu’il puisse voir et toucher. Il décide Aaron à fabriquer, avec les bijoux (venus d’Égypte) que porte le peuple à ses oreilles, une statue de veau d’or. Le peuple fait référence aux dieux qu’il a connus dans son passé récent, en imitant le taureau Apis qui était adoré en Égypte.
L’épisode du veau d’or représente donc la première rupture d’Alliance entre Dieu et le peuple hébreu. Le peuple est impatient et veut exercer sa liberté tout de suite, en se donnant un dieu de sa propre fabrication et contrevient ainsi au premier commandement de l’Alliance : « Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les Cieux… Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte » (Ex 20, 4-5).
Si la liberté du peuple était autrefois entravée par les Égyptiens les tenant sous leur joug, cette fois-ci, c’est le peuple lui-même qui se rebelle et retarde sa libération. En fabriquant un veau d’or, c’est l’Alliance qui est « écornée » !
Dieu en a assez ! (versets 7-10)
Le peuple fautif s’attire la colère de Dieu. Dieu prend acte de la libre décision du peuple et de son manque de fidélité. Il menace de mettre fin à sa relation avec Israël, et de tout recommencer avec Moïse. Dieu prend ses distances par rapport au peuple, qu’il appelle « ton peuple » en s’adressant à Moïse (verset 7) puis « ce peuple » (verset 9).
La colère peut se comprendre : le peuple a trahi la confiance et n’a pas su garder sa promesse de respecter l’Alliance. Mais la colère peut aussi étonner : Dieu réagit-il avec les mêmes comportements et les mêmes emportements que les hommes ? Nous plaquons souvent nos propres sentiments sur Dieu. Mais il arrive que dans l’Ancien Testament, la colère de Dieu exprime surtout son refus inlassable de nous laisser nous égarer dans des impasses ou dans des chemins de malheur et de mort. Dieu ne reste jamais indifférent au devenir de son peuple.
Moïse l’aura-t-il compris ? Cette tension devient une épreuve autant pour l’un que pour l’autre.
C’est ton peuple ! … Non, c’est le tien ! (versets 11-14)
Moïse est comme piqué au vif et rappelle à Dieu ses obligations ! Tout en voulant apaiser la colère de Dieu, Moïse tient ici son rôle de médiateur : « C’est ton peuple », dit-il à Dieu (verset 11). Et il fait appel à la fidélité de Dieu.
Ses arguments portent sur la réputation de Dieu auprès des nations étrangères, sur son honneur face à ses ennemis : que diront les autres de toi, et en particulier les Égyptiens, si tu ne reviens pas sur ta décision ? Mais aussi sur sa promesse faite aux patriarches Abraham, Isaac et Jacob de leur donner une descendance et une terre. Son peuple en est bien l’héritier. L’intercession de Moïse en faveur du peuple semble efficace : Dieu va alors renoncer à punir ce peuple qui reste « son peuple » (verset 14).
Ces versets sont importants, car ils énoncent ici la foi d’Israël en la miséricorde de Dieu et en l’efficacité des médiations humaines. Ils représentent une conception théologique de la faute et du pardon, qui contrastent avec l’idée de sanction violente et de purification évoquées dans la suite du récit (versets 19-20 et 25-28).
Façonner Dieu à sa façon ?
Ce récit complexe, aux traditions littéraires multiples et anciennes, laisse au lecteur nombre de questions : Quel est le sens de ce veau d’or ? Retour au polythéisme (« Fais-nous des dieux ? », verset 1) ou manifestation liturgique (« demain, fête pour le Seigneur ! », verset 5) ? Syncrétisme des deux (« Aaron bâtit un autel en face du veau en métal fondu », verset 5) ?
Et Aaron ? Son rôle est ambigu : est-il innocent (tout cela s’est fait presque malgré lui) ou complice (des bijoux jetés au feu ne formeront un veau d’or que par ses mains) ? Il essaie de gagner du temps et de préserver le culte à rendre à Dieu. Pourtant, s’il s’agit de rendre un culte à Dieu, celui-ci est alors illégitime, car il ne respecte pas l’interdiction des images formulées dans le Décalogue.
L’enjeu théologique sous-jacent au récit est la reconnaissance par Israël de Dieu comme seul et unique Dieu. Le peuple semble avoir la mémoire courte : il a déjà oublié que Dieu l’a libéré de l’esclavage et retombe dans la servitude d’une idole. Cette reconnaissance de Dieu comme Sauveur est pourtant fondatrice de sa liberté.
Si la description du péché d’Israël tient une place centrale, ce qui est en cause ici est la conception même de Dieu : se fait-on une représentation de Dieu à son idée, pour faire de lui ce que l’on veut ? Ou bien le reconnaît-on comme le Tout-Autre, insaisissable, ne se révélant que selon sa volonté ? Si la révélation de Dieu se manifeste ici davantage dans la miséricorde que dans le caprice orgueilleux, Dieu reste néanmoins celui sur lequel on ne peut pas mettre la main.
Illusion pour une désillusion !
En interdisant les représentations, Dieu veut éviter à son peuple le danger de l’idolâtrie : adorer la représentation inanimée de Dieu plutôt que Dieu lui-même. Pour Dieu, sa « meilleure » image, c’est l’homme vivant, image du Christ, et non une représentation animale ! Dieu aime se faire connaître non pas dans des statues sans vie, mais dans le déroulement de notre histoire.
Vouloir se fabriquer soi-même des dieux représente tout à la fois une illusion et une volonté de mainmise sur la divinité, avec le désir d’en disposer tout de suite, sans attendre. L’idole faite de mains d’hommes peut être manipulée ; elle est l’objet de celui qui l’a construite. Elle en est même sa projection, son prolongement. Tout son univers est orienté, organisé, voire orchestré autour d’elle.
Aujourd’hui, pour beaucoup d’ados, et quelquefois pour certains adultes, la fascination pour les écrans peut parfois remplir cette fonction d’idole, en créant des modes de vie et de communication nouveaux, au point de devenir le prolongement d’eux-mêmes, faisant partie intégrante de leur identité. D’ailleurs, priver un jeune aujourd’hui, même temporairement, de son écran et de l’expression ou de la communication que cet objet permet, lui apparaîtra comme privation d’une partie de son identité, de son existence, et sera peut-être même aussi douloureuse que l’amputation d’un membre !
La Parole est d’or !
Dans sa peur aveuglante, le peuple cherchait moins à offenser Dieu qu’à être secouru et réconforté par une présence supérieure qui protège, sécurise et féconde la vie de chacun.Ne sommes-nous pas très proches des Israélites qui ont fabriqué le veau d’or ? Nous aussi, nous voulons des dieux qui sécurisent. Nous aussi, nous avons besoin d’un Dieu qui se voit, qui se touche… Mais les veaux de métal sont plus muets que le Dieu invisible ! Ils sont impuissants à nous parler d’amour. Ils ne peuvent exprimer ni compassion, ni miséricorde.
On se trompe si l’on va chercher Dieu dans d’illusoires sécurités matérielles. Car Dieu est relation. Dieu est une Parole qui se communique, une Parole qui circule, pas de manière uniquement virtuelle. Avez-vous déjà entendu un veau d’or vous dire : « Tu as du prix à mes yeux. Je t’aime plus que tout ? » À travers nos écrans, nous le dira-t-on souvent ?