A la Vigile pascale, l’unique dessein de Dieu révélé dans l’Ancien et le Nouveau Testament
Quelles sont les origines de la veillée pascale ? Tout d’abord, il faut restituer très brièvement et mettre en perspective historique le choix de ces sept lectures, ainsi que l’histoire de l’instauration, ou plutôt de la restauration de la Vigile pascale.
Pour cela, on peut s’appuyer plus particulièrement sur la série L’Eglise en prière. Introduction à la Liturgie. La liturgie et le temps, tome IV, édition nouvelle, dirigée par le Père Aimé Georges Martimort, éd. Desclée, 1983.
Nous ne pouvons que résumer succinctement l’époque contemporaine, et surtout renvoyer, pour ceux qui voudraient aller plus loin, à ce livre collectif.
D’où vient ce choix de ces 7 lectures de l’Ancien Testament ?
Six des sept lectures de l’Ancien Testament (dans le Missel de 1970) ont été choisies parmi les 12 lectures antérieures à 1951. La 7e (Ez 36, 16-17a. 18-28) a remplacé Ezéchiel 37 utilisé à la messe du soir de la Pentecôte, car Ezéchiel 36 a été interprété par les Pères de l’Eglise comme une annonce du baptême.
Le choix de ces textes de l’Ancien Testament n’a pas été fait au hasard. Il s’enracine dans la tradition juive. En effet, selon le targum palestinien (c’est-à-dire la lecture en hébreu d’une section de la Bible, suivie de sa traduction-interprétation de l’hébreu en araméen par les rabbins, aux premiers siècles de l’ère chrétienne, pour le peuple juif qui avait perdu l’usage de l’hébreu), les juifs commémoraient durant la nuit de Pessah (Pâque), le souvenir des « Quatre nuits », c’est-à-dire :
- la nuit de la Création du monde ;
- la nuit du sacrifice d’Abraham ;
- la nuit de l’exode ;
- la nuit de la venue du Messie1.
On retrouve, par la structure de ce « poème des 4 nuits », successivement la 1ère lecture de notre Vigile pascale actuelle, le récit de la Création (Gn 1, 1-2, 2), la 2ème lecture, le sacrifice d’Abraham (Gn 22, 1-18), la 3ème lecture (Ex 14, 15-15, 1a), la traversée de la Mer rouge, et la 4ème lecture, qui est un texte eschatologique (Is 54, 5-14).
Les 3 dernières lectures sont plus directement orientées vers la célébration du baptême. N’oublions pas que lors de la Vigile pascale, traditionnellement, des baptêmes de jeunes et d’adultes sont célébrés. La lecture du chapitre 6 de l’épître aux Romains de saint Paul est également baptismale ; en effet, selon l’enseignement de saint Paul, par le baptême, le chrétien est plongé dans la mort du Christ, enseveli avec lui, pour avoir part à la vie nouvelle du Ressuscité (cf. Rm 6, 3-5). Enfin, le récit de la fin de l’évangile de saint Matthieu (28, 1-10), pris pour l’année liturgique A, nous conduit au récit de la découverte du tombeau vide par Marie de Magdala et l’autre Marie, et l’annonce qu’elles reçoivent de l’Ange : « Il est ressuscité d’entre les morts… ».
De quand date la décision d’une veillée, d’une vigile pascale ?
C’est le Pape Pie XII qui répondit à un vœu déjà bien ancré du mouvement liturgique, en plusieurs pays, quarante ans déjà avant le Concile Vatican II (1962-1965), lorsqu’il autorisa, en 1951, la célébration nocturne de la veillée pascale, en attendant de la rendre obligatoire quatre années plus tard, en 1955. Nous n’avons pas la place ici de développer davantage l’histoire de la tradition d’une veillée pascale, mais cette tradition, comme il arrive souvent en bien d’autres domaines de la tradition, existait dès le début de l’Eglise et a été redécouverte dans les décennies qui ont préparé le Concile Vatican II et depuis lors pratiquée.
Une unité éclatante manifestée dans les lectures
Ces 9 textes, 7 de l’Ancien Testament, l’épître de saint Paul, et l’évangile de saint Matthieu, manifestent une unité éclatante.
Cette nuit est donc située à la charnière du mystère du salut. Troisième jour du Triduum pascal et premier jour de la Cinquantaine qui nous conduit vers la Pentecôte. Dans son unité, elle regarde à la fois vers le Vendredi Saint et le temps de la préparation de la Pâque, et vers le temps de la Résurrection jusqu’à la Pentecôte qui célèbre continûment le triomphe du Ressuscité.
Les sept textes de l’Ancien Testament lus lors de la Vigile pascale manifestent donc, dans le choix opéré pour cette célébration, une unité dans le message adressé aux fidèles.
Remarquons qu’ils sont extraits, parmi les trois sections traditionnellement désignées : Torah (Pentateuque), Prophètes, Ecrits, des deux premières.
Le récit de la Création sert de récit des origines, des 6 jours de la Création, et du repos du Créateur, le 7e jour, le shabbat, jour saint, béni par Dieu, séparé des jours de la semaine, jour de cessation de toute activité.
Tout, dans ces sept textes, nous parle du miracle de la vie, suscitée par Dieu, et dans le premier texte de la Genèse, en direction de sa créature, homme et femme (ish et isha sont presque le même mot avec une vocalisation qui marque la différence).
Et les autres textes pointent effectivement vers ce miracle de la vie qui triomphe des menaces de la mort ; (cf. le récit du sacrifice d’Abraham, appelé aussi sacrifice d’Isaac, mais aussi non-sacrifice… ; nos frères juifs parlent de ‘’l’aqedat Itzhaq‘, « ligature d’Isaac » ; nous ne pouvons aller plus loin ici dans ces qualifications…) et la confiance absolue d’Abraham dans le Seigneur (Gn 22, 1-18). Le prophète Baruch, de son côté, exhorte son peuple : « Ecoute, Israël, les préceptes de vie » (Ba 3, 9).
Le prophète Isaïe, dans les deux lectures qui sont faites, magnifie la fidélité inconditionnelle de Dieu à son peuple, et sa miséricorde (cf. en écho le livre d’Osée).
Le passage du peuple hébreu, de l’esclavage en Egypte à sa Libération en Terre promise, est vraiment pour nous, chrétiens, comme une Résurrection d’entre les morts, et sans en faire une lecture substitutive, nous donne un ancrage concret pour mieux comprendre la Résurrection du Christ manifestée pleinement dans la lecture de l’évangile de Matthieu (28, 1-10) et chez saint Paul (Rm 6, 3b-11). Et saint Paul, toujours dans la lecture de l’épître aux Romains, insiste pour dire que le « vieil homme » a été crucifié avec (le Christ) (Rm 6, 6). Ezéchiel, pour sa part, parle du « cœur de pierre » changé en « cœur de chair » (Ez 36, 26). Ne s’agit-il pas, là aussi, d’un même désir de renouvellement entier de la créature face à son Créateur ?
La Résurrection, c’est cette puissance de renouvellement de toutes choses en Christ, pour revêtir cet « homme nouveau » (Ep 4, 24) dont nous parle ailleurs saint Paul.
Bruno Charmet, SNRJ, pour le SNCC
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1. Ce « Poème des Quatre Nuits », qui est une amplification d’Ex 12, 42, est accessible en français dans le Targoum du Pentateuque, tome II, coll. ‘’Sources chrétiennes », n°256, éd. Le Cerf, 1979, p. 96-99, dans la traduction (depuis l’araméen) de Roger Le Déaut. Voir du même auteur, La Nuit pascale. Essai sur la signification de la Pâque juive à partir du Targoum d’Ex. 12, 42, Rome, 1963, (Analecta biblica, 22).
Il serait très fructueux, y compris pour le dialogue judéo-chrétien, d’explorer les pistes de recherche que propose le rabbin Rivon Krygier sur l’existence d’une « vigile pascale », une veillée ancestrale (comme aujourd’hui est largement pratiquée une nuit d’étude lors de la fête de Shavouot), lors de la fête de Pessah, à l’époque talmudique, rite aujourd’hui oublié et qui, à l’époque, visait à « atteindre l’aurore en plénitude d’éveil et de réactualiser ainsi la rédemption au lever du jour, en temps synchrone avec le moment critique de la sortie d’Egypte. » Cf. Rivon Krygier, « Veille et sommeil d’Israël. Le rite oublié de la veillée pascale dans la Tradition juive », in Revue des Etudes Juives, janvier-juin 2007, p. 59-89.