Jésus et les vendeurs du Temple : le sens de la mission du Christ dans l’évangile de Jean
Cet article est paru dans la revue Initiales n°236 : Oser la parole
Quand Jésus se met en colère pour dénoncer le trafic des marchands du Temple, ses contemporains, et nous-mêmes aujourd’hui, ne comprenons pas toujours son message.
La traduction de cet Évangile (Jn 2, 13-22) retenue est celle de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB), corrigée, pour faire apparaître la différence entre le Temple (« hieros »), qui comprend l’ensemble des portiques-cours-dépendances, et le sanctuaire (« naos »), qui désigne le cœur du Temple, où se trouve le Saint des Saints….
Un refus de commerce dans le Temple
Dans l’Évangile selon saint Jean, c’est la première fois que Jésus vient à Jérusalem au moment de la fête de la Pâque. Son premier geste est de se fabriquer un fouet pour chasser les marchands, leurs bœufs, leurs brebis et leurs colombes ainsi que les changeurs. On peut alors s’étonner de cette violence. Après tout, tous ces gens sont là pour que le service du Temple se passe bien : puisque l’on offre des sacrifices d’animaux, il faut bien pouvoir se procurer des bœufs et des brebis. Et pour éviter de faire rentrer dans le Temple des monnaies à l’effigie païenne de l’empereur de Rome, les changeurs sont bien nécessaires.
Le culte dénoncé comme trafic
Alors, qu’est-ce qui peut bien pousser Jésus à un tel accès de colère ? Il le dit lui-même : « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. » Est-ce le commerce qui est visé ? Non, mais plutôt la manière de rendre un culte à Dieu. « Je t’offre un bœuf donc tu me dois ce que je te demande. » Le culte devient un trafic où je pense pouvoir avoir prise sur Dieu. Symboliquement, Jésus déclare ainsi la fin des rites sacrificiels. Ceux-ci seront remplacés par l’offrande que Jésus fera de sa vie. C’est bien ainsi que le comprendront les disciples après la mort de Jésus, comme en témoigne la citation d’un psaume très utilisé dans le récit de la Passion : « Le zèle de ta maison me dévorera » (Ps 69,10).
Le véritable sanctuaire
Les autorités juives demandent alors un signe qui puisse accréditer le geste de Jésus. La réponse de Jésus n’est pas compréhensible dans un premier temps : « Détruisez ce sanctuaire (Naos) et, en trois jours, je le relèverai. » On remarquera que Jésus ne parle plus du vaste ensemble que forme le Temple de Jérusalem mais du sanctuaire, c’est-à-dire le lieu sacré au centre du Temple, lieu de la présence invisible de Dieu. Les autorités juives reprennent le mot de sanctuaire mais parlent en fait du Temple qui a été agrandi pendant quarante-six ans par le roi Hérode Ier le Grand.
Il y a évidemment malentendu. Jésus se présente comme le vrai sanctuaire, lieu de la présence de Dieu ; ses interlocuteurs ne pensent naturellement qu’aux pierres.
L’évangéliste interprète
Le narrateur précise aussitôt à son lecteur la véritable interprétation de la Parole de Jésus : « Mais lui parlait du sanctuaire (Naos) de son corps. » Le véritable sanctuaire, c’est le corps de Jésus, crucifié et ressuscité le troisième jour.
C’est lui qui assure désormais le rôle que le Temple jouait dans le monde juif. L’évangéliste ajoute que cette lecture ne pouvait être faite qu’après la Résurrection de Jésus. C’est elle qui donne la clé de l’interprétation.
Un Évangile à lire et à interpréter !
Nous le comprenons bien : nous ne pouvons pas rester à une lecture au premier degré.Le problème à régler paraît simple : c’est la présence du commerce dans le Temple.
Premier déplacement : nous passons du commerce à sa signification pour la relation à Dieu. C’est le culte sous forme trafic qui est condamné par Jésus.
Deuxième déplacement : nous passons du sanctuaire, lieu de la présence invisible de Dieu, à la personne de Jésus-sanctuaire, véritable présence de Dieu.
Troisième déplacement : ce sanctuaire détruit et rebâti en trois jours, c’est Jésus mort et ressuscité. L’ensemble de la vie de Jésus n’est compréhensible qu’à la lumière de la fin.
Pourquoi ce récit au début de l’Évangile plutôt qu’au moment de la Passion ?
Dans les Évangiles synoptiques (les Évangiles de Marc, Matthieu et Luc), l’épisode de Jésus chassant les vendeurs du Temple se trouve situé juste avant la Passion. En situant cet épisode au début de son Évangile, l’évangéliste Jean en fait une ouverture sur le sens de la mission de Jésus et sur le mystère de sa personne. Dès son arrivée à Jérusalem, Jésus est présenté à la fois comme celui qui vient instaurer le culte véritable mais aussi comme étant lui-même l’unique sanctuaire par lequel on peut avoir accès à Dieu son Père. En filigrane, c’est la mort et la Résurrection de Jésus qui sont annoncées et seront perçues comme clé de lecture de toute sa vie par ses disciples. C’est à ce regard de foi que le récit évangélique nous invite.