Dans notre recherche de la vérité, déjouer le serpent !
Cet article est paru dans la revue Initiales n°262 : A la recherche de la vérité
La pandémie mondiale que nous subissons bouscule nos repères et nous plonge dans une incertitude permanente. Chacun cherche, par des moyens de communication devenus virtuels, une parole ou une information sur laquelle s’appuyer.
Mais à une époque médiatique où toutes les opinions se valent, où l’hyperréactivité émotionnelle des réseaux sociaux relativise tout jugement rationnel ou effort de discernement, à qui se fier ? Notre quête de la vérité, frappée d’un désir d’immédiateté obsessionnel, se heurte à chaque instant à des avis différents.
Récit biblique = fake news ?
Quand les hommes affrontent des questions ou des épreuves qui les dépassent, ils font souvent appel à leur imagination pour construire des récits qui donneront les clés de compréhension permettant de surmonter la crise. Dans l’enfance, les contes et légendes contribuent ainsi à apporter des réponses qui aident à grandir. Les adolescents qui apprécient aujourd’hui les histoires héroïques (Avengers, Game of Thrones, Harry Potter…) savent bien que ces récits ne sont pas réels. Loin d’être opposé à la vérité, l’imaginaire déploie une en construisant du sens commun à tous.
Ainsi en est-il dans la Bible des onze premiers chapitres de la Genèse. Le récit du serpent en Gn 3, qui fait suite au second récit de création, peut nous éclairer aujourd’hui encore, tant sur la crise que nous traversons que sur notre quête de la vérité.
Don contrarié = confusion assurée ?
Le second récit de création porte sur la manière dont les êtres humains vont gérer les dons de la Création qui leur sont confiés, mais aussi sur les relations vitales qu’ils impliquent pour eux, aussi bien avec la terre qu’avec leurs semblables et Dieu. Mais cela n’est pas sans difficulté ni sans risque. L’homme va faire un mauvais usage de ce don, avec le premier serpent venu… Dans ce jardin d’Éden, jardin des dons, où tout est aussi beau que bon, remarquons bien deux arbres qui se distinguent : l’arbre de vie qui est au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal dont on ignore l’emplacement.
Si le premier est en libre accès, seul le second fait l’objet d’un interdit. Dieu n’empêche pas de profiter du jardin, mais la limite donnée sert de lien entre Dieu et les hommes. Un “inter-dit” demeure une parole pour éviter une totale possession, pour maintenir une distance qui fonde la liberté, respecter chacun sans (con)fusion.
Et c’est précisément la confusion que le serpent vient instaurer. Dans l’Antiquité, le serpent, assimilé aux divinités, représente celui qui se prétend à l’origine de la vie et veut la reprendre pour lui. Le serpent utilise l’homme pour avoir accès à la vie, la garder pour lui seul et en priver les autres. Il devient ainsi un symbole du mal. Il demeure extérieur à l’homme Mentir = refaire l’histoire à l’envers ?
Le serpent demeure ici une créature que le Seigneur a faite, un animal semblable à ceux mentionnés en Gn 2. Mais de là à parler ? Cette invraisemblance pointe le message du récit : le mal s’immisce dans la parole. Le dialogue joue de manière subtile avec la vérité et fausse la Parole de Dieu, par un double mensonge : en généralisant l’interdit à tous les arbres au v. 1, puis en insinuant le pouvoir d’égaler et même de surpasser Dieu, au v. 4-5.
En cherchant à rétablir la vérité sur ce que Dieu a dit, mais sans s’appuyer sur la Parole de Dieu, la femme se trompe d’arbre en parlant de celui du milieu du jardin et donne l’information que le serpent souhaitait : savoir où se trouve l’arbre de vie pour se l’accaparer. Le serpent laisse la femme dans la confusion qui conduit à désirer posséder la connaissance, dans l’illusion de pouvoir se passer de Dieu.
Vérité = fragilité ?
Père François Campagnac, Vicaire général, diocèse de Sens-Auxerre
Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. (…)
Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde. Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet ordre : “Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras.”
(…)
Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : “Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ?” La femme répondit au serpent : “Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.”” Le serpent dit à la femme : “Pas du tout ! Vous ne
mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.” La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. (…) Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : “Où es-tu donc ?” (…)
Gn 2, 8-9.15-17 et 3, 1-9