La place des personnes handicapées dans nos communautés d’Eglise
Nos communautés se rassemblent pour manifester le «corps ecclésial» dont la tête est le Christ lui-même. Si un seul des baptisés manque, c’est l’édification de tout le corps qui en est affectée. Nos communautés disent quelque chose de la foi de l’Eglise par la qualité de l’accueil qu’elles réservent à tous et à chacun, quelle que soit sa condition (riche, pauvre, handicapé ou valide, enfant ou personne vieillissante…).
Enfants qui font du bruit, personnes vieillissantes qui ne savent plus s’il faut dire «merci» ou «amen» en allant communier, personnes provenant d’autres cultures, personnes porteuses de handicaps, tous ceux-là viennent déranger le «bon ordonnancement» de nos célébrations.
Et pourtant, c’est à eux aussi qu’il est donné de rencontrer le Christ dans nos liturgies.
Tout d’abord, dans nos liturgies
L’étymologie du mot liturgienous dit que c’est le peuple (laos) qui fait, qui œuvre, qui agit (-urgie).
Or nos liturgies sont «pour la gloire de Dieu et le Salut du monde».
C’est donc le Salut de tous qui est en jeu, pas seulement celui de quelques-uns. C’est pourquoi l’Eglise a retenu tout ce que nous trouvons dans tous nos rituels liturgiques pour que ce Salut soit annoncé à tous dans nos liturgies.
Toute la liturgie, donc rien n’est à supprimer, rien à modifier, rien à ajouter: dans nos liturgies il y a déjà tout et les rituels sont pleins de possibilités d’adaptations aux différentes populations concernées.
Les personnes avec handicaps intellectuels, mais aussi beaucoup d’autres personnes, parce qu’elles ont une «intelligence autre, une intelligence particulière» sont, souvent plus que nous ne pourrions l’imaginer, sensibles à ce que la liturgie leur permet d’expérimenter par les cinq sens.
L’Eglise dit quelque chose de sa foi et nous aide à structurer la nôtre par tout le «meta-langage» de la liturgie: les changements de posture, les mouvements, le chant, les vêtements liturgiques, le mobilier liturgique, l’architecture du bâtiment, tout ce qui est donné à voir et à entendre, tout cela nous aide et agit sur nous mais bien souvent sans que nous nous en rendions compte alors que les personnes avec handicaps y sont spontanément plus réceptives et dans des proportions bien plus importantes que ceux qui utilisent leur «intelligence cognitive».
La liturgie nous initie dans ce qu’elle nous donne à vivre.
Tout ce que la liturgie nous donne à voir, à faire, à entendre, nous instruit sur le Salut qui nous est offert, tandis qu’elle développe les énoncés de foi qu’elle nous invite à proclamer. La liturgie est elle-même catéchétique !
Cette foi professée, célébrée, vécue et priée, comme l’indique le Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC) constitue le trésor de l’Eglise.
Par la pédagogie des cinq sens nous pouvons redécouvrir cette richesse de l’Eglise.
«La liturgie est surtout un lieu vivant de l’initiation… c’est par ce chemin d’expérience que la liturgie insère dans le mystère pascal. Et le lieu principal où s’inscrit en ce monde le mystère pascal, c’est le sacrement de l’Eucharistie.» (TNOC p 43).
L’accès aux sacrements est donc pour tous, y compris pour ceux «qui n’y comprennent rien».
«Il ne peut être question de refuser un sacrement à quelqu’un qui en fait la demande, encore moins si cette personne est handicapée.» (TNOC p 94).
On ne «prépare pas à un sacrement», on accompagne vers la réception, l’accueil d’un sacrement, signe de Dieu qui me conduit à Dieu, et, par-dessus tout, on accompagne dans la croissance de la vie chrétienne… Comment, dès lors, se donner les moyens d’une pédagogie catéchétique adaptée ?
Dans la catéchèse
Si, comme nous le disions dans l’introduction, le Christ est la tête de ce corps ecclésial, «le but définitif de la catéchèse est de mettre quelqu’un non seulement en contact mais en communion, en intimité avec Jésus-Christ» (TNOC p.23 citant l’Exhortation apostolique Catechesi Tradendae, n°5).
En mettant en œuvre la Pédagogie Catéchétique Spécialisée auprès des personnes handicapées, les catéchistes répondent à une invitation de l’Eglise: «De nos jours, grâce aux progrès indéniables de la pédagogie spécialisée, la famille et d’autres lieux de formation sont à même de donner à ces personnes une catéchèse à laquelle elles ont droit parce que baptisées; et celles qui ne sont pas baptisées y ont droit également parce qu’appelées au Salut.» (DGC n° 189).
La catéchèse est à penser à toutes les étapes de la vie: la naissance, l’enfance, l’adolescence, l’entrée dans la vie active, le mariage, l’arrivée d’un enfant handicapé ou pas, le chômage, le départ à la retraite, les deuils… (cf.TNOC, principe d’organisation n°1, pp 73-77).
Au point de départ, il y a cette certitude que Dieu le premier prend l’initiative de «s’adresser aux hommes comme à des amis» et de les «inviter à partager sa propre vie». (Concile Vatican II, Dei Verbum 2).
Il s’agit donc pour les catéchistes de «rendre effectif chez une personne l’accueil de Dieu qui attire à lui.» (TNOC p 27). Oui, mais comment mettre en relation avec le Christ, en intimité avec Dieu, quand il faut se passer de tout appui intellectuel ? La nécessité de rejoindre les personnes dans ce qui «fait sens» pour elles, dans leur relation au monde, devient rapidement évidente.
· Pour Adrien, très sensible à la musique, et qui a un peu de mémoire, c’est une cantilène qui introduira au récit de la Transfiguration.
· Pour Alexandre, qui apprécie bien de s’exprimer avec la peinture aux doigts, c’est un dessin qui lui permettra de s’approprier l’appel des disciples.
· Pour Emilie, qui a tant besoin de bouger, c’est en mimant le porteur qu’elle découvrira le récit de la guérison du paralytique.
Et chacun pourra ainsi, à sa façon, (dans sa «langue»…) découvrir comment il est rejoint par le Christ.
Mais il ne s’agit pas là seulement d’artifices pédagogiques. Car les ajustements personnalisés que nécessite la pédagogie spécialisée obligent d’abord à une fine connaissance des personnes.
· Savoir que Kevin n’a pas accès à la compréhension symbolique ne se découvre qu’au fil des rencontres -et des incompréhensions- !
Comprendre l’importance pour Judith de participer physiquement aux déplacements: processions, changements d’attitudes et de position (tels qu’ils se vivent dans la liturgie) nécessite de partager ces moments avec elle.
C’est dans cette proximité et cette connaissance de l’autre, en respectant ses modes de communication privilégiés, que se tient le catéchète. C’est dans cette qualité de relation à l’autre qu’il peut devenir «témoin en actes».
«Dans la catéchèse, le destinataire doit pouvoir se manifester comme un sujet actif, conscient et coresponsable, et non comme un récepteur silencieux et passif» (DGC n° 167, cité page 46 du TNOC). Auprès des personnes handicapées, ce risque de s’adresser sans chercher le dialogue à un «récepteur silencieux et passif» peut se rencontrer. Ce serait alors faire fi de la dignité de la personne, car ce serait ignorer son espace de liberté, et sa capacité de désir. Ce n’est pas simple, nos lèvres sont tellement pressées de dire toutes les bonnes choses que nous avons à transmettre de la part de Dieu… Et pourtant: prendre au sérieux l’initiative première de Dieu conduit à toujours écouter les personnes «en cherchant l’attente, le désir de Dieu qui a déjà été éveillé en elles par l’Esprit Saint, avant même que commence le travail catéchétique.» (TNOC p 47). Cela permet aux personnes de livrer leur essentiel, de formuler leurs attentes.
«Que veux-tu que je fasse pour toi?» n’est-ce pas la manière qu’utilise le Christ dans ses rencontres avec les personnes, au hasard des chemins de Galilée? Pas d’abord un discours, une annonce … mais l’écoute d’un cri, d’un appel au secours, d’un besoin d’amitié… Pressés que nous sommes dans notre mission de transmission, nous peinons à nous souvenir des exigences de la rencontre: la gratuité, le temps, l’écoute. Quand ces éléments sont réunis, une relation vraie peut s’instaurer, même avec une personne lourdement handicapée. Notre manière d’être avec l’autre, auprès de l’autre témoigne de notre fraternité. Nous sommes situés dans une commune dignité baptismale, fils du même Père, disciples du Christ, temples de l’Esprit, frères en marche sur le même chemin.
Quand la communication avec une personne est supposée simple parce que tout l’arsenal cognitif parait opératoire, nous espérons une rencontre facile et une relation aisée. Et pourtant il arrive bien souvent qu’on ne parle pas «la même langue» du fait de nos origines, notre culture, nos représentations, le cadre de référence … Consacrons-nous suffisamment de temps à dépasser ces obstacles dans la relation?
C’est peu à peu, en cherchant toujours à honorer l’esprit de la Pentecôte, que la personne, quel que soit son handicap, pourra devenir «témoin en paroles», en trouvant dans ses propres moyens d’expression (mots, signes, dessins, pictogrammes…) les supports de l’expression de la foi de l’Eglise.
L’apport de la Pédagogie Catéchétique Spécialisée tient tout autant dans des prouesses de créativité pédagogique que dans la qualité d’une relation qui se veut fraternelle, sans fards, vraie. La catéchèse auprès des personnes handicapées n’est pas possible sans ce préalable. Mais puisque cette manière de faire est aussi la manière du Christ, faut-il la réserver aux personnes porteuses de handicap?
Dans toute la vie ecclésiale
La vie de nos communautés ne se résume pas à la pratique de la messe dominicale. C’est dans tout ce qu’elle donne à voir de sa communion ecclésiale, dans ce «bain de vie ecclésiale» que «la communauté chrétienne est en elle-même une catéchèse vivante.» (TNOC pp 30-31, citant le DGC n° 141). C’est ce bain ecclésial qui est le «milieu vital et permanent de croissance de la foi. » (TNOC p 34 citant le DGC n°158).
Toutes les personnes de la communauté sont invitées au repas paroissial, aux journées d’amitié ou autres kermesses paroissiales, au pèlerinage local, aux temps forts de la paroisse ou du diocèse. C’est dans ces rencontres aussi que les liens de fraternité se tissent. C’est en se donnant les moyens d’inviter puis d’accueillir les personnes avec handicap comme celles qui sont en chemin de catéchuménat ou encore celles qui sont «à la périphérie» que nos communautés mettent en œuvre la réalité de la communion ecclésiale. Que faire pour aider davantage à ce que cela se mette en place dans chacune de nos communautés?
Chacun prend sa place, chacun participe à l’édification de l’Eglise, chacun a quelque chose à apporter à l’édifice. En effet, dans notre vie de communautés d’Eglise, il ne s’agit pas de faire «pour» tel ou tel, sans l’impliquer, mais bien de faire «avec» lui. Même le plus pauvre (et il n’y a pas que la pauvreté financière) a quelque chose à donner. C’est en le reconnaissant et en l’acceptant que l’on permet à chacun d’assumer sa «juste place», celle à laquelle il a droit au seul motif qu’il est une personne, humaine, aimée de Dieu.
En allant jusqu’au bout de cette reconnaissance de ce que chacun peut donner à la communauté, se pose alors la question : Quels moyens nous donner pour oser appeler en responsabilité des personnes plus démunies ou en situations de handicap? C’est sans doute le nouveau défi que nos communautés vont chercher à relever. Il y a de la richesse dans ces «périphéries»!