Enquête sur la dysphorie de genre. Bien comprendre pour aider vraiment les enfants
La journaliste Pauline Quillon publie aux éditions Mame un livre enquête sur la dysphorie du genre, fournissant ainsi aux parents, aux médecins, et à tous les acteurs de l’éducation et de la protection de l’enfance, de précieux outils pour se forger un jugement éclairé. Très rares il y a quelques années, les cas d’enfants et d’adolescents atteints de dysphorie de genre, c’est-à-dire qui s’identifient comme filles ou garçons en contradiction avec leur sexe anatomique, se sont récemment multipliés, parfois assortis d’une volonté de transition médicale de genre. Comment comprendre et analyser ce phénomène, quelles pistes pour écouter et aider les enfants et adolescents – que l’on accompagne en catéchèse et en catéchuménat – qu’ils se sentent concernés ou qu’ils côtoient d’autres enfants et jeunes concernés ?
L’enquête de Pauline Quillon part d’un constat : on assiste depuis les années 2010, dans tous les pays occidentaux, à une augmentation exponentielle du nombre d’enfants et d’adolescents demandant à changer de sexe. Dans les prochaines années en France, on devrait atteindre le chiffre de plusieurs milliers.
La dissonance entre le sexe réel et le ressenti de l’enfant provoque une souffrance importante et il est heureux que cette souffrance puisse aujourd’hui être entendue. Mais comment répondre à ce trouble ? Faut-il rejoindre l’opinion générale favorable aux transitions médicales pour les jeunes ?
L’auteur montre d’abord les problèmes liés au diagnostic de cette dysphorie de genre. Tout d’abord, la recherche d’un médecin américain a montré que pour des jeunes filles pour laquelle elle apparait brutalement à la puberté, elle peut être due à une contagion sociale dans un groupe, comme on le constate pour les troubles alimentaires. D’autre part, l’existence de plus en plus visible de « détransitionneurs », surtout chez les femmes, montre que le diagnostic est parfois fait trop rapidement. Beaucoup de jeunes femmes ont du mal à accepter leur féminité sans vraiment vouloir devenir des hommes. La dysphorie de genre peut être aussi un symptôme d’un autre trouble (anxiété, dépression, autisme…). Le souhait de changer de sexe est aussi parfois lié à une peur de se sentir homosexuel.
La transition médicale, qui est préconisée partout pour accompagner les enfants transgenres, suscite beaucoup d’interrogations. Les effets des bloqueurs de puberté ne semblent pas totalement réversibles ni sans effets secondaires (alors que plusieurs études montrent que 80 % des enfants dysphoriques de genre se réconcilient avec leur sexe de naissance à la puberté). L’hormonothérapie, qui est la suite du protocole proposé, comporte des risques très graves pour la santé. Elle affecte aussi la fonction sexuelle et la fécondité. La transition chirurgicale est très complexe, risquée et douloureuse, sans parvenir à donner vraiment le corps de l’autre sexe mais seulement son apparence.
L’argument principal en faveur d’une prise en charge médicale précoce de la dysphorie de genre est la crainte du suicide, même si la transition médicale semble échouer à rendre les enfants plus heureux. Les médecins se divisent en deux groupes : ceux qui se refusent à appliquer un protocole qu’ils jugent trop expérimental et ceux qui sont favorables à des prises en charge de plus en plus précoces. La notion de consentement est au centre de la controverse. On peut faire le parallèle avec la question du consentement d’un enfant ou d’un jeune adolescent à des relations sexuelles avec un adulte. L’approche « affirmative » du genre (qui consiste à ne pas remettre en cause ce que dit l’enfant et à l’aider, y compris médicalement, dans sa démarche) commence à être remise en question même dans les pays les plus libéraux (Canada, USA, GB, Suisse …) mais reste défendue très violemment par les militants de la cause trans.
Comment en est-on arrivé à considérer comme normaux les parcours transidentitaires chez les enfants ? L’auteur montre tout d’abord le travail des militants LGBT pour faire de la transidentité une identité comme une autre. Par ailleurs, les approches psychologiques et psychanalytiques du transsexualisme sont écartées d’emblée et on évite de se poser la question des causes du phénomène.
La France a longtemps été très prudente dans l’accompagnement des personnes trans mais, depuis la décision de dépathologisation de la transidentité en 2010, les médecins s’alignent de plus en plus sur le modèle anglosaxon. Les enfants peuvent désormais commencer un traitement médical. L’argument avancé pour ne pas différer le traitement est toujours celui de la souffrance subie et du risque de suicide, qui rend impossible toute approche rationnelle. Les associations de défense des personnes trans réclament une libéralisation totale, c’est-à-dire le respect de leur autodétermination, la suppression de tout protocole, de toute équipe officielle et de tout délai. Elles vont même encore plus loin : l’idée est que nous avons tous une « identité de genre » que nous sommes autorisés aujourd’hui à découvrir et à faire grandir ; le droit à une éventuelle transition médicale se rattache aux « droits sexuels » comme le droit à la PMA et à l’avortement.
Sur le plan juridique, on observe une avancée très nette de l’approche « affirmative ». En Europe comme aux Etats Unis et au Canada, les législations évoluent pour libéraliser la modification de l’état-civil. En France, depuis une loi de 2016, toute personne majeure ou mineure émancipée peut obtenir d’un tribunal de grande instance un changement d’état-civil simplement en produisant le témoignage qu’elle vit sous une autre identité. Cela parait encore insuffisant aux militants qui se battent contre la nécessité du passage devant le juge et demandent la suppression de la mention du sexe à l’état-civil. Par ailleurs, la loi adoptée en janvier 2022 sur les thérapies de conversion inclut « l’identité de genre ». La loi vise tout ce qui remet en cause ce que dit l’enfant de lui-même. L’approche « affirmative » de la transidentité s’impose aussi à l’école, avec une directive du Ministre de l’Education nationale de la rentrée 2021 qui lui donne la mission d’accompagner les élèves dans l’exploration de leur « identité de genre ».
Le mouvement transgenre a comme support théorique l’œuvre de la philosophe féministe américaine Judith Butler. Le genre comme le sexe sont, pour elle, des constructions sociales. Pour elle, le genre « nous est imposé à la naissance par le biais du sexe qui nous est attribué et de tous les postulats culturels qui y sont généralement associés » mais nous pouvons transformer cette « assignation ». La différence des sexes sert la domination des hommes blancs hétérosexuels. Les cas d’ambiguïté sexuelle (personnes « intersexes ») sont utilisés pour prouver que le sexe est une construction. L’auteur montre que ce déni de la différence homme/femme remet en cause radicalement le fondement anthropologique de la société. Elle qualifie cette idéologie de « totalitaire et extrêmement intolérante » car elle veut imposer à tous de se définir par rapport à elle. La violence des affrontements sur l’adaptation du langage en est une preuve.
Comment expliquer le succès de cette idéologie qui a réussi à s’imposer en très peu de temps ? Les organisations internationales et européennes défendent l’ « identité de genre » dans un souci de défendre les droits humains mais l’enquête de l’auteur montre qu’elles sont sous l’influence d’un puissant lobby, constitué d’ « une petite minorité ultra- capitaliste qui pourrait trouver un intérêt financier à promouvoir l’idéologie transgenre et à banaliser la transformation des corps par la chirurgie et les produits chimiques ». Par exemple, le milliardaire américano-hongrois Georges Soros finance largement les organisations transgenre. Par ailleurs, cette idéologie transgenre encourage une profonde mutation de notre rapport au corps et favorise le projet transhumaniste c’est-à-dire l’idée que le corps est une matière modelable selon les volontés de l’esprit, grâce à la technique. Elle revendique la liberté absolue, pourtant tout à fait illusoire, celle de s’autodéterminer.
Comment résister à une idéologie promue par des forces si puissantes ? Après une enquête très fouillée, l’auteur propose quelques pistes : encourager la bienveillance et le respect des enfants qui souffrent mais tout en gardant un esprit critique ; soutenir les personnes en souffrance sans accepter une idéologie qui remet en cause les fondements de la société ; croire l’enfant, l’écouter mais non sans dialogue ni sans rappel du principe de réalité ; protéger les enfants des maltraitances et abus sexuels, protéger les enfants d’une exposition précoce à la pornographie ; lutter contre les stéréotypes qui pèsent particulièrement sur les jeunes filles ; valoriser un féminisme qui assume la différence des sexes dans leur égale dignité ; proposer aux jeunes d’autres figures d’identification que celle de l’enfant trans que proposent les médias et les réseaux sociaux.