Réflexion sur l’engendrement et la paternité
Cet article est paru en 2013 dans le Bulletin de Liaison du Catéchuménat.
Qu’est-ce qu’engendrer ? Comment parler de ce lien entre père et fils ou fille ? « A tous qui croient en son nom, le Verbe a donné pouvoir de devenir enfant de Dieu » affirme Saint Jean dans son Prologue (Jn 1, 12). Trois moments peuvent constituer ce parcours parce qu’engendrer ou être fils, c’est à la fois un appel, un choix, et un envoi.
Première facette : la paternité se révèle dans la gratuité et demande respect
Il y a une énigme dans tout engendrement ; une énigme qui convie à un silence intérieur pour accueillir la relation dont elle est porteuse. L’intimité que suppose cette relation demande que nous ne cherchions pas à mettre la main dessus. La figure de Moïse nous éclaire. Devant le Buisson ardent, il enlève ses sandales et entend que ce lieu est saint. La conversation qu’il va avoir avec Dieu va, en effet, le conduire à reconnaître le Seigneur comme origine et père de toutes choses. Cette énigme demande donc de notre part une vraie gratuité puisque Dieu se révèle à nous sans réserve, au-delà de tout ce que nous pouvions espérer.
Seconde facette : la paternité demande foi
La paternité n’est pas et ne sera jamais un droit de propriété.Pensons à notre propre expérience de fils ou de fille ! C’est bien notre mère qui, à notre naissance, nous dit que « cet homme que voici » est notre père. Dit autrement, le père n’accède à l’existence que par la parole de la mère. A lui aussi d’entendre cet amour d’une mère pour qu’il puisse déclarer à son enfant sa paternité : « tu es mon fils parce que la parole de cette femme qui est ta mère est vraie ». Se révèle alors, pour chacun, un lien d’amour conjugal qui demande une véritable acceptation… On sait à quel point nous pouvons mettre du temps avant d’accepter cette parole ou ce lien et d’y porter réponse. En naissant, chacun de nous est donc comme suspendu à cette parole maternelle. En d’autres termes, il y a une part d’inconnu dans toute naissance. Cette part d’inconnu est, en fait, une dette qui demande créance, c’est-à- dire « foi »… parce que nous sommes tous nés d’un don gratuit. En effet, la paternité ne se possède pas comme un bien matériel : un père la reçoit en héritage pour que la vie se prolonge. Aucun fils –comme fils– n’appartient à son père et aucun père –comme père– n’appartient à son fils. Mon origine renvoie toujours à une Origine, un don gratuit. C’est – semble-t-il– ce que le Christ essaie de faire comprendre à Nicodème lorsqu’il lui déclare qu’il faut naître d’en haut. Dans ce dialogue, cette gratuité prend les traits de l’Esprit qui, comme nous le confessons chaque dimanche, procède du Père et du Fils, nous oriente vers le Père et nous fait découvrir cette communauté de frères qu’est l’Eglise. Il y a donc à donner foi en toute paternité, plus exactement à reconnaître ce lien à une parole (celle de nos parents) qui dit la vérité de notre filiation et combat doutes, dénis et violences de toutes sortes. Cette parole trace du même coup le chemin d’une transcendance qui est un appel adressé à toute l’humanité. C’est ce qu’exprime St Paul aux chrétiens d’Ephèse : « Je fléchis les genoux en présence du Père de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom » (Ep. 3,14-15). Que les accompagnements que nous faisons permettent à toute personne de s’ouvrir à cette transcendance.
Troisième facette : la parole
Au cœur de l’incertitude, la paternité est une révélation qui ne se voit pas mais qui se dit. La parole est ce lieu qui engendre, ce « milieu » qui donne vie parce qu’il est à la fois appel (appel ‘adressé à’) et promesse. En quel sens la parole est appel ; un appel ‘adressé à’ ? L’expérience quotidienne apprend que si nous n’y prenons pas garde, nous pouvons passer à côté du temps de la parole. Se parler entre adultes, entre parents, entre parents et enfants n’est en rien évident. De fait, sur ce terrain de l’engendrement, la parole est un appel à articuler le désir qui habite un père et une mère en direction de leur enfant. Car sans parole qui dit ce désir, sans cette parole qui appelle, aucun enfant ne peut se construire vraiment dans sa vie. C’est cette parole, en ce qu’elle est différenciée (c’est-à-dire échangée entre un homme et une femme) et commune à la fois (dite par eux deux) qui donne vie et parole à un enfant. Et celui-ci répondra à ses parents avec ce qu’il est, non pas en écho, mais autrement, donnant vie lui aussi à ceux qui l’ont appelé. Faire ce constat n’est pas aussi simple que cela puisse paraître. En effet, nous sommes toujours tentés par le mutisme, les silences, les secrets ne serait-ce que par le fait que toute naissance est lieu d’un combat où vie et mort s’affrontent. Même si cela n’est jamais parlé, la naissance d’un enfant est, pour tout parent, le signe précurseur de leur effacement et de leur disparition ! Dans ce contexte, comment la vie peut-elle être victorieuse de ce combat intérieur pour chaque être ? Pour qu’il en soit ainsi, il y a une condition : que la parole soit là pour dire aussi la promesse. Dire la promesse ? Dans les contes d’autrefois, le rôle des fées qui se penchaient sur le berceau d’un nouveau-né était bien de figurer un destin, de projeter un avenir. Même si leurs paroles étaient énigmatiques, elles ouvraient un possible. Dit autrement, elles accompagnaient l’enfant en attestant que son action serait personnelle, qu’elle serait distincte de celle d’un congénère. Certes tout enfant a besoin de transformer ce destin en liberté. Mais cette parole qui était prononcée à sa naissance était là pour qu’il tienne face à tous les événements de l’existence. Si bien que lorsque cette parole fait défaut, il est logique de se demander comment tenir dans la vie ? Des parents qui ne peuvent soutenir la vie de leur enfant risquent de ne pas lui permettre de soutenir sa vie, de venir au monde. En revanche si un père et une mère renvoient, dans et par leur différence, à une Origine qui les dépasse, un espoir de fécondité continue s’ouvrira.
Toute cette analyse qui chemine dans les profondeurs psychologiques de notre humanité peut paraître bien lointaine de nos préoccupations … tout en percevant peut-être qu’elle vient aussi frapper à notre porte en quelques endroits. Elle peut se dire plus simplement. Lorsque le prophète Isaïe dit qu’un rejeton sortira de la souche de Jessé, qu’il mettra la main sur le trou du cobra, etc., il redonne – par cette figure – espérance à tout un peuple qui a perdu sa liberté et que les liens de la mort viennent enserrer. En sa personne, le prophète provoque Israël à retrouver le sens d’une révélation, d’une foi et d’une parole, dans un engendrement qui va redonner la vie à ce fils qu’est le peuple recherchant le Père.
Il me dira : Tu es mon Père, mon Dieu, mon roc et mon salut ! Et moi, j’en ferai mon fils aîné.
– Psaume 88, 27-28