Résistance et liberté

Edouard Bernard Debat-Ponsan (1847-1913). Esquisse pour l’église Saint-Pierre-Saint-Paul de Courbevoie : « Saint Paul devant l’Aréopage ». Huile sur toile. 1876. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.

Cet article est paru dans la revue Initiales n°266 : Laïcité et religion

Comment se sentir à sa place dans la société quand on est un nouveau converti ? C’est une question vieille comme le christianisme à laquelle saint Pierre tentait de répondre, proposant un chemin entre exigences de la vie baptismale et exigences de la vie sociale.

Disséminés en petites communautés à travers toute l’Asie mineure, les chrétiens à qui est envoyée la Première Lettre de Pierre viennent du paganisme. Leur conversion a entraîné une rupture avec leur ancienne manière de vivre, les éloignant de la vie publique, avec ses cultes aux dieux de la cité et de l’empire.

Leur vie sociale change, leurs mœurs évoluent. Marginalisés, ils vivent, comme des “gens de passages et des étrangers” (2,11), la dure condition de ceux qui ne sont plus vraiment chez eux là où ils habitent. Comment tenir dans un environnement devenu hostile, sans revenir aux anciennes mœurs ? L’auteur de la lettre va s’employer à leur donner des clefs pour vivre l’Évangile et la différence chrétienne au sein de la société païenne où ils vivent. Il va tracer pour eux un chemin en tension entre exigences de la vie baptismale et exigences de la vie sociale. Vivre au grand jour “une belle conduite au milieu des nations païennes” (v. 12), voilà ce qui témoignera de l’Évangile et désarmera les calomnies. Par les “belles œuvres” (v. 12) qu’ils sont invités à poser, les chrétiens rejoindront la morale traditionnelle de l’honnête homme prônée par la culture environnante. Encore faut-il préciser quelles sont ces “belles œuvres”.

L’auteur va dresser une liste de devoirs moraux, selon une pratique courante dans l’Antiquité1. Mais l’originalité de la lettre de Pierre, en commençant par le politique et la cité, est de partir des relations avec les gens du dehors.

La soumission à l’autorité

“Soyez soumis à toute institution humaine, à cause du Seigneur” (2,13) : une soumission aveugle, est-ce bien là la volonté de Dieu ?

Le texte est plus subtil et surtout nos traductions bien inadéquates ! Car le mot grec ktisis, traduit par “institution” dans nos bibles, signifie en réalité “créature”. Et, précise le texte, des “créatures humaines”, avec un terme qui différencie l’humain du divin. La soumission est requise “à cause du Seigneur”, le kurios, le titre même donné à l’empereur. La hiérarchie des autorités ainsi posée est claire : les représentants des institutions sont précédés par plus grand qu’elles, le Dieu créateur. Eux ne sont que des créatures, critique à impérial. Les chrétiens sont invités à respecter empereur et gouverneurs dans leurs fonctions de gouvernement et d’organisation de la vie civile et de la justice. Leur bien agir et leur loyalisme doivent concourir au bien commun de la cité et au respect de l’ordre public, et ainsi apaiser l’hostilité, faire taire les accusations mensongères. Soumis aux institutions, les chrétiens gardent leur liberté car, “esclaves de Dieu” (v. 16), leur seul lien de subordination est avec Dieu, leur Seigneur.

La solidarité fraternelle au centre

Quatre impératifs viennent préciser les relations des croyants entre le dehors et le dedans (v. 17) :

Tout le monde honorez,
la communauté des frères aimez,
Dieu craignez,
l’empereur honorez2

Au centre, ce qui fait le cœur de la vie des croyants, les liens créés par la nouvelle naissance à la foi : l’amour concret de la solidarité fraternelle vécue au sein de la petite communauté croyante, dont la source est la confiance filiale envers Dieu, le Créateur et Père de toutes choses. Aux extrémités, “tous” et “l’empereur”, mis sur le même plan, à qui un même honneur est dû. Devient alors flagrante toute la distance critique mise par la Première de Pierre vis-à-vis de la figure de l’empereur et du culte impérial qui lui est lié.

Ainsi se dessine la nouvelle carte des relations de ces païens venus à la foi : Dieu et la communauté des frères au centre, encadrés par tous les humains dont l’empereur. Tous, frères comme concitoyens ou empereur, sont à honorer, à respecter. Mais au cœur de leur existence, jaillit la source de la vie d’enfants de Dieu qui nourrit la solidarité fraternelle de la communauté. C’est dans ce creuset vital que les croyants trouveront la liberté et le courage d’affronter les difficultés de leur vie nouvelle.

Le programme de départ, d’avoir “une belle conduite au milieu des païens”, se précise alors. Il s’agit de vivre leur différence chrétienne et témoigner de leur foi, non dans un repli prudent, un entre-soi chaleureux, mais au sein d’une société dont ils sont à la fois membres et distants. Libres, car soumis à Dieu seul, ils pourront se subordonner aux autorités et aux règles de la vie publique, tout en restant fidèles au Seigneur, le Créateur de tous, source de leur liberté et de leur résistance.

Nos sociétés n’ont guère à voir avec celles de l’Asie mineure des débuts du christianisme. Mais pour vivre en chrétiens dans un monde qui ne l’est plus, l’invitation que Pierre adresse aux croyants de témoigner de l’Évangile par de “belles œuvres” au sein de la société, sans repli identitaire mais en s’appuyant sur une vie fraternelle forte, reste d’une pleine actualité.

Claire Escaffre, Bibliste

1. Saint Paul utilise ce procédé en Ep 5,21-6,9 ; Col 3,18-41.
2. La présentation suit l’ordre des mots du texte grec où les compléments d’objet précèdent les verbes à l’impératif.

Bien-aimés, puisque vous êtes comme des étrangers résidents ou de passage, je vous exhorte à vous abstenir des convoitises nées de la chair, qui combattent contre l’âme.
Ayez une belle conduite parmi les gens des nations ; ainsi, sur le point même où ils disent du mal de vous en vous traitant de malfaiteurs, ils ouvriront les yeux devant vos belles actions et rendront gloire à Dieu, le jour de sa visite.
Soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur, soit à l’empereur, qui est le souverain,
soit aux gouverneurs, qui sont ses délégués pour punir les malfaiteurs et reconnaître les mérites des gens de bien.
Car la volonté de Dieu, c’est qu’en faisant le bien, vous fermiez la bouche aux insensés qui parlent sans savoir.
Soyez des hommes libres, sans toutefois utiliser la liberté pour voiler votre méchanceté : mais soyez plutôt les esclaves de Dieu.
Honorez tout le monde, aimez la communauté des frères, craignez Dieu, honorez l’empereur.

1P 2, 11-17

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