Rosetta, Mouchette : fiche analytique des deux films
Utilisés pendant la formation d’octobre 2012 Films et catéchèse, ces deux films, Rosetta des frères Dardenne de 1999, et Mouchette de Robert Bresson de 1967, permettent d’évoquer la dimension spirituelle du cinéma.
Rosetta, de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Analyse du chapitre « eau » du film des frères Dardenne, de 1999.
Effet produit par cet extrait :
Cruel avec une relation éducative inversée qui dit déjà là quelque chose de la violence. Il va y avoir un rapport entre le sujet du film et la manière dont c’est filmé.
On colle au personnage, la caméra le suit de dos, caméra à l’épaule. Ce n’est pas de la sympathie mais de l’empathie. Ça bouge, c’est fatigant mais ça donne l’impression de se battre autant que l’actrice.
Analyse des positions des corps de Rosetta et sa mère :
Au début, la mère est assise et montre son ouvrage comme un enfant le ferait. La relation éducative est inversée. Ensuite elle est couchée et c’est la fille qui la secoue car elle doit honorer le rendez-vous pris pour une cure de désintoxication. L’extrait n’est pas au tout début du film mais on arrive à comprendre la situation.
Dans la relation avec le tenancier du camping, la mère est aussi assise et l’homme debout. Elle est donc toujours dominée. Alors que Rosetta est toujours debout dans une situation de battante. En plus, elle court beaucoup et on la suit de très près.
Après ce constat objectif, que voit-on ensuite de spirituel ?
Rosetta manifeste sa volonté de sauver sa mère. Le début du film montrait que Rosetta est aussi dans une situation difficile car elle est au chômage mais elle ne se laisse pas abattre. Elle est tirée vers le haut par un souffle qui l’habite. On l’entend respirer. C’est typique des films des frères Dardenne avec toujours le même style de cinéma d’auteur (caméra à l’épaule, proximité du sujet, on suit de dos (caméra prédatrice)). Tout cela donne une impression de dureté. Les frères Dardenne disent qu’ils ont voulu faire une œuvre au pinceau pour rendre compte d’une réalité. Ils veulent que leur cinéma ne soit pas un divertissement mais un témoignage de la réalité de ce que vivent certains de nos contemporains.
Autre caractéristique : la bande son
Il n’y a pas de musique. Les frères Dardenne justifient ce choix en disant qu’ils ne veulent pas nous ‘boucher les yeux’. Il s’agit d’un fonctionnement éthique, même si c’est brutal mais permet de ne pas basculer dans le pathos. L’objectif n’est pas de faire pleurer dans les chaumières.
Les Dardenne ont publié un livre « Au dos de nos images » où ils expliquent qu’ils refusent l’esthétisme et estiment qu’un ‘beau plan’ endort la vigilance. Ils refusent les clichés pour construire une dramaturgie rigoureuse. Nos premières réactions ont montré qu’on se sent pris comme dans une sorte de thriller métaphysique ou thriller spirituel.
Il n’y a aucune allusion religieuse dans les films mais dans leur livre, ils disent qu’ils veulent que leurs films donnent plus de désir de vivre, qu’ils fassent du bien, qu’on sorte d’une projection en étant apaisés, guéris. Ils souhaitent une conversion d’un individu dans la salle obscure, ils se sentent investis d’une mission.
Où mettre la caméra ? Qu’est-ce qu’on montre ou qu’est-ce qu’on cache ?
Ceci peut être très important. L’enjeu est la liberté du spectateur (à voir leur premier film la Promesse). Une séduction peut enchaîner le spectateur (exemple d’une longue musique sirupeuse).
Ils veulent s’intéresser aux petits, aux pauvres. Certains films sont inspirés de faits divers. Ils se mettent au service de la vie en ne congelant pas leurs plans. C’est du ressort du spirituel. Ils parlent de Dieu en disant qu’il est mort, la place est vide. Il ne faut pas l’occuper. C’est un point de vue original de dire que l’appel du vide peut créer le besoin de Dieu. Dans un monde sans Dieu, seul l’innocent continue de poser la vraie question, celle par laquelle l’humain survit.
Ils donnent à voir la tentation du désespoir qui, pour eux, est la tentation la plus subtile du narcissisme mais en même temps, une ouverture possible vers une fin heureuse. De manière générale, les films des frères Dardenne ont une fin ouverte ou une fin heureuse. Les films sont souvent éprouvants mais la fin n’est pas tragique.
2ème scène de Rosetta : chapitre « A l’eau »
Dans le premier extrait, Rosetta est une figure d’innocente étonnante. Ce n’est plus le cas dans le 2ème extrait.
Le garçon ne lui veut que du bien, lui propose un job (son patron fait des gaufres). Il lui propose aussi de lui prêter de l’argent pour qu’elle puisse vivre à côté car la cohabitation avec la mère alcoolique n’est pas facile. Pourtant Rosetta est odieuse.
Les deux scènes dans l’eau entre les deux extraits sont assez similaires. Nous avons un gros plan sur le visage de Rosetta pendant qu’elle hésite. On entend seulement son souffle. Le spirituel a à voir avec le souffle. Cette scène correspond à un combat spirituel. On entre dans un engrenage du mal où on a tendance à reproduire ce qu’on a souffert de ses parents. Cette scène de combat intérieur est en écho à toutes les scènes où Rosetta court.
Le choix de son prénom dit aussi quelque chose d’une culture. Ce n’est pas un prénom aristocratique. Tout est orchestré pour que les messages soient clairs à travers ce cinéma spirituel.
A propos de l’étang, de l’eau, on ressent du froid, glauque, visqueux.
Sur un plan symbolique, la boue a à voir avec le mal. Rosetta se bat donc contre le mal, l’enlisement et elle s’en sort seule.
Mouchette, de Robert Bresson
Analyse des chapitres 14 et 15 du film de Robert Bresson de 1967.
Mise en parallèle des deux extraits de Mouchette et Rosetta :
- proximité des prénoms qui sont révélateurs d’un faible niveau social voire du ¼ monde pour Mouchette.
- 30 ans d’écart entre les deux films.
- repérer comment le religieux est géré différemment en 30 ans.
Dans la bande son :
On constate qu’il y a peu de dialogues, Mouchette reste silencieuse pendant toute la scène.
Les cloches sont un glas, la mère de Mouchette vient de mourir (mère alcoolique comme pour Rosetta)
A la fin de l’extrait, la musique est « les vêpres de la vierge de Monteverdi, magnificat ». Il s’agit normalement d’une musique joyeuse.
Le geste de Mouchette peut être interprété comme un appel à l’aide. Si le tracteur l’avait vu elle ne serait peut-être pas allée dans l’étang.
Scène de chasse :
La mise à mort du lapin est très cruelle. Le lapin n’en finit pas de mourir avec complaisance. Il y a plusieurs chasseurs. Le lapin n’a aucune chance de s’en sortir.
En plus, l’agonie est filmée en gros plan. La fonction de cette scène d’agonie est de traduire l’agonie (combat) de Mouchette. Le choix de Bresson est de ne pas nous montrer Mouchette en train de se
noyer. On serait dans le pathétique. C’est une transposition. Toute sa vie, on lui a tiré dessus.
L’intervention de la vieille femme ‘généreuse’ ne va pas dans le sens de la vie. La diction de cette femme est mauvaise. C’est un choix de Bresson qui donnait sa place à des acteurs non professionnels. Il les faisait répéter, répéter jusqu’à ce que les acteurs mettent en place des automatismes. Ils n’étaient plus maîtres de leur diction. Les Dardenne ont fait le même choix. Pour leur premier film, la Promesse, ils ont pris des acteurs pas connus …qui le sont devenus ensuite. Ils voulaient éviter le phénomène du vedettariat pour que l’image d’un personnage ne colle pas à la peau de l’acteur. Pour que le spectateur puisse se projeter dans un personnage, les Dardenne préfèrent que l’acteur puisse ressembler à monsieur tout le monde.
Le noir et blanc :
Ce choix du noir et blanc est un choix d’austérité, de dépouillement. Les Dardenne font le même choix en ne mettant pas de musique.
La place du religieux :
Le regard que l’on a à travers la vieille femme qui relativise ce que dit le curé et son rapport à la mort donne une image défavorable de la religion. Il y a aussi la présence du glas au début de l’extrait et le magnificat à la fin.
Visuellement à la fin du film, il reste la robe blanche et un reflet blanc dans l’étang. Une rédemption est suggérée. Le suicide prend un autre sens avec la musique religieuse. Un plan visuel peut donc changer de sens avec la musique.
La robe n’a pas été enfilée. Certains peuvent aller plus loin dans l’interprétation autour du vêtement mais le film n’est pas explicite.
On peut faire un parallèle entre Mouchette et Rosetta. Mouchette se noie mais il y a le magnificat de Monteverdi. Les frères Dardenne, parce qu’ils refusent la musique, ne peuvent pas rendre cet effet et être générateur d’espérance. La fin de leur film ne doit donc pas finir par la mort tragique. C’est pour cela que la note d’espérance est donnée par une fin ouverte ou une fin heureuse.
Mouchette projeté aujourd’hui dans une société sécularisée, ne permettrait sans doute pas que le spectateur lambda comprenne que la fin du film traduit une espérance.
Les Dardenne ne donnent aucune référence religieuse dans leurs films mais insistent sur les valeurs comme l’espérance. En philosophie, on distingue espoir (c’est concret) et espérance, qui comporte une dimension métaphysique. Elle vient d’au-delà de nous, elle va au-delà de nous. On est dans la perspective spirituelle.
Pour aller plus loin
Voici deux partages d’expériences, bien utiles :