Se nourrir dans la Bible : Dieu donne et se donne à manger

Maître de la manne - 1470 (Chartreuse de Douai)

Maître de la manne – 1470 (Chartreuse de Douai)

Que dit la Bible ?, L’Oasis n°12 : A table !

Dieu donne et se donne à manger

La Genèse raconte la création de l’homme dans un environnement naturel sans violence animale. Tous ont un même régime végétarien qui leur est donné par le Créateur (Gn 1, 29). Avec la violence humaine et le déluge, ce régime va s’élargir et devenir également carnivore (Gn 9, 3). Mais, fondamentalement, pour la Bible la nourriture est donnée par Dieu.

Et, chez l’homme, la conscience de cette dépendance de Dieu est entretenue par les sacrifices et les offrandes où l’on abandonne à Dieu un animal ou des produits du sol, avant de les partager avec d’autres, en signe que la terre sur laquelle on vit est, elle aussi, donnée par Dieu (Dt 26, 2.11). En ce sens, le repas où l’on partage un animal sacrifié ou une offrande végétale habitue à recevoir toute nourriture comme un bien venant de Dieu, ce qui alimente la foi en la providence divine. En sens inverse, la convivialité humaine vécue dans un cadre cultuel permet de comprendre que le Dieu auquel on croit est un Dieu de communion avec lui et entre les hommes.

Les interdits alimentaires

Quant aux interdits alimentaires, ils ont également pour fonction d’inscrire la vie humaine dans la dépendance de Dieu. Le sang est l’âme de la chair (Gn 9, 4), son principe vivant. Et l’interdiction universelle de consommer du sang (Gn 9, 4 ; Ac 15, 29) montre que la vie appartient à Dieu, en particulier la vie de l’homme qui est à l’image et à la ressemblance de son Créateur. Les interdits alimentaires supplémentaires, marqués par le pur et l’impur, le sacré et le profane (Lv 10, 10) sont le propre d’Israël dans son Alliance historique avec le Seigneur (YHWH).

Pas que du pain

Dans cette Alliance, l’expérience radicale de la manne apprend à dominer les appétits sauvages et à les intégrer dans la volonté de Dieu (Ex 16, 16-28) pour marcher à son pas. La foi au Seigneur qui libère d’Égypte et des addictions idolâtriques apprend à Israël que l’homme ne vit pas que du pain qu’il produit, mais de tout ce qui descend du ciel et qui vient de la bouche de Dieu (Dt 8, 3). En cela, l’homme n’est pas qu’un animal organisé ou productif : par la Parole de Dieu dont il se nourrit l’homme grandit dans la ressemblance divine qui le différencie des animaux. Ces deux principes vitaux du pain qui soutient l’animalité de l’homme et de la Parole de Dieu qui soutient son humanité ne sont pas à opposer l’un à l’autre. Les prophètes en Israël ne se présentent pas comme des mystiques ascétiques. Mais progressivement l’intensification de la prière contemplative fait émerger la perception que l’intimité avec Dieu porte une puissance ou une promesse d’immortalité physique. Et certains psaumes vont jusqu’à faire de Dieu l’unique principe vital de l’homme : « Devant ta face, débordement de joie ! » (Ps 16(15), 11). En se révélant ainsi en paroles et en actes à l’homme qui croit et qui prie, et en se faisant connaître amoureusement par cet homme (Jr 3, 15 ; Gn 4, 1), Dieu lui-même se donne déjà en nourriture,
dès l’Ancien Testament.

Le banquet final

A fortiori dans le Nouveau Testament, lorsque la révélation de Dieu – sa Parole, son Verbe – se fait chair en Jésus de Nazareth, Dieu lui-même se donne en nourriture de tout l’homme par la parole et par le corps du Christ ressuscité (Jn 6,55), sous forme de pain et de vin. Jésus met ses apôtres sur la voie de cette nouvelle manne qui descend du ciel (Jn 6,51) pour nourrir les croyants (Jn 6,36.40.47), en leur apprenant que sa nourriture qu’ils ne connaissent pas – et qui lui permet de jeûner – est de faire la volonté du Père (Jn 6,32.34). À travers les repas qu’il prend, les pains qu’il multiplie et le banquet final qu’il annonce dans le Royaume de Dieu, le Christ montre que la dimension matérielle de la nourriture terrestre est essentielle parce qu’elle rassemble les hommes autour d’une même table et dans la même dépendance de leur Créateur. Mais au fond, il révèle surtout que Dieu lui-même, dans sa volonté de Père, dans sa parole de vie, dans la chair de son Fils, est encore plus essentiel pour nourrir l’homme créé à son image et destiné à partager sa gloire jusque dans son corps.

Se transformer

La vraie vie humaine passe obligatoirement par le partage de la nourriture terrestre, y compris avec ceux qui ont faim et soif (Mt 25). Mais, ce faisant, l’être humain est porteur d’un mystère qui est susceptible de transformer toute sa vie, même la plus matérielle, dès l’instant qu’il adhère dans la foi à l’enseignement du Christ et à son commandement d’amour. Jésus a certainement passé du temps à table, à Cana, chez Matthieu le publicain, Simon le pharisien et d’autres encore, jusqu’à sa Pâque à Jérusalem. Il aura mangé la nourriture de son temps : celle, sédentaire, faite de galette de pain, de raisin et d’huile (Ps 104,15), avec le poisson galiléen, et celle de la vie nomade composée de lait et de miel (Ex 3, 8), avec l’agneau pascal et les herbes amères (Ex 12). Il aura respecté les règles alimentaires du pur et de l’impur, et la coutume pré-romaine de manger couché sur des divans formant trois des quatre côtés de la table (Am 6, 4 ; Ez 23, 41). Mais, à travers tout cela et au bout du compte, par lui s’est accompli le don le plus indépassable accordé à la liberté humaine immergée dans un corps de chair : celui de recevoir Dieu lui-même en nourriture de tout l’être pour se laisser transformer par lui dans l’amour de son Fils et de ses frères.

Père Patrick Faure, exégète à la Faculté Notre-Dame, Collège des Bernardins – Paris

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