Traverser la crise : ce que nous disent les apôtres dans l’évangile de la tempête apaisée
Cet article est paru dans la revue Initiales n°265 : Dans les épreuves et dans l’espérance
Qui pourrait dire en ces années de pandémie que « la vie est un long fleuve tranquille » ? Pour les adolescents comme pour nous, adultes, aujourd’hui de multiples crises sont à traverser comme des tempêtes ou des tourmentes : crise sanitaire bien sûr, mais aussi environnementale et climatique, économique et sociale, migratoire et identitaire, et parfois familiale et personnelle…
Au lieu qu’une crise succède à une autre, comme les vagues sur un rivage, notre monde agité est ballotté de toute part, comme si chacune était liée aux autres… Que faire ? Se replier sur soi et dormir ou renoncer à lutter en espérant que ça passe ? Attendre d’atteindre l’autre rive d’un monde d’après ? Se convaincre que rien de tout cela n’est vrai ? Et si l’expérience des disciples avec Jésus nous aidait à traverser les tempêtes et à faire grandir notre foi et notre espérance ?
Excès d’assurance ou insouciance ?
Ce jour-là, Jésus donne l’ordre aux disciples de passer sur l’autre rive, en terre païenne de la Décapole (v. 18). Cette traversée ouvre une nouvelle étape dans la mission de Jésus et cela demande réflexion de la part de ses disciples. Annoncer le Royaume chez nous, oui, mais en terre étrangère et hostile, ce n’est pas pareil !
Les disciples embarqués avec Jésus vers la terre étrangère ne sont pas arrivés : ils doivent déjà affronter une violente tempête. Dans l’évangile de Matthieu, ce n’est pas une simple bourrasque qui secoue la petite barque de la communauté des disciples, c’est un véritable séisme, avec le même bouleversement que celui qui aura lieu au moment de la mort de Jésus (cf. Mt 27, 51.54).
Les disciples entrent dans une épreuve vitale, cruciale : lorsqu’on s’embarque pour témoigner du Royaume, on affronte des tempêtes. Et même la présence de Jésus à leurs côtés n’empêche pas la mer de demeurer hostile : symbole du mal dans le monde juif, lieu de résidence des puissances démoniaques. D’ailleurs, que fait Jésus quand tout va mal ? Nous laisse-t-il seuls à nous débattre ? Il dort au fond de la barque, comme s’il était déjà plongé dans le sommeil de la mort. Les disciples dans la tourmente crient vers Jésus, pour qu’il intervienne et les sauve des assauts du mal, dans une prière quasi identique à celle de nos liturgies : “Seigneur, sauve-nous !” (v. 25).
Au secours !
Devant le risque de la mort, les disciples ont pris peur et on les comprend. Mais en réalité une autre peur se cache ici : celle d’être abandonnés à leur triste sort par Jésus. Devant le danger, la peur prend le dessus, et la foi devient bien fragile quand nous sommes vulnérables. Mais Jésus est bien là avec eux, au cœur de la tempête. Quand il se réveille et se lève de son sommeil comme il le fera au matin de Pâques, il voit le danger pour ses disciples : le péril n’est pas d’abord la mer déchaînée, mais le manque de foi. Le Seigneur craint moins les tempêtes du monde que notre peu de foi. Aussi va-t-il d’abord interpeller les disciples afin de re-susciter leur foi, avant d’interpeller les éléments en furie.
Ils ont réveillé Jésus, qui lui va réveiller leur foi. Ainsi celui qui dormait et semblait comme mort s’est levé pour rétablir le calme sur la mer et la confiance dans le cœur des disciples, comme au soir de Pâques lorsqu’il leur donnera sa paix. Les disciples font déjà l’expérience de la Résurrection.
Et merci qui ?
On s’attendrait à une expression de reconnaissance des disciples apaisés, réconfortés dans leur foi en Jésus. Qui sont donc ces gens qui s’étonnent et s’interrogent à la fin du récit ? Déjà les païens qui voient la barque de Jésus arriver près du rivage de leur vie ? Ils sont étonnés et admiratifs de la puissance du vainqueur sur des éléments qui ne sont donc pas des dieux, et peut-être aussi sur la peur des disciples : réaction positive pour accueillir sa venue, sa présence et son message.
Le récit évite que nous ne voyions en Jésus qu’un magicien, mais permet de concentrer l’attention sur la personne même de Jésus : “Quel est donc celui-ci… ?” (v. 27), à la lumière de sa résurrection d’entre les morts. C’est la foi en la Résurrection qui alimente ici la narration. “Ainsi le récit attribue à Jésus des comportements et des prérogatives de Dieu lui-même. La maîtrise sur les eaux et sur les éléments renvoie clairement au Dieu créateur.”1 L‘intention de ce récit est donc claire : celui-ci n’est pas donné comme preuve pour dispenser de la foi, mais plutôt pour la susciter ou la réveiller.
Il n’est pas demandé de croire à cet acte merveilleux, mais de découvrir celui qui dans notre barque est capable de dominer toutes les forces de mal, pour nous aider à traverser nos propres tempêtes et nous donner de vivre de sa paix. Jésus nous sauve des tempêtes non pas en les empêchant, mais en les calmant. La foi ne nous garantit pas qu’il ne nous arrivera rien de mal. Elle nous met dans la confiance pour grandir de manière responsable.
Alors en traversant des crises, si la peur frappe à la porte de nos vies, notre foi pourra lui répondre…
P. François Campagnac, Vicaire général du diocèse de Sens-Auxerre
—
1. Les “miracles de la nature”, dans Joseph Doré, Jésus l’encyclopédie, éditions Albin Michel, Paris, 2017, p. 300
Jésus, voyant une foule autour de lui, donna l’ordre de partir vers l’autre rive.
Un scribe s’approcha et lui dit : “Maître, je te suivrai partout où tu iras.”
Mais Jésus lui déclara : “Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête.”
Un autre de ses disciples lui dit : “Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père.”
Jésus lui dit : “Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts.”
Comme Jésus montait dans la barque, ses disciples le suivirent. Et voici que la mer devint tellement agitée que la barque était recouverte par les vagues. Mais lui dormait.
Les disciples s’approchèrent et le réveillèrent en disant : “Seigneur, sauve-nous ! Nous sommes perdus.”
Mais il leur dit : “Pourquoi êtes-vous si craintifs, hommes de peu de foi ?” Alors, Jésus, debout, menaça les vents et la mer, et il se fit un grand calme.
Les gens furent saisis d’étonnement et disaient : “Quel est donc celui-ci, pour que même les vents et la mer lui obéissent ?”
Dans le même numéro :
Sur le même thème
« Au milieu de la tempête », des pistes pour relire ce temps de crise sanitaire et soutenir la catéchèse
En ce temps de crise, la catéchèse est bousculée et déboussolée, entre confinements, couvre-feu, impossibilité de se réunir dans certains locaux, contraintes sanitaire ... Tout cela dans un contexte déjà difficile avec la chute des effectifs, la difficulté de trouver des catéchistes ... Pour autant, elle sait rebondir !