Le mystère pascal au cœur de l’initiation chrétienne : conclusion de la session
La synthèse des interventions et de tout ce qui a été vécu dans les ateliers est impossible à faire. Chacun pourra reprendre et relire ce qu’il a vécu et reçu. Ce que nous avons refondé ensemble – nous en étions convaincus mais il faut y revenir sans cesse -, c’est que le mystère pascal est le mystère du salut, et que tout est là. Clef de lecture des Saintes Ecritures, dans la foi catholique, tout est là. Tout en découle, et tout y conduit. Il faut rechausser «des lunettes herméneutiques pascales». Sans le mystère pascal, vous ne comprendrez rien à la théologie morale catholique, à son souffle. Elle réfléchit et parle en raison, discute avec ceux qui ne sont pas croyants et cherche avec eux, dans cette raison que nous avons reçue du Seigneur, les voies d’une plus grande humanisation; néanmoins vous ne comprendrez rien si vous n’en faites pas une expérience spirituelle. Comme l’a dit l’un des intervenants, la théologie morale est une théologie spirituelle qui jaillit du mystère pascal. C’est le cœur du mystère de la foi, c’est le cœur de la vie chrétienne, c’est-à-dire humaine car la vie chrétienne n’est pas un à côté de la vie humaine, elle n’est pas un plus pour quelques «bobos» spirituels heureux d’avoir fait une découverte exotique ou bucolique. Le Christ, dont l’identité profonde se révèle dans le mystère pascal, nous révèle notre vocation d’humanité[1]. Il en est la plénitude.
Revenir sans cesse au centre, au mystère pascal
Je voudrais vous partager une expérience qui m’aide encore à approfondir cela. J’ai été curé d’une paroisse dans laquelle il y avait une importante «cité». Nous étions réunis avec l’équipe de préparation au baptême. Nous échangions sur la question suivante: «quand nous rencontrons des parents en vue du baptême, quelle est la chose que nous voulons leur avoir dite, que nous aimerions qu’ils retiennent?» Deux réponses sont principalement venues: l’entrée dans la communauté chrétienne et l’engagement à envoyer les enfants au catéchisme le moment venu. Ces deux réalités sont importantes, pourtant elles ne parlent pas directement du baptême. Le baptême, c’est la plongée dans la mort et la résurrection du Christ. Tout découle de là. Si on n’annonce pas cela, on parle des effets du baptême, mais pas du baptême.
Vivre l’expérience pascale
Dans la suite de cette rencontre, nous avons eu un bel échange. L’une des personnes présentes m’a objecté: «Mais ce sont des pauvres gens, ils ne peuvent pas comprendre». Au-delà de la maladresse de cette question, je lui demandais alors: «Au nom de quoi ceux qui n’ont pas, de fait, beaucoup de moyens culturels, ceux qui n’ont pas les mots que nous avons ou la tradition dont nous sommes issus, au nom de quoi pouvons-nous penser qu’ils ne comprendraient pas ces mots? Ce que moi j’ai compris, pourquoi ne le comprendraient-ils pas? Ce que l’Esprit Saint me permet d’approcher, pourquoi ne le leurs permettrait-il pas?» Isabelle Le Bourgeois nous a invités à éviter «la relégation anecdotique» du mystère pascal. Bien sûr, il faut que nous travaillions nous-mêmes l’accueil de ce mystère pascal, pas seulement sa compréhension mais son accueil en nous. Il est vrai qu’il faut chercher des mots adaptés. Nous ne les trouverons que dans la mesure où nous accueillerons pour nous-mêmes ce mystère pascal, non seulement dans notre intelligence mais plus encore dans notre chair. De l’accueil en nous de ce mystère jailliront alors ces mots qui nous permettront de dire simplement quelque chose du mystère pascal, de telle sorte que l’Esprit Saint puisse s’en emparer et qu’à travers nos paroles, Dieu puisse parler de son salut aux enfants, aux jeunes et aux catéchumènes.
Vous savez que la simplicité n’a rien à voir avec le simplisme. La simplicité demande un travail de fond, une maturité et une liberté très grandes que le Seigneur n’a jamais fini de creuser en nous. Il ne s’agit pas seulement de dire Dieu mais, en disant, d’ouvrir à Dieu qui parle. C’est compliqué, mais c’est peut-être beaucoup plus simple que ce que nous croyons. C’est surtout engageant puisque que c’est un travail de l’Esprit Saint auquel nous avons à nous rendre disponibles, avec toutes nos capacités.
Le mystère pascal est-il d’abord de l’ordre de la compréhension?
Cette réflexion: «ils ne peuvent pas comprendre» dit sans doute, malgré tout, quelque chose de très important que je n’avais pas compris à ce moment-là. Le mystère pascal est-il d’abord de l’ordre de la compréhension? C’est une vraie question dans une société où le paradigme de la compréhension / prise de conscience semble dominer. L’éducation joue beaucoup sur la connaissance-compréhension-prise de conscience, et c’est une bonne chose. Il ne s’agit pas du tout de le dénigrer. Mais est ce que le mystère pascal est d’abord de cet ordre-là? La compréhension est-elle préalable à l’accueil du mystère pascal et du salut? (La question que je pose ici interroge sans doute nos modèles catéchétiques qui sont souvent basés sur ce paradigme, exception faite de la catéchèse spécialisée qui peut beaucoup nous apprendre.) Ou bien une espèce de disponibilité, un engagement de l’être, préalable même à la conscience qu’on en a, sont-ils nécessairesou, en tous les cas, concomitants à la compréhension de ce que nous recevons ? La question est importante parce que, si nous posons le paradigme de la compréhension comme dominant et premier, je crains que nous ne soyons gnostiques. Il ne s’agit pas, encore une fois, de nier l’importance de la réflexion, et je suis las de voir des chrétiens qui ne mettent pas l’intelligence reçue de Dieu au service de la découverte des mystères qu’ils sont appelés à vivre. Quand on a une intelligence humaine, une maturité humaine, professionnelle et affective de quarante ans et qu’on a une maturité de la foi qui correspond à sa profession de foi de nos 12 ans, ce n’est pas très étonnant que tout s’effondre. Pour autant, cela est-il premier?
Quand l’amour s’empare des hommes
C’est en disant «je t’aime», dans une parole qui m’engage (parce que le «je t’aime» n’est jamais seulement informatif, c’est une parole performative pour l’autre et pour moi) qu’il est donné d’entrer dans la compréhension de l’amour. Ecouter, c’est autre chose qu’étudier pour aller au cœur de la foi. Dans l’Evangile de ce jour (Mc 4,1-20), Jésus, entre la parabole du semeur et son explication, a un échange avec ses disciples au cours duquel il cite le prophète Isaïe (Is 6, 9-10): «Ils auront beau regarder de tous leurs yeux, ils ne verront pas; ils auront beau écouter de toutes leurs oreilles, ils ne comprendront pas…». On peut donc regarder sans voir et écouter sans comprendre. Quand je reste extérieur à ce que je regarde et écoute, sans m’engager dans cette écoute, quand je veux prendre et comprendre avant de me laisser approcher et toucher par Dieu, je regarde sans voir et j’écoute sans comprendre. Le père Pietro Biaggi citait Benoit XVI sur la musique qui, quand il parle d’une des sources de la musique, a cette formule: «quand l’amour s’empare des hommes». Vous comprenez alors que la liturgie a sa place dans le processus de catéchèse et de catéchuménat (pas seulement une fois qu’on l’a comprise parce que sinon on n’entrera jamais en liturgie) et qu’elle est un fondement pour comprendre. Je ne suis pas sûr qu’il faille éternellement expliquer tous les signes, même s’il faut des mystagogies. Et c’est vrai que parfois nos liturgies sont trop verbeuses. De même, l’éthique n’est pas une conséquence de la foi, elle n’est pas ce que je fais une fois que j’ai compris. En fait, c’est un agir qui précède la conscience que j’en ai et où Dieu se révèle. Il y a eu dans l’intervention de ce matin une invitation à une spiritualité de la démaîtrise. Nous pourrions faire le lien aussi avec cette «intimité d’altérité» que j’essayais d’évoquer hier soir.
Mystère pascal et anthropologie
Un dernier point avant de conclure: le mystère pascal n’est pas seulement réparation, même s’il est aussi réparation. Il n’est pas seulement réparation de ce que nous avons cassé, même si c’est souvent à partir de nos blessures, de nos cassures que s’ouvre un espace. Il faut souvent être pauvre pour commencer à se laisser toucher. Le mystère pascal n’est pas seulement réparation mais il est plénitude, il est déploiement. Par le mystère pascal, s’accomplit en nous l’image selon laquelle nous avons été créés, le Christ, qui est lui-même l’image du Père. Le mystère pascal, qui est le mystère du salut, nous révèle une réalité qui est la structure anthropologique fondamentale. Il faudrait revenir à ce que disait Mgr Fisichella rapidement autour du nom. Une théologie du nom, de la nomination, du fait d’être appelé, a toute son importance. Ce matin, nous étions invités – et je crois que c’est essentiel -, à pointer les petites morts et résurrections de nos vies. Il y a une dimension exodale et pascale fondamentale de l’existence. Indépendamment même de notre péché, il faut sortir pour être libre. C’est l’appel du nom. Il y une structure pascale et exodale de notre humanité. C’est ce qui fait sans doute d’ailleurs que l’expérience précède la connaissance et même la permet. Il faut arrêter d’opposer fides qua et fides quae. Il y a eu des déséquilibres graves. Je suis moraliste de formation et je ne crois pas au juste milieu. Quand on n’arrive pas à trouver l’équilibre, il faut changer de perspective, il faut déplacer le regard pour essayer de voir la même réalité autrement. Si Dieu se donne à nous et, s’il ne cesse de se donner à nous dans une intimité extraordinaire, son altérité est non réductible à l’intimité que nous avons avec lui. Cette altérité nous fonde et elle est notre source. Nous sommes donc, nous catéchètes, précédés dans le cœur de l’homme. Je pensais à cette parole de Jésus:«la moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux» (Mt 9,37). La moisson est abondante: on apporte rarement le Christ aux gens, on le révèle en travail d’humanité et de salut à ceux qui le portent.
Pour conclure, je voudrais vous remercier pour tout le travail que vous faites. Vous êtes des collaborateurs extraordinaires de vos évêques et je voudrais vous en remercier. Je suis émerveillé. Je me permets de vous applaudir.
Je voudrais aussi vous présenter mes vœux. Souhaitons-nous d’abord le salut, c’est-à-dire d’être toujours unis au Christ qui nous sauve, d’être en communion toujours plus grande avec Lui.
[1] Cf. Concile Vatican II, Constitution Gaudium et Spes, «L’Eglise dans le monde de ce temps», n° 22.