Se nourrir : un chemin de conversion ?
Un peu de théologie, L’Oasis n°12 : À table !
Reconnaître Dieu dans notre rapport à la nourriture.
En 2010, l’UNESCO décidait de classer « le repas gastronomique des français » comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une preuve, s’il en fallait, que, pour les français, le repas est bien davantage que le lieu nécessaire à l’alimentation. Mais ce n’est pas seulement le cas des français…
Les êtres humains, au travers de pratiques et coutumes qui varient au gré des cultures, transforment l’acte de se nourrir indispensable à la survie biologique en acte social indispensable à la vie sociale. Le repas est un lieu qui en dit long sur l’humanité (ou l’inhumanité !) de nos vies. Pour les chrétiens, l’importance donnée aux repas est comme redoublée. En effet au fil de l’Évangile on ne cesse de voir Jésus prendre des repas, nourrir des foules, raconter des paraboles où il est question de festins, et finalement, avant de vivre sa passion, dans un dernier repas qu’il prend avec ses disciples, il nous invite à faire de même « en mémoire de lui », ce que nous accomplissons chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie. Si la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus emprunte si souvent des chemins liés au repas et à la nourriture, elle peut sûrement nous aider à nous poser quelques questions sur nos pratiques… Disciples de Christ nous sommes constamment appelés à la conversion : « Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous » proclame Jésus (cf. Mc 1, 15). Quelle conversion en matière de nourriture et de repas ?
Un repas inclusif
Dans une culture et à une époque marquée par la distinction entre le pur et l’impur, Jésus a choqué beaucoup de ses contemporains en n’hésitant pas à prendre ses repas avec ceux qu’on appelait « les publicains et les pécheurs ». Au cours d’un repas il s’est aussi laissé approcher et oindre de parfum par une femme qu’on considérait être une prostituée (cf. Lc 7, 36-50). Par là il montre bien qu’il est venu apporter la Bonne Nouvelle pour tous. On pourrait dire qu’il se fait le champion de l’inclusion. Et le repas est le lieu tout trouvé pour en être le symbole. Qu’en est-il de nos repas et de nos fêtes ? Sont-ils des lieux d’inclusion ou d’exclusion ? Et nos repas en famille, tout le monde y a-t-il vraiment sa place pour parler, être écouté ?
Dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe, saint Paul leur reproche des pratiques indignes de leur foi au Christ. Lorsqu’ils se rassemblent, soi-disant pour le « Repas du Seigneur », chacun prend d’abord son repas avec ce qu’il a apporté et « l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu » (1Co 11, 21). Dit autrement, au sein même de la communauté chrétienne on maintient les inégalités scandaleuses qui existent au dehors entre ceux qui n’ont pas de quoi vivre et ceux qui vivent dans l’abondance. Cela sonne comme un bon rappel pour nous du scandale de la faim ou de la malnutrition liée à la pauvreté. Même si le pourcentage baisse, on estime encore aujourd’hui à 800 millions le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde soit une sur dix. Même dans un pays comme la France, une part non négligeable de la population a du mal à s’alimenter ou s’alimente mal. En même temps, en France 10 millions de tonnes de nourriture sont jetées chaque année. La lutte contre le gaspillage, le souci du partage, l’attention aux plus démunis sont-ils dans nos préoccupations quand nous faisons nos courses, préparons nos repas, mangeons ce qui nous est offert ?
Une conversion écologique
Aujourd’hui nous sommes pleinement conscients qu’il nous faut changer nos modes de vie pour que notre planète, notre « maison commune », reste habitable pour les générations à venir et même déjà pour nous-mêmes. Le pape François dans sa lettre Laudato si’ (2015) invitait tout spécialement les chrétiens à une « conversion écologique » qui « implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus Christ sur les relations avec le monde qui les entoure » (Laudato si’ no 217). Notre manière de nous nourrir est un lieu crucial pour cette conversion. Dans un pays comme la France, un quart de l’empreinte carbone vient de l’alimentation, et dans cette dernière la moitié vient de la consommation de viandes, de poissons et de préparations carnées. Lutter contre le réchauffement climatique, contre l’effondrement de la biodiversité (grandement lié aujourd’hui à l’appauvrissement des sols produit de l’agriculture intensive) ou contre la disparition des poissons des océans – c’est-à-dire prendre soin de cette « maison commune », notre « sœur mère la terre qui nous soutient et nous gouverne » comme le chante saint François d’Assise – cela passe bien par nous interroger sur ce que nous mettons dans notre assiette. Production locale ou lointaine (donc acheminée à grand renfort d’émissions de gaz à effets de serre) ? Fruits et légumes de saison ou hors saison (donc de provenance éloignée) ? La viande et le poisson sont-ils indispensables à tous les repas ? Comment ont-été produits les aliments que je mange ? Autant de questions, il y en aurait bien d’autres à se poser, qui nous situent résolument au cœur de notre foi en un Dieu Créateur, qui, par amour, a voulu une création belle et bonne et que nous ne pouvons pas détruire sans le renier.
Un précieux rappel
Et finalement, en pensant comme chrétiens à la nourriture et aux repas, une phrase de l’Évangile nous revient immanquablement. Lorsque Jésus est tenté au désert parce qu’il a faim, il répond au tentateur qui lui suggère de transformer des pierres en pains : « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4). C’est là un précieux rappel. Manger est indispensable pour vivre et, comme l’ont montré les réflexions ci-dessus, il s’y joue bien davantage qu’un simple processus biologique. Cependant, ce n’est pas le tout de la vie humaine ! Modération, sobriété et même à certains moments ascèse et jeûne participent aussi d’un juste rapport à la nourriture afin de savoir reconnaître derrière ce qui est reçu, la main de Dieu qui donne. Comment le vivons-nous et y éduquons-nous en catéchèse et catéchuménat ?
Père Grégoire Catta, sj, directeur du Service national Famille et Société, Conférence des Évêques de France
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