L’intériorité, Dieu au cœur de l’homme
Un peu de théologie, L’Oasis n°24 : Contempl’actif
Dans la vie chrétienne, prière et vie quotidienne se fécondent. L’intériorité, la vie spirituelle, le cœur à cœur avec Dieu, ne sont pas réservées à quelques fervents. C’est une démarche proposée à chaque baptisé.
« Bien tard, je t’ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard, je t’ai aimée. Et voici que tu étais au-dedans, et moi au dehors (…) Tu étais avec moi et moi, je n’étais pas avec toi (…) Tu as appelé, tu as crié et tu as mis fin à ma surdité. »
Cet aveu de saint Augustin (Les confessions, 10, 27, 38) ouvre notre réflexion sur l’intériorité, dans le cadre de la catéchèse où nous avons à éveiller catéchumènes et baptisés à la grâce de Dieu, à sa présence vivifiante à l’intime de leur être, et à les accompagner vers cette source vive, trop souvent cachée par les multiples préoccupations et distractions de la vie quotidienne.
L’intériorité, comme lieu à retrouver
Intériorité et extériorité se complètent mais, le plus souvent, c’est la seconde qui domine. Dans notre société de consommation et de communication, tous nos sens sont en éveil, sollicités, informés à satiété, au risque d’une envahissante distraction.
« Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » (Mt 6, 6) La chambre est le lieu de l’intériorité où chacun peut se retirer, se reposer, réfléchir, faire silence et prier … En parlant ainsi, Jésus inscrit ses propos dans la longue prédication des prophètes invitant à la fidélité à Dieu, à l’accueil intériorisé de sa loi, à la vérité aimante des attitudes, tel Osée rappelant le projet de Dieu (Os 2, 16).
Ce que dit Jésus, il le pratique. Ainsi se retire-t-il longuement au désert, poussé par l’Esprit, au début de son ministère public et aussi, régulièrement, au terme de ses longues journées de prédication : « De grandes foules accouraient […] Mais lui se retirait dans les endroits déserts, et il priait. » (Lc 5, 15-16)
L’intériorité, comme présence divine à goûter
La solitude, loin de la foule, Jésus s’y réfugie donc fréquemment, et dans l’impossible, c’est dans le calme de son cœur qu’il demeure. Son cœur reste, en toute circonstance, le lieu du dialogue constant avec son Père.
Il le rappelle en saint Jean : « Le Père et moi, nous sommes un. » (Jn 10,30). Ce cœur à cœur divin s’invite dans le cœur de chaque croyant : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous ferons une demeure. » (Jn 14, 23)
À la suite de Jésus, l’union intime avec Dieu a toujours été recherchée par les chrétiens épris d’absolu et de retrait rigoureux. Pensons, durant les premiers siècles aux Pères du désert, en Orient, puis aux nombreux moines bénédictins, en Occident, qui surent prôner l’équilibre du « Ora et labora », prie et travaille… Pensons aux multiples ordres mendiants (franciscains, dominicains et carmes), alternant prédication publique et retrait pour la prière… « Que les frères aient, par-dessus tout, l’Esprit du Seigneur et le laissent agir en eux », recommande saint François dans sa règle.
Au XVIème siècle, la vie intérieure sera encouragée largement, en toute situation : « À genoux ou assis, suivant que l’on s’y trouve plus disposé et suivant la dévotion plus grande qui accompagne » dira saint Ignace, dans ses Exercices spirituels, tandis que saint François de Sales invitera tout chrétien à « la dévotion qui doit être pratiquée par le gentilhomme, par l’artisan, par la veuve, par la femme mariée. Il faut même accommoder sa pratique à la santé, aux affaires et aux devoirs de chacun » (Introduction à la Vie Dévote, 1, 3). Cette invitation à la vie intérieure n’est plus réservée aux seuls religieux mais adressée à tous les baptisés, annonce « l’appel universel à la sainteté » (Lumen Gentium n°40), que reprendra le pape François dans son exhortation Gaudete et exsultate.
L’intériorité, comme chemin de sainteté à proposer à tous
L’intériorité, la vie spirituelle, le cœur à cœur avec Dieu, cela n’est donc plus réservé à quelques fervents. C’est une démarche féconde proposée à chaque baptisé.
Aucune initiation chrétienne, aucune catéchèse ne peut se faire sans appel à l’intériorité, sans exercice de prière, sans patiente éducation du cœur qui aime et qui prie en vérité, en solitude ou en communauté, en chambre retirée ou en grande église, peu importe… La justesse d’une prière se vérifie toujours, quand celle-ci s’accompagne de la pratique concrète des actes de charité envers autrui…
C’est ce que rappelait à ses sœurs, la grande priante sainte Thérèse d’Avila : « Quand je vois ce qui arrive à certaines âmes très occupées de vérifier où elles en sont de leur oraison, si encapuchonnées en priant, qu’elles semblent ne pas oser bouger […] cela prouve combien peu elles comprennent le chemin qui mène à l’union avec Dieu […] Le Seigneur veut des actes. Si tu vois une malade à qui tu puisses donner quelque soulagement, cela ne fait rien de laisser cette dévotion pour l’aider. » (Le château intérieur)
Tout se tient pour un chrétien : vie intérieure retrouvée, œuvres extérieures assumées, par tous, à tous les âges et dans toutes les conditions de la vie. « N’aie pas peur de viser plus haut, de te laisser aimer et libérer par Dieu. N’aie pas peur de te laisser guider par l’Esprit Saint. La sainteté ne te rend pas moins humain, car c’est la rencontre de ta faiblesse avec la force de la grâce. Au fond, comme disait Léon Bloy, dans la vie ‘il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints’ ». (Gaudete et exsultate n°34)
Frère Jean-Pierre Grallet, ofm
Archevêque émérite de Strasbourg
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