« Où cours-tu donc ? » : réponse aux chercheurs de Dieu en quête de sens

RN Chrétiens en grande école 2017 LyonIntervention du Cardinal Barbarin à l’occasion de la Rencontre Nationale Chrétiens en Grande Ecole.

Les jeunes participants de cette journée nationale ont cette année rejoint le diocèse de Lyon pour s’intéresser au thème « Où cours-tu donc ? Chercheurs de Dieu en quête de sens. »

On m’a dit de vous dire du mal de la course. Mais moi, je fais du marathon alors j’aime beaucoup la course. Donc c’est très embêtant et très difficile. Le thème de votre week-end, c’est ; « Où cours-tu ? » Et où est-ce que tu vas trouver le temps ? Je n’oserai pas vous faire une exhortation au calme, à la maîtrise de soi, à la maîtrise totale, à la maîtrise de son temps. Ce n’est pas tellement nous ; la maîtrise de soi est un don du Saint Esprit, ne l’oublions pas, un des fruits du Saint Esprit dit Saint Paul.

Enfin c’est vrai que dans notre vie humaine, on est toujours un peu dépassé ou pas tout à fait à la hauteur. Puis quand on fait un modèle en disant « qu’il faut être éloigné de toutes les vanités du monde, il fait avoir un grand silence intérieur, moi je sens un grand vide à l’intérieur de moi ». Pour moi chrétien, cela ne me fait absolument pas envie. Je ne suis pas un chantre de l’ataraxie, du vide intérieur.

D’abord, je regarde Jésus et je vois qu’il était vibrant dans tout son être. Il courait au devant des gens, il faisait attention à eux. Dans plusieurs passages il est dit qu’Il est saisis aux entrailles, d’un coup il se met à pleurer, après il est bouleversé d’une émotion profonde. Il y a même un moment où il est pressé quand il dit « Je suis venu allumé un feu sur la terre et comme il me tarde qu’il brûle ». Il venait de parler assez longtemps de ce que c’est d’être serviteur. Il dit : « Comment cela se fait que les gens sont autant égoïstes et qu’ils ne veulent pas comprendre que leur véritable joie est d’être les serviteurs des autres ? ». Prendre sa tenue de service c’est ça. D’ailleurs, lui a pris la tenue de service et ça va brûler quand il est mort sur la croix.

La Vierge Marie, elle est douce c’est vrai mais vous êtes sûr que c’est une calme qui ne se presse jamais qui ne court pas ? « Alors, elle se rendit en hâte dans une maison de Judée et elle entra dans ce village de la montagne. Elle salua Elisabeth, » c’était la maison de Zacharie. Elle avait été bouleversée par ce que l’ange venait de lui dire, du coup elle dit à Joseph : « voilà ce qui vient de m’arriver, je te laisse et je file directement chez Elisabeth. Elle est stérile et elle en est à son 6ème mois, il faut absolument que j’aille voir cela. » Elle se rendit en hâte. Où cours-tu Marie ?

C’était la fête de Tite et Timothée il y a deux jours. On lisait cela «tu es mon enfant bien aimé je me rappelle dans les larmes tout ce que j’ai vécu avec toi ». Saint Jean, le matin de Pâques, il courut au tombeau plus vite que Pierre mais par politesse il a attendu. Alors quand on est chrétien, il ne faut jamais courir ?

Dans le plus beau poème d’amour de la Bible qui s’appelle le Cantique des Cantiques, on nous dit qu’il faut courir. « Qu’il me baise des baisers de sa bouche, tes amours sont plus délicieuses que le vin, l’arôme de tes parfums est exquis. Entraîne moi sur tes pas et courons. » Je dis au Christ : Je comprends qu’il faut que je cours à la rencontre de Dieu, à la rencontre des autres. Tu sauras me donner le rythme, tu sauras m’entraîner. Entraîne-moi sur tes pas et courons! En fait, je pense que quand on vous dit « où cours-tu ? » dans votre week-end, c’est : « tu ne crois pas que tu cours vers n’importe quoi ? d’une information vers une autre ? ».

Hier, j’étais dans un colloque à Rome ; on nous expliquait que la moyenne des gens en Europe passe 5h50 devant un écran (téléphone, portable, ordinateur, télévision). Alors tu cours dans tous les sens n’importe où pour n’importe quoi. Et le reste ? Je pense que ce n’est pas si mal de courir mais que la vraie question est « où cours-tu ? vers quoi cours-tu ? ». Si tu cours dans toutes les directions à la fois tu n’obtiendras rien, tu seras perdu, tu seras essoufflé. Personne ne t’aura tenu compagnie. Tu aboutiras à du vide. Moi, je veux bien qu’on court finalement. Je voudrais surtout qu’on se laisse entraîner sur ses pas. J’aimerais lui demander comment il court. Qu’est-ce qu’il fait ? Où est-ce qu’il va ? Quelle est ta course Seigneur ? Mets mes pas dans tes pas à toi !

Il y a une phrase de la Bible que j’aime énormément : « la course de la Parole. » On décrit toute la bible comme une course de la Parole. Au début, Dieu dit et il y a eu les astres, la mer, le ciel et après Dieu dit il y a eu la mer, l’eau, l’air puis les animaux puis les plantes et à la fin il y a eu l’homme. La course de sa parole. Savez-vous combien de fois il y a l’expression « Dieu dit » dans la Genèse chapitre 1er ? Dix fois. Après, Dieu nous donne des paroles de vie qu’on appelle les commandements. Combien y a t-il de paroles de vie ? Dix commandements. En fait, il fait très attention à nous, il nous parle, c’est cela qui la source de notre vie, il est en train de nous faire, de nous créer, de nous refaire et moi ce que j’aime d’abord voir et comprendre c’est la course de sa Parole. La Parole de Dieu court. Ensuite, il a envoyé les prophètes. Ils sont venus et ils ont parlé. Ils ont été écoutés par le peuple juif. Ils ont écouté un quart d’heure après les gens ont commencé à penser à autre chose. Alors finalement, puisqu’ils n’écoutent rien du tout je vais venir moi-même. Finalement, il leur envoya son Fils. « Et la Parole s’est faite chair. » Cette Parole est devenue chair et os en la personne de Jésus, voilà la course de la Parole. Il y a un livre très joli qui s’appelle L’homme qui marche, on pourrait presque dire « Jésus, l’homme qui court ». Il est la course de la Parole qui va à travers la Galilée, la Samarie qui va monter jusqu’à Jérusalem et qui va montrer comment cette parole d’amour de miséricorde est victorieuse de tous les paquets de haine, d’injustice, de violence et de jalousie envoyés en pleine figure jusqu’à le crucifier sur la croix. La victorieuse parole de son amour au matin de Pâques, elle est là devant vous « n’ayez pas peur, c’est moi ». « Vous pouvez me toucher, vous pouvez mettre vos doigts dans mes plaies. Donnez-moi à manger je ne suis pas un fantôme » et il continue à leur parler.

C’est une belle course parce que c’est la course de la Parole de Dieu qui donne la vie au monde. Je suis en train de parler de vous, pas que de lui. Quand je vous vois c’est cela que je désire que vous soyez. Vous êtes créatures de la Parole de Dieu, vous avez été faits par cette Parole qui est une parole créatrice qui est continuellement en train de faire son travail en vous. Une fois que cette Parole sera devenue votre chair, votre sang dans le monde et qu’elle aura parcouru les distances de votre existence à vous, elle donnera la vie aux autres, elle servira les autres, elle déversera des paquets de lumières dans leur vie. Cela est une très belle course. En fait, le « où cours-tu ? », je mets le « tu » chez Jésus : « Jésus où cours-tu ? Tu ne voudrais pas courir au fond de moi-même ? ». C’est là que l’on arrive directement sur votre question de temps, la gestion de votre temps. Si c’est là l’essentiel, alors vous allez commencer par là chaque jour.

Quand je rencontre des enfants dans les visites pastorales, je leur dis toujours : je vous demande un cadeau, un cadeau à vous faire jusqu’à votre mort : le matin avant de faire sa toilette, de prendre le petit déjeuner, de s’habiller, faites un signe de la croix. A votre âge, ça change tous les jours mais ça c’est premier, c’est essentiel. Entrez dans la journée par la grande porte d’entrée.

Quand je vois des jeunes de votre âge, je pense à Sœur Edith Stein qui a écrit un texte où elle dit sa bataille dans la première heure de la journée. C’est extraordinaire. Je suis encore dans mon lit, avant de me lever, il faut que je sois sur mes gardes, parce que je veux que soit première la force de sa parole. Avant que je me laisse attraper par toutes les courses folles que je dois faire. C’est à ce moment qu’il ne faut pas céder et lui dire que je donne comme principe numéro 1 et comme commencement ta Parole pour qu’elle agisse en moi. Pendant 27 ans, Jean- Paul II a été notre Pape. J’étais tout jeune prêtre quand il a été nommé Pape et des 27 ans il ne me reste qu’une seule phrase. C’est amusant car il a écrit je ne sais combien d’encycliques et de lettres apostoliques, il a fait des discours partout. Mais la seule phrase qui me reste de Jean-Paul II est celle là : « Ouvrez toutes grandes les portes de votre vie au Christ » parce qu’il est la Parole. Et cette Parole quand elle entre en toi, elle va te faire, te refaire, t’affiner, réussir en toi tout un travail très difficile à réussir; lui seul qui t’aime, te connaît, t’a créé, t’a fabriqué pour enfin devenir toi même. Il y a une phrase de l’Évangile que vous n’aimez pas, que les catholiques n’aiment pas. Je vais vous l’expliquer pour vous réconcilier avec elle. Jésus, dans l’Évangile de demain, commence par les Béatitudes. Pour expliquer que les Béatitudes il dit : « Je ne suis pas venu abolir ce qui est écrit dans la loi, je suis venu le porter à son accomplissement ». Il a été dit dans l’Ancien Testament : « Tu ne tueras pas » Vous voyez bien que cela ne suffit pas puisque quand on dit « celui là me casse les pieds, ce serait mieux s’il n’était pas là » tu as déjà un peu commencé le meurtre.

« Tu ne commettras pas l’adultère mais si une femme que tu regardes dans la rue et que déjà tu commences à avoir des pensées impures… » c’est mal parti. Il prend six exemples comme ça. Vous avez appris qu’il a été dit, je ne veux pas vous donner des interdictions massives mais regarde le fond de toi même, tout le travail que j’ai à faire en toi pour que tu ne te contentes pas de ne pas transgresser des interdits mais que tu avances avec ta beauté, avec ta noblesse, avec ta droiture. D’une certaine manière, la beauté avec laquelle je t’ai créé. Figure-toi que je n’ai pas fini la création en toi ni mon travail en toi. J’ai encore beaucoup de travail à faire en toi. Regardez quand vous utilisez le verbe créer. Vous l’utilisez toujours au passé composé. Vous êtes-vous rendu compte de cela ? Cela suffit ! Quand je dis, je crois en Dieu le Père tout puissant créateur, cela ne veut pas dire « a créé le monde il y a des milliards d’année » mais ça veut dire «je crois que c’est mon Père et qu’aujourd’hui il me crée, il est en train de me faire, de me refaire. A la fin de ce chapitre, il y a le verset très étonnant contre lequel vous êtes en colère, quand Jésus tire sa conclusion et qu’il dit : « alors soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » . On se dit « je n’y arriverai jamais, les dix commandements je ne les ai même pas respectés, en plus il en rajoute, c’est trop difficile, c’est plus la peine d’être catholique car de toute façon je n’y arriverai jamais. Beaucoup de gens pensent comme cela. Cela prouve qu’ils font un contre sens énorme sur l’Évangile. Quand Jésus dit ça, c’est le mot grec, il dit « vous n’êtes pas fini ». Moi, votre créateur et votre rédempteur j’ai encore beaucoup de travail à faire en vous pour faire, pour vous refaire et vous parfaire. Soyez parfait comme le père céleste est parfait. Autrement dit, la vraie course, est la course de sa Parole au fond de moi-même pour qu’elle puisse agir, pour qu’elle remette en place tout ce qui doit être remis en place à l’intérieur de nous. Il y a un psaume très joli qui dit cela « Il envoie sa parole sur la terre et rapide son verbe la parcourt ». On a l’impression que la parole de Dieu est en train d’agir dans le cœur de tous ses enfants et effectivement il y a beaucoup de travail à faire en toi, en moi, en nous.

J’en arrive à une remarque un peu bizarre, on dit de Jésus qu’il est le Verbe Incarné. Le Verbe qui s’est fait chair. J’ai l’impression que c’est un peu la même histoire qui doit m’arriver. A moi aussi, il me dit tu sais j’aimerais bien que la Parole de Dieu elle se fasse chair en toi. J’aimerais bien que la course de la Parole poursuive son chemin en toi. Le texte d’Edith Stein dont je parlais tout à l’heure dit : « Alors le matin, moi, je me bats énormément pour garder ma première heure de la jour- née afin qu’elle lui appartienne et que soit lui mon créateur qui ai la première place à l’intérieur de ma journée, de ma pensée, de mon cœur et non pas toutes les activités qui vont arriver après avec mon emploi du temps. C’est cette parole qui est toujours en train de me créer, de me faire, de me refaire, de me parfaire et qui va me mettre un peu au point pour que j’arrive à faire quelque chose d’utile. » Voilà le travail ! Jésus lui même est comme ça. Il y a un verset que j’aime énormément dans l’Évangile : il a passé une soirée épouvantable, il a guéri une quantité de malade, il a mangé avec, on lui amené tous les malades et tous les possédés du démon. A quelle heure tu t’es couché Jésus ? Le lendemain matin, le texte de l’Évangile dit : « le lendemain, bien avant le jour, Jésus se leva et il parti dans un endroit désert et là il priait. Les apôtres le cherchent et finissent par le trouver et lui dit : « tout le monde te cherche » et Jésus leur dit : allons dans les villages voisins, c’est pour cela que je suis sorti ». Le matin il sorti, il sorti à la rencontre de Dieu et quand il est rattrapé par les autres il dit qu’il est fait pour être donné aux autres. J’aime beau- coup courir dans les villages et aller dans les alentour. En fait, quand il veut parler aux gens, il veut d’abord s’être imbibé, s’être imprégné de la parole de Dieu, il veut avoir fait du silence et s’être caché dans un coin seul, désertique, dans un moment de solitude, il veut avoir entendu cette parole. C’est cela qu’il donnera l’après-midi aux autres comme une parole de réconfort. C’est comme dans un passage d’Isaïe, on a l’impression qu’il le vit : chaque matin le Seigneur éveille mon oreille, c’est assez joli, ainsi, l’après-midi, je pourrai donner aux autres des paroles de réconfort. On a l’impression que l’on voit le circuit physiologique. Elle rentre par l’oreille, elle arrive dans le fond de mon cœur, sa parole, elle fait tout son voyage. L’après-midi, elle ressortira sur mes lèvres, de me lèvres, pour devenir une parole de réconfort pour les autres.

Que vous couriez beaucoup, pas tellement, cela dépend de votre tempéra- ment. Cela n’est pas plus important. Ce que je veux vous dire ce soir tient en une seule phrase : Lui, il a le droit de courir en vous et si sa Parole court en vous je me fais aucun souci pour votre propre course ni pour votre propre parole. Attention ! Il faut vous battre. Souvent, j’ai entendu des gens dire « mais moi je n’ai pas besoin de tant prier le matin, je prie dans mes conversations avec les autres, ma vie est une prière. Je dis : Bien sûr, Jésus qui était médiocre spirituellement en avait besoin… mais vous, vous n‘en avez pas besoin… Stop ! Stop ! Stop ! Si lui en avait besoin, moi encore plus. Donc, c’est une nécessité que cette Parole puisse arriver en nous et courir avec toute sa force et toute sa vitalité au fond de votre cœur, de votre esprit, de toute votre intelligence, de votre corps. Vous serez ainsi la Parole, le Verbe fait Chair et vous ferez votre course de la journée à votre rythme. Vous avez tous des tempéraments différents.

Je termine par une citation de Saint Paul que l’on retrouve à la conclusion du document du concile Vatican II sur la Parole de Dieu « Dei Verbum » dite « la perle de Vatican II ». C’est une citation de Saint Paul, dont on peut dire qu’il a couru, qui dit : « Il faut que la parole de Dieu poursuive sa course ». Moi, pour XXIème siècle en France, je vois ici la Parole de Dieu. Je vous dis mes amis, comme Saint Paul, puisque vous êtes ici les CGE à Lyon : « Il faut que la parole de Dieu poursuive sa course ». Alors : Bonne course !

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