Le toucher dans la Bible et dans la liturgie
Cet exposé a été préparé pour la session de mai 2017 pour les personnes en situation de malvoyance.
Une traversée biblique autour du sens du toucher. On ne touche pas qu’avec les mains : toute notre peau est sensible au toucher et nous avons des cellules sensibles réparties dans tout le corps (elles nous permettent de nous situer dans l’espace, d’apprécier la température, la pression, les vibrations, la douleur …)
La peau délimite le corps, elle est l’interface entre l’interne (la personne) et l’extérieur, elle peut donc devenir une porte d’entrée privilégiée à l’intériorité.
Le toucher, plus que tous les autres, est le sens évoqué lorsqu’on pense à l’Incarnation de Dieu fait homme en Jésus-Christ.
Mieux que les autres sens, le toucher appelle l’intimité, puisqu’il oblige à réduire au maximum les distances entre les êtres. On voit, on entend, on sent à distance, mais on ne peut toucher à distance.
Le toucher est, par excellence, le sens de la relation puisqu’on va souvent toucher quelqu’un et être touché par lui. C’est le sens qui est le plus dans une forte réciprocité.
Les références au toucher sont innombrables dans la Bible : on crée avec les mains, on se bat, on se caresse, on s’embrasse… Il est intéressant de noter que le toucher est présent dans des contextes très variés :
Toucher pour connaître, reconnaître … et tromper aussi !
Toucher pour aimer.
Toucher pour bénir
Toucher pour guérir.
Toucher pour manifester la compassion, pour prendre soin du corps.
Toucher pour oindre et glorifier.
Nous ne regarderons que quelques passages bibliques en faisant dialoguer l’Ancien et le Nouveau Testament.
Nous essaierons de voir comment ce toucher est chargé de sens, comment des symboliques de sens ont pu évoluer dans les Écritures et comment cela se retrouve dans notre liturgie.
Cela nous ouvrira des pistes pour mieux faire du toucher une des portes d’entrée d’une catéchèse par les sens.
Toucher pour reconnaître et … tromper
Isaac a épousé Rebecca dont il a eu ses 2 fils jumeaux, Esaü et Jacob. Au chap 26 de la Genèse, Isaac est chez le roi Abimélek et, c’est à la façon dont le roi va voir Isaac caresser Rebecca qu’il apprendra que celle-ci est sa femme et non sa sœur comme il l’avait prétendu (Gn 26, 8-9).
Voilà un toucher qui montre à la fois comment Isaac reconnaît sa propre femme et qui révèle une tromperie.
Ce toucher trompeur on le retrouve dans l’épisode où Isaac doit reconnaître celui de ses fils qui doit recevoir sa bénédiction (Gn 27,1-33).
Isaac est devenu très malvoyant et c’est avec le toucher, en particulier celui de l’aspect velu de sa peau, qu’il identifie son fils : Gn 27, 21 « Approche donc mon fils, que je te palpe, pour savoir si tu es bien mon fils Esaü. »
C’est par cette reconnaissance par le toucher que Jacob prend la place d’Esaü (c’est pourquoi le nom de Jacob est traduit en Gn 27, 36 par « le trompeur »).
Un autre épisode de reconnaissance par le toucher se trouve après la résurrection du Christ, lorsque le disciple Thomas veut voir et toucher (Jn 20, 24-29). Pour croire, le disciple veut d’abord voir mais il va plus loin et convoque le sens le plus indubitable: le toucher.
Avec une vision, il pourrait s’agir d’une «apparition».
Avec le toucher, on accède à la résurrection de la chair. Et pourtant, le texte ne dit pas que Thomas ait touché: il voit et il croit. Cependant, cette invitation à toucher,faite par Jésus, met l’accent sur un point majeur de notre foi. Le Dieu-fait-homme naît, vit et meurt dans un corps. Il ressuscite avec un corps donc la chair de l’homme est digne, le corps de l’homme est bon.
Jésus ressuscite avec ses blessures (il invite à mettre la main dans ses plaies). Ainsi il assume tout de l’humanité, même ses souffrances. Pour Frédéric Ozanam (fondateur de la Société Saint Vincent de Paul), ce sont les pauvres qui permettent de faire l’expérience tactile de Thomas.
Revenons à la Passion du Seigneur: c’est par un baiser trompeur que Judas permettra aux soldats de reconnaître ce Jésus qu’ils veulent arrêter. (Lc 22, 47-48)(Mc 14 ,43-46).
Ce baiser de trahison a marqué l’imagination occidentale au point que la locution «un baiser de Judas» s’est lexicalisée pour désigner une traîtrise, une fourberie cachée sous un geste amical.
En effet, dans le monde méditerranéen, trahir après un baiser était déjà une honte. Trahir par un baiser est encore plus sordide.
Toucher pour aimer et pardonner
Le baiser est une des façons d’aimer et de pardonner. Dans laBible, le baiser revient à plusieurs reprises.
Bien sûr on pense tout de suite aux premiers versets du Cantique des Cantiques (Ct 1,2) mais si cette évocation est l’une des plus anciennes du baiser amoureux, nous trouvons aussi des références à un baiser qui serait une forme de reconnaissance sociale, un baiser de salutation, comme nous le pratiquons dans nos cultures occidentale s:
C’est le cas lorsque Laban court à la rencontre de son neveu Jacob (Gn 29, 12-14), lorsqu’Aaron va sur la montagne de Dieu au-devant de Moïse (Ex 4, 27), lorsque Moïse va à la rencontre de son beau-père Jéthro (Ex 18,7)
Dans le livre de la Genèse nous avons le baiser de retrouvailles réconciliées entre Jacob et Esaü (Gn 33, 4). On trouve ce même baiser de réconciliation entre David et Absalom (2Sa 14,33).
Pour en revenir au cas du baiser de Judas, la salutation par un baiser est un clair signe de l’estime de Judas pour Jésus et de son lien avec lui.
Pour les Juifs, le baiser exprime le lien familial, l’estime pour les gens de marque (par exemple des rois ou des rabbins), la réconciliation et la salutation lors d’un départ ou d’un retour. Il y a donc une forte symbolique à ce que ce soit par un baiser que Judas livre Jésus, le Roi des Juifs.
Cette salutation par un baiser faite aux personnes « de marque » ou intimes, notre liturgie l’a conservée lorsque le prêtre commence et termine chaque messe en baisant l’autel, lorsque le diacre embrasse l’Évangile après l’avoir proclamé et lorsque nous échangeons le baiser de paix pour nous transmettre la paix du Christ comme les lettre de saint Paul ou la 1ère lettre de Pierre nous y invitent (Rm 16,16 // 1Co 16,20// 2Co 13,12// 1Th5,26// 1P5, 14a)
Les gestes qui disent que l’on aime servent aussi pour bénir. On trouve parfois ensemble l’étreinte qui « embrasse » associée à l’imposition des mains. C’est le cas lorsque Jacob-Israël, devenu vieux et, à son tour malvoyant, veut bénir les fils de son fils Joseph – Ephraïm et Manassé – en renversant leur rang de naissance (Gn 48, 10-20).
Toucher pour guérir
Nombreux sont les épisodes où Jésus guérit en touchant. Il est intéressant de noter que dans l’épisode du bon Samaritain, ceux qui ont refusé de toucher le blessé se sont coupés de la relation avec Dieu…
La relation avec Dieu se fait dans la relation avec le prochain. Celui qui est le modèle de notre «plus proche prochain» et qui se donne totalement à nous est ce Jésus qui nous donne son propre corps en nourriture.
Déjà les Psaumes nous invitent à « goûter comme le Seigneur est bon », Ezechiel nous invite à « manger, manduquer la Parole » (Ez 3,1-3). Jésus s’offre lui-même en nourriture, pain vivant venu du ciel, Verbe fait chair et pain de vie. C’est en se donnant à nous qu’il vient continuer de nous guérir et de nous purifier (juste avant de communier nous disons « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai guéri »). Comme le dit le CEC n°1393 : « l’Eucharistie ne peut pas nous unir au Christ sans nous purifier en même temps des péchés commis et nous préserver des péchés futurs ».
Peut-être cela peut-il éclairer notre lecture des épisodes qui lient des gestes et paroles de guérisons à la rémission des péchés.
Toucher pour oindre
L’onction, surtout dans l’Ancien Testament, est faite avec de l’huile que l’on verse sur la tête de celui qui reçoit l’onction puis, éventuellement, on fera pénétrer cette huile. Ce « massage » pour faire pénétrer l’huile se retrouve dans la liturgie de l’Eglise lorsque les catéchumènes sont oints sur le corps par l’huile des catéchumènes pour les affermir avec cette huile de force et de protection, de douceur et de conversion (onction différente de celle qui sera faite avec le saint-chrême au moment du baptême).
Jésus-Christ, le Messie, celui qui a reçu l’onction par l’Esprit Saint (Lc 4,18) est celui qui reçoit l’onction de la femme pécheresse (Lc 7,36-50 // Jn 12,1-3) et celui qui à son tour lavera les pieds de ses disciples (Jn 13,1-15).
Il y a de nombreuses expressions du toucher qui se retrouvent dans cette succession de scènes qui ouvrent les derniers jours de la Passion-Résurrection du Christ. Outre l’onction on retrouve le baiser avec toute sa symbolique que nous avons déjà évoquée.
Si, dans l’Ancien Testament, l’onction est versée sur la tête, ici elle est répandue sur les pieds.
Ce n’est plus le signe de la reconnaissance d’une royauté terrestre mais un signe avant-coureur de l’ensevelissement du corps mort de Jésus et de sa glorification dans la résurrection.
Ce déplacement de la symbolique du toucher est signifiant du déplacement que nous sommes invités à faire en reconnaissant Jésus, pleinement Dieu et pleinement homme, comme celui qui est notre Roi et qui nous invite à l’édification du Royaume de Dieu.
Ce n’est donc pas par hasard si la liturgie a retenu pour nous le lavement des pieds du Jeudi Saint et la possibilité d’embrasser le bois de la Croix, dans la célébration du Vendredi Saint.
Poser nos lèvres sur la Croix, c’est à la fois aimer, vénérer et adorer le Christ, celui qui a traversé la mort pour que la vie triomphe à jamais.