Les grands-parents : un maillon incontournable dans la transmission
Un peu de théologie, L’Oasis n°13 : Papy, Mamie, racontez-moi !
Dans le monde d’aujourd’hui les grands-parents sont des repères pour se construire.
Comment transmettre la foi aux générations à venir ? Pour répondre à l’appel de Dieu, encore faut-il que cet appel soit entendu et que quelqu’un le relaye. La transmission est aujourd’hui difficile et complexe dans tous les domaines de la vie.
Trois éclairages pour comprendre la difficulté de transmettre
Premièrement, la modernité. Dans les sociétés traditionnelles, ce qui va permettre à l’homme de vivre et d’accéder à une forme de salut vient de ce que les anciens et les sages peuvent lui transmettre. En d’autres termes, le salut vient du passé, et il se transmet de génération en génération par des rites de passage. Aujourd’hui, ce mouvement de l’histoire s’est inversé. Le salut désormais ne vient plus du passé, mais du futur. C’est par le progrès, le développement de la technique, que ce qui peut sauver l’homme va advenir. L’important n’est plus derrière nous, mais devant nous.
Deuxièmement, la question de la transmission a été critiquée par l’avènement d’une nouvelle conception de la liberté. Traditionnellement, la transmission était au service de la liberté de l’homme. Elle était une évidence, mais elle est devenue un problème, car vouloir transmettre apparaît désormais comme la volonté d’imposer des idées préconçues qui étouffent la liberté spontanée de la personne. Ce qui est désormais premier, c’est le désir de chacun. C’est donc au nom de cette nouvelle conception de la liberté qu’il faut contester la transmission.
Enfin, cette remise en question de la transmission a trouvé dans le progrès technique un allié puissant. Jusque dans les années soixante, la transmission se faisait essentiellement par des figures symboliques comme le maire, l’instituteur, le curé et les parents. Or ces transmissions traditionnelles ont subtilement été dépassées par une nouvelle forme de transmission qui ne dit pas son nom et qui s’est imposée par la puissance de la technique et des médias qui sont les nouvelles références.
La place des grands-parents pour transmettre dans l’Église ?
« À l’origine du fait d’être chrétien il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive » (Evangelii Gaudium n° 7), nous dit le pape François citant le pape Benoît XVI. D’emblée, François nous affirme : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. » (Evangelii Gaudium n° 1). C’est là, me semble-t-il, la fine pointe du mystère de la transmission, qui n’est pas seulement un acte « technique », mais d’abord le partage d’une expérience, celle de la rencontre du Dieu vivant en Jésus de Nazareth. Cette transmission va bénéficier de la relation particulière entre grands-parents et petits-enfants. En effet, si le rapport parents-enfants est marqué par la responsabilité directe et l’autorité, les grands-parents se situent d’une autre manière, qui permet souvent une qualité de confiance, voire de connivence. Il n’est pas rare que les confidences se fassent de petits-enfants à grands-parents plus que dans la relation parentale.
Renouveler la transmission pour notre temps
Les grands-parents, parce qu’ils ont plus de recul et savent aussi le rôle du temps, ont une place incontournable par leur prière pour leurs petits-enfants, dimension gratuite, libre et gracieuse de la transmission de la foi. La catéchèse, même si elle nécessite des savoir-faire, n’est pas d’abord une technique. Jésus le rappelle dans l’évangile selon saint Jean : « En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Permettre qu’un enfant entre dans la joie de l’Évangile, est un fruit de l’Esprit qui repose sur une prière fidèle et persévérante pour lui.
« La mémoire de nos ancêtres nous porte à l’imitation de la foi » (pape François). Nous le savons bien, dans toute éducation la fécondité de la transmission ne peut se faire que si ceux qui transmettent sont cohérents, c’est-à-dire que s’ils sont eux-mêmes témoins de ce qu’ils annoncent, par toute leur vie. Les enfants sont observateurs et ils sont sensibles à la cohérence de vie des adultes.
Le rôle des grands-parents peut être utile en introduisant dans une réflexion, des attitudes de foi. La qualité de confiance avec leurs petits-enfants, leur disponibilité et leur patience, font d’eux des passeurs de vie et d’expérience spirituelle. Ce sont eux qui parfois introduiront avec tendresse les enfants aux mots de la prière. Ce sont eux qui pourront initier et éveiller leur curiosité face à une église, un monastère, ou encore en partageant leur goût pour telle ou telle figure de sainteté. Ce sont eux qui, échangeant avec leurs petits-enfants, pourront avec sagesse les introduire aux grands mystères de l’existence, à la place de la souffrance, voire de la mort. Ce sont eux qui pourront peut-être trouver les mots pour transmettre l’espérance, face à la question de la fatigue de vivre dans le monde d’aujourd’hui et de l’angoisse grandissante quant au sens de la vie et de l’histoire.
Le rôle des grands-parents demeure essentiel, plus encore en raison de la sécularisation et des tensions intergénérationnelles. Rappelons-nous que cette transmission a été essentielle au siècle dernier, en particulier derrière le Rideau de fer. Sans les « babouchkas », mères et grands-mères de l’ancienne Union Soviétique transmettant particulièrement à leurs filles et petites-filles l’essentiel de la foi par la prière et la vénération des icônes, le renouvellement spirituel n’aurait pu avoir lieu en Europe de l’Est. Dans les « bagnes glacés », ce sont ces femmes qui ont transmis la faible lueur et la douce chaleur de la foi.
Dans les « bagnes dorés » et technologiques d’aujourd’hui, ce discernement est plus complexe, mais c’est de ce discernement que dépendront les temps à venir.
+ Vincent Jordy
Évêque de Saint-Claude
Président de la Commission épiscopale pour la catéchèse et le catéchuménat
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