Tenir la barre : Gouverner, un cap à la manière de Dieu

Retable du Monastère Santa Maria la Real de Najera, Panneau central du triptyque.

Retable du Monastère Santa Maria la Real de Najera, Panneau central du triptyque.

Que dit la Bible ?, L’Oasis n°15 : Gouverner avec justice.

N’avez-vous jamais tenu la barre d’un voilier ? Pour se diriger, les navires de l’Antiquité avaient souvent deux rames, dont le plat plongeait en arrière du bateau. Du plat-de-la-rame (en grec : pèdalios), on a finalement tiré le mot français « pilote ». Pour « diriger un navire », on utilisait un autre mot grec, cybernaô, devenu en français « gouverner »1. Dès l’Antiquité, ce mot a aussi pris son sens figuré : piloter ou gouverner, c’est tenir les commandes, diriger, conduire. Sur un navire, c’est gérer des outils (gouvernail, commandes, timonerie …), coordonner un équipage en tenant compte de la nature et des imprévus (vents, courants, vagues, rochers…) et viser une direction, une destination.

Des juges et des chefs pour la paix

Dans la tradition biblique, ont émergé des « juges », en fait à la fois chefs-et-juges, des gouvernants. Juge, chef, prince, roi, gouverneur, « grand » (en araméen), peuvent être synonymes. Moïse, seul juge, proche de l’épuisement, s’était vu conseiller par son beau-père de s’entourer, pour juger avec lui, d’hommes capables, craignant Dieu, des hommes solides/vrais, détestant le profit2, afin que le peuple aille en paix : voilà des repères pour former un « gouvernement » et assigner un but : la paix. Attention : il ne faut pas plaquer sur la Bible des régimes politiques auxquels nous sommes habitués (démocratie, monarchie…) ; on ne doit pas non plus négliger les évolutions de la gouvernance, selon les lieux et les époques bibliques.

Un jour, les anciens d’Israël demandèrent au vieux Samuel « un roi pour nous juger, comme toutes les nations ». « Écoute la voix du peuple, dit alors le Seigneur à Samuel, c’est moi qu’ils ont rejeté, quant à régner sur eux ». On peut lire ce chapitre (1 Samuel 8), où Dieu prédit comment un tel roi va gouverner, selon un droit « tordu ». Il montre ainsi comment il ne faut pas gouverner. Auparavant, une première tentative avait échoué (on peut lire la savoureuse parabole des arbres de Yotam en Juges 9,6-20). Au fond, le seul vrai roi ou gouvernant, c’est Dieu.

L’art de gouverner

Pour autant, comment assurer un gouvernement sur terre ? Par « le droit et la justice », un leitmotiv biblique. Le droit n’assure pas toujours la justice ; la justice ne peut se passer du droit ; pas de paix, sans justice. Mieux vaut que les gouvernants aient du discernement : Salomon est félicité d’avoir, dans un songe, demandé, non pas longue vie, richesse, ou mort des ennemis, mais sagesse et intelligence (1 Rois 3, 4-28). Le roi ne s’élèvera pas « au-dessus », mais se situera en frère (Dt 17,14-20). Et tel sera le gouvernant, tels seront les habitants (Si 10,2). C’est un art difficile de gouverner ! D’où le souhait du peuple qu’un roi, voire Dieu lui-même, gouverne ou vienne gouverner la terre ; que les mauvais gouvernants soient sanctionnés. Comment conduire avec justice ? Et au-delà, car Dieu gouverne avec miséricorde.

Dans le nouveau testament le Christ nous parle du royaume de Dieu, un royaume déjà là et toujours à venir.

La bonne place

Alors que, montant à Jérusalem, pour la troisième fois Jésus annonce sa croix et sa résurrection, la mère de Jacques et de Jean s’emploie à bien placer ses fils dans ce royaume. On se bat pour les bonnes places au gouvernement ! Jésus appelle alors ses amis : « Vous savez que les chefs des nations les dominent et que les grands les tiennent sous leur autorité. Il n’en sera pas ainsi parmi vous. Au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur (en grec : diakonos) et celui qui voudra être premier, sera votre serviteur (doulos), de même que le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir (diakonein) et donner sa vie en rançon pour beaucoup » (Mt 20,25-28 ; Mc 10,35-45). Le serviteur-diakonos se hâte ; le serviteur-doulos dépend d’un maître3. Saint Paul montre le divin Christ faisant le choix de l’humanité et du service, sous le mode de l’humilité, jusqu’à devenir crucifié, ressuscité et Seigneur, pour notre libération.

Gouverner avec justice ? C’est d’abord se gouverner, gouverner sa langue (Jc 3,4-5), sa maison (1 Tim 3,4-5). Comme sur le navire, c’est diriger avec un esprit de diaconie (réactif) et de service (disponible aux hommes et aux événements), de don de soi et d’humilité. Gouverner est un charisme à discerner (1 Co 12,28).

Père Alain Paillard, Directeur adjoint – Service national Famille et Société
Secrétaire général – Justice & Paix France

Les citations bibliques sont traduites par l’auteur.

1 De là : « gouvernail ». De la même racine grecque, Ampère (1834) en a tiré « cybernétique » (propre à être pilote, relatif au gouvernement) ; puis Wiener (1948) a repris le mot pour désigner une science, celle des procédures de commande et de communication dans les systèmes complexes De là, tout ce qui est « cyber- » !

2 Notamment 70 anciens (Ex 24,1-27 ; Nb 11,14-30).

3 Chez Luc (22,24s) : « le plus jeune » (le « dernier » pour Marc 9,34s) et le serviteur-diakonos.

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