Une confiance folle : la parabole des talents
Cet article est paru dans la revue Initiales n°259 : Célébrons nos talents !
Les mois passent, les années s’écoulent. Le Christ ne revient pas. Cette attente qui dure met à rude épreuve la foi de la communauté. Juste avant les récits de la Passion, les évangiles évoquent, avec des images d’apocalypses, ces temps qui seront les derniers, ceux du retour du Seigneur. Mais l’évangile de Matthieu soudain s’en éloigne pour esquisser avec des paraboles « à quoi ressemblera le Royaume des cieux » (25,1), afin d’apprendre à sa communauté comment vivre « sans » le Christ cette attente qui s’installe dans la durée.
Un mot s’impose : veiller. Veiller c’est être prêt, comme les jeunes filles aux lampes pleines d’huile (Mt 25,1-13). Mais comment vivre cette veille sans fin ? A cette question urgente, vient répondre l’histoire d’une confiance folle.
Le don suscite la confiance
Un homme part, il appelle ses serviteurs, le texte souligne le lien fort qui les unit, et « leur livra ses biens ». Il faut comprendre tous ses biens, non une part, mais la totalité. Et ces biens confiés, cinq, deux et un talents, à chacun « selon sa propre capacité », représentent des sommes énormes : dix-sept années de salaire d’un paysan rien que pour un seul talent1 , alors cinq ! Cette démesure ne peut être que de Dieu : démesure dans le don, démesure dans la liberté. Car le maître part sans laisser de consigne : il laisse sa place, il accepte que son bien devienne ce que ses serviteurs en feront.
Tout va se jouer pendant son absence. Que vont-ils faire de la confiance qui leur est faite ? Deux vont de l’avant sans attendre pour faire fructifier le capital confié. On voit leur empressement, leur rapidité d’action et le résultat de leur travail. En un-demi verset, le capital de chacun est doublé ! En contraste avec le troisième, dont nos traductions gomment la marche arrière2 ! Il revient sur ses pas pour enterrer le talent reçu, une pratique de prudence reconnue par la jurisprudence de l’époque pour dégager toute responsabilité. Prudence et sagesse semblent donc présider à son choix pour préserver « l’argent de son seigneur » (v.18).
La mission confiée par le Seigneur
« Longtemps après le seigneur vient » (v.19). Ce sont là les mots mêmes de Jésus parlant de son retour à ses disciples (24,42). Il s’agit bien du retour du Christ, le Seigneur. Et la reddition des comptes est le jugement de la communauté, de la façon dont ses membres auront répondu à la mission confiée par le Seigneur à son départ.
« Tu m’as livré cinq (deux) talents, voici cinq (deux) autres que j’ai gagnés ». Le dépôt confié appartient au seigneur. Mais ils ont su le faire leur pour le multiplier. C’est là leur fidélité que le maître reconnaît par quatre fois. La foi dont ils ont fait preuve compte plus que le résultat. Ils sont entrés dans la relation créée par le don et le départ de leur seigneur. Ils ont su voir sa présence dans ce don. Cette foi active et féconde trouve sa récompense dans l’entrée dans la joie messianique à venir.
Tout autre est l’histoire du troisième serviteur « qui avait reçu » un unique talent (v.24) : subtilité du grec des évangiles ! La même forme verbale était employée jusque-là pour tous3 . Mais ici, un autre temps, propre au grec, le parfait, exprime une action du passé qui dure encore actuellement : « il avait reçu » et tout est resté tel quel, figé. Il rend le talent intact à son seigneur : « j’ai caché ton talent. Voici, tu as ce qui est tien. », et en passant le mot « talent », et avec lui sa valeur, disparaît, alors que sa répétition soulignait l’action féconde des deux autres serviteurs.
Dépasser sa peur pour oser la confiance
Lui seul éprouve le besoin de justifier son choix par la connaissance qu’il pense avoir de son seigneur, homme dur, exigeant, rapace. Un tel maître ne peut qu’engendrer la peur et cette peur l’a empêché de voir la confiance qui lui était faite, à lui et à ses capacités. Ne comprenant pas quel était son seigneur, il n’a pas compris quel trésor lui était confié. Il a enterré le talent comme il enferme son maître dans une fausse image qui l’enferme lui-même dans une condition d’esclave. Il n’a pas compris que le bien confié faisait de lui un collaborateur, impliquait une exigence, une mission à développer. Attendant sans rien faire, il ne porte pas de fruit. Il en devient inutile. Il n’a pas mal agi, il n’a pas agi ! Et logiquement, le don sera retiré à celui qui n’en a rien fait.
La confiance donne l’audace de la mission
La veille dans l’attente du retour du Seigneur n’est pas le temps de la paresse ou de la peur. C’est le temps de l’action, de l’engagement. « La Bonne nouvelle du Royaume » est le trésor confié non pour l’enfouir mais pour la « proclamer au monde entier » (Mt 24,14) et la vivre concrètement auprès des déshérités qui sont le Christ (Mt 25,31-46). La vie chrétienne n’est pas une veille passive, mais une mise en action concrète, une responsabilité libre à engager, chacun selon « ses capacités », chacun selon « ses talents »4 .
Claire Escaffre, Bibliste, Co-rédactrice de ZeBible
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1.Talent : unité de poids correspondant à 30 kg d’argent.
2. Apelthôn : s’éloigner, s’en aller, revenir sur ses pas. Pour les deux autres : poreutheis : marcher, avancer
3. Un participe passé (aoriste) labôn, ayant reçu, « qui a reçu » v.16,18,20.
4. Le mot de la langue française vient directement de cette parabole. Mais dans le sens des capacités, des aptitudes de chacun.
Et après beaucoup de temps, vient le seigneur de ces serviteurs et il règle ses comptes avec eux. S’approche celui qui a reçu cinq talents. Il présente cinq autres talents en disant : « Seigneur, cinq talents tu m’a livrés ; voici cinq autres talents que j’ai gagnés. » Son seigneur lui déclara : « bravo ! serviteur bon et fidèle, sur peu tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai. Entre dans la joie de ton seigneur. » S’approche aussi celui des deux talents. Il dit : « Seigneur, deux talents tu m’as livrés, voici deux autres talents que j’ai gagnés ». Son seigneur lui déclara : « bravo ! serviteur bon et fidèle, sur peu tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai. Entre dans la joie de ton seigneur ». Et s’approche aussi celui qui avait reçu un unique talent. Il dit : « Seigneur, j’ai connu que tu es un homme dur, moissonnant là où tu n’as pas semé et rassemblant là où tu n’as pas dispersé. Et j’ai eu peur : je m’en suis retourné et j’ai caché ton talent dans la terre. Voici, tu as ce qui est tien. » Et répondant son seigneur lui dit : « mauvais serviteur et paresseux. Tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé et que je rassemble d’où je n’ai pas dispersé. Il te fallait alors placer mon argent chez les banquiers et à ma venue, moi j’aurais recueilli ce qui est mien avec un intérêt. Enlevez-lui donc le talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car à chacun qui a il sera donné et il aura en surabondance, mais à qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé. Et le serviteur inutile, jetez-le dehors dans la ténèbre extérieure : là sera le pleur et le grincement de dents. »
Mt 25, 14-30, Traduction littérale
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