Quand Dieu se révèle en terre étrangère

Que dit la Bible ? , L’Oasis n°27 : Dialogue interreligieux

La Bible nous montre que Dieu n’a pas hésité à se révéler dans l’histoire et dans le temps en entrant en dialogue avec d’autres traditions, coutumes et religions. Progressivement les croyants ont pu affirmer la singularité de leur Dieu et de leur foi.

Le Christ et la Samaritaine, de Duccio di Buoninsegna
Duccio di Buoninsegna, Le christ et la Samaritaine, Sienne, v.1260

D’Abraham à Jésus, en passant par Isaac, Moïse et d’autres, Dieu se fait connaître là où l’homme vit.

Dieu révèle son nom à Moïse chez les madianites

Au chapitre troisième du Livre de l’Exode, nous lisons l’épisode du buisson ardent où Dieu se manifeste à Moïse. Il fait l’expérience spirituelle d’une rencontre avec Dieu qui est à la fois un épisode de révélation et de vocation pour une mission. Au verset 14, Dieu lui révèle son nom.

C’est le tétragramme, quatre consonnes hébraïques, yod, hé, waw, hé qui forment dans le texte sacré un nom imprononçable car il ne comporte aucune voyelle !

Dieu se révèle ainsi à Moïse comme Yhwh, un nom énigmatique. Il se laisse approcher mais on ne peut pas le posséder, il est inatteignable. Il réchauffe ; il dynamise ; il illumine l’esprit et le cœur dans le froid du désert mais comme le feu, on ne peut le saisir. Et pourtant par cette rencontre mystérieuse, Moïse comprend sa mission. Dieu a vu comme lui la misère de son peuple, il connaît son cri et ses souffrances (Ex 3,7.9). Il connaît l’injustice faite aux faibles qui a déjà conduit Moïse à tuer un Égyptien et à s’enfuir chez les madianites, dans un lieu sauvage.

Et c’est là au cœur de sa détresse, chez les nomades, dans un statut de fugitif caché chez les madianites, que Moïse fait l’expérience de Dieu qui change sa vie.

Une révélation dans le temps et dans l’espace

Qui est ce Dieu qui vient de se révéler à lui ? Il se présente par un nom imprononçable et en même temps déclare être le Dieu de ses pères, « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob » (Ex 3,6). C’est donc un dieu familier, le Dieu de son clan, et pourtant il le rencontre en terre étrangère, chez les madianites, puisqu’il est en train de faire paître le troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane, à la montagne de Dieu, à l’Horeb. Ce lieu et ce beau-père ont fait couler beaucoup d’encre. Le lieu est appelé Horeb dans certaines traditions du Pentateuque, Sinaï dans d’autres. La mémoire concernant le beau-père est encore moins précise. Quelles que soient les traditions, elles convergent dans le fait que Moïse a pris pour épouse une femme madianite et que son beau-père était un prêtre madianite, un nomade du désert de la péninsule sinaïtique.

Selon Exode 18,12, alors que le peuple hébreu est sorti d’Égypte et vient d’arriver au lieu de la première révélation de Dieu à Moïse évoquée plus haut (Ex 3), Jéthro est celui qui invite les israélites à un repas sacrificiel pour Yhwh sur la montagne de Dieu. En d’autres termes, cela nous montre que les madianites étaient déjà des adorateurs de Yhwh au Sinaï avant que les hébreux libérés par Moïse ne les y rejoignent. L’expérience du Dieu de ses ancêtres que Moïse avait faite en Exode 3,14 en faisant paître le troupeau de son beau-père Jéthro s’était ainsi faite sur la montagne sainte des madianites. Les spécialistes s’interrogent donc légitimement pour savoir si, à l’origine, Yhwh aurait pu être le dieu des madianites, avant d’être adopté par les israélites.

Jésus, Verbe de Dieu, entre en dialogue avec toute personne qui recherche Dieu en vérité
[…] y compris avec ceux aux traditions religieuses, aux coutumes ou aux cultures différentes.

Jésus entre aussi en dialogue avec les étrangers

Que tirer de ces observations et des enseignements du texte biblique pour notre foi ? D’abord, peut-être, cela nous enseigne-t-il qu’il est périlleux de chercher un commencement absolu dans la révélation de Dieu, et que toute révélation de lui à nous se fait toujours dans le prolongement de la recherche de ceux qui nous ont précédé et de leur expérience de Dieu. Le premier testament nous montre ainsi la recherche tâtonnante de Dieu par l’homme. Pour nous chrétiens, la plénitude de la révélation de Dieu n’est pas au commencement mais au centre de l’histoire, en Jésus, le Christ, qui synthétise, accomplit et éclaire non seulement cette recherche immémoriale de Dieu mais aussi toutes celles qui suivront.
C’est lui Jésus qui dit à la samaritaine : « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père » (Jean 4,23). Jésus, Verbe de Dieu, entre en dialogue avec toute personne qui recherche Dieu en vérité et si cette personne se met à sa suite dans son esprit, elle accède à la connaissance pratique de Dieu comme Père et source de communion, y compris avec ceux aux traditions religieuses, aux coutumes ou aux cultures différentes.

On le voit en Jésus comme en Moïse : Dieu se révèle en terre étrangère (Samarie, Madiane). La recherche tâtonnante du Dieu du premier testament aboutit à la communion en esprit et en vérité révélé par le Christ. En dialoguant avec la samaritaine, en parlant avec elle des rites et des traditions de son peuple, Jésus rejoint la recherche de vérité de cette femme pour sa vie et à propos de Dieu. Il oriente cette recherche vers la communion trinitaire.

Aujourd’hui encore, les traditions religieuses, les coutumes et les cultures des peuples stimulent notre propre recherche de Dieu. Et comment ne pas s’intéresser à ces traditions, ces coutumes et ces cultures, puisque l’être de Dieu est communion ?

Père Vincent Sénéchal,
Supérieur général des Missions étrangères de Paris

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