Conduire au mystère … au cours d’une catéchèse mystagogique

Catéchèse mystagogique : « Dieu nous parle, célébrons-le ! »

Après la célébration de la Parole de la triple manifestation du seigneur : l’adoration des mages, le baptême du Seigneur et les noces à Cana.

Sophie Gall

 

Tu vas sans doute être étonné que je dise « tu » car si tu me connais un peu tu sais que je ne suis pas quelqu’un de très démonstratif. Mais pour ce que nous allons vivre ensemble, il est nécessaire que tu veuilles bien que je te dise « tu » car c’est le tutoiement du baptême. Ce que je vais dire s’adresse à toi, personnellement, parce que quand tu participes à la liturgie, c’est d’abord un acte personnel. Ce que tu y vis, tu le vis dans l’assemblée de manière personnelle. La liturgie, c’est tout le contraire de l’autoritarisme, c’est la liberté que donne l’Esprit saint à chacun, de recevoir dans sa langue personnelle, dans son histoire personnelle, les mots et les gestes de la foi.

Je voudrais habiter avec toi les mots et les gestes de cette célébration. Je voudrais comprendre quel itinéraire la célébration de la Parole que nous venons de vivre nous a fait parcourir dans la foi.

Célébrer la Parole ?

Tu viens de vivre une célébration de la Parole; c’est une drôle d’appellation. Bien sûr, dans notre vocabulaire pastoral, on est habitué. Mais si on y réfléchit bien, que peut vouloir dire « célébrer la Parole » ? On célèbre la messe, ou une fête nationale ou un anniversaire… On célèbre un évènement ou une personne, mais célébrer la parole ? La Parole de Dieu serait- elle un évènement, serait-elle une personne ?

Si encore on disait « une célébration des lectures» ? Mais ce ne serait pas tout à fait juste car tu as bien vu que nous n’avons pas seulement lu. Tu n’as pas fait qu’écouter, tu as aussi chanté, tu t’es mis debout, tu as regardé, tu as senti… car pour célébrer la Parole, ce n’est pas seulement de parler avec sa bouche dont il s’agit mais de bien plus. Tout ton corps y était convié, tous tes sens.

Te rappelles-tu comment dans la synagogue de Nazareth, Jésus a fait la lecture : il se lève, on lui présente le livre, il l’ouvre puis il lit un court extrait du prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction… » ; ensuite, Jésus referme le livre et le rend au servant; il s’assoie et il dit à tous ceux qui étaient là : « Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit » (Lc 4, 16-21).

Aujourd’hui

Jésus remet le texte du passé en liberté parce qu’il remet tout le texte au présent : aujourd’hui. C’est ce que tu as entendu tout à l’heure dans chacune des prières dites par notre évêque :

Aujourd’hui, tu as révélé ton Fils aux nations

Aujourd’hui, le Christ a été baptisé dans le Jourdain

En ce jour, nous avons célébré trois mystères

Aujourd’hui est un des mots les plus caractéristiques de la liturgie. D’ailleurs, si ces évènements ne se passaient pas aujourd’hui, quel intérêt y aurait-il à les fêter ? La liturgie célèbre l’actualité du mystère. Ce n’est pas une machine à remonter le temps. Nous ne cherchons pas à faire comme si nous étions autour de Jésus à la synagogue, ou avec Marie dans la chambre haute… mais nous campons, ici à Sainte-Anne, dans l’aujourd’hui de Dieu.

Prendre le livre

Mais Jésus ne se contente pas de lire. Il a prit le livre des Ecritures. Il prend le livre qu’on lui a remis. Il prit le livre.., il prit le pain. Jésus prend le livre entre ses mains, comme pour finir il prendra le pain. D’un bout à l’autre de son ministère, c’est le même acte, c’est la même liturgie. Jésus prend le livre comme son propre corps et le livre devient son corps d’écritures (le corpus), son corps livré. Il en fait non pas un monument, encore moins un souvenir mais une présence réelle. Depuis ce matin, quand l’un de nous a pris en main l’évangéliaire, l’a donné à un autre, puis à un autre, aucun de nous n’a pris la Parole, aucun de nous ne lui a fait violence. A chacun de nous, la Parole a d’abord été donnée.

Un livre-signe

Mais penses-tu, c’est le livre qu’on nous a donné, pas la Parole. Tu as raison, c’est un livre, un objet, mais pas n’importe quel livre, pas le petit feuillet qu’on glisse dans une poche ou qu’on jette quand le mois est écoulé. Le livre de la Parole, le lectionnaire, l’évangéliaire, n’est pas un livre banal, il est grand, lourd. Souvent des artistes l’ont décoré, enluminé, mis en lumière. Le livre est le signe qui atteste que quand on lit dans l’Eglise les saintes Ecritures, c’est Dieu lui-même qui parle à son peuple. Un livre — signe, un livre- sacrement. C’est pour cela aussi qu’à certaines célébrations, on l’encense. Tu as raison, ce n’est pas l’objet de papier qu’on encense mais ce qu’il représente : les mots, les récits par lesquels Dieu nous parle. « Acclamons la parole de Dieu, Louange à toi Seigneur Jésus. ». C’est pour cela qu’il vaut mieux ne pas montrer le livre à l’assemblée après la lecture de l’évangile, car par la lecture, nous venons de passer du livre, au Christ. Et c’est lui qu’on acclame, pas le livre.

Ce livre ne serait rien s’il n’y avait eu la voix du lecteur… son souffle qui fait vibrer ses cordes vocales… Nous reconnaissons dans les Ecritures, l’inspiration de l’Esprit de Dieu et c’est encore de souffle qu’il s’agit quand la voix du lecteur a vibré dans l’assemblée.

Voilà, Tu sais maintenant pourquoi la liturgie marque avec respect le livre des Ecritures et pourquoi le rôle du lecteur est si important.

Mais toi, veux-tu entendre comment tu as écouté la Parole et comment tu as répondu ?

Comme avec un ami

La lecture de l’évangile, c’est un peu comme la fréquentation d’un ami. Plus tu entends ces textes, plus ils te deviennent familiers. Les textes deviennent peu à peu ton pays, ta terre adoptive. C’est ainsi que l’ami prend place dans ta vie. De l’inconnu qu’il était, il devient un familier et tu aimes t’asseoir près de lui. N’est-ce pas ce que tu as fait pendant la célébration ? Tu t’es assis pour écouter un texte ami.

Tu t’es aussi levé. A la messe, c’est debout qu’on écoute l’évangile, car l’évangile, la bonne nouvelle, c’est le Christ. C’est tellement vrai que Matthieu commence ainsi son évangile : « Commencement de la bonne nouvelle de Jésus Christ, fils de Dieu » et que Jean écrit que le Verbe, la Parole de Dieu était au commencement et que le Verbe était Dieu. Alors, c’est debout, comme des disciples du Christ, comme ceux d’Emmaüs, que chaque dimanche nous écoutons le Christ, l’évangile de Dieu.

Mais en même temps, tu as trouvé que ces textes n’étaient pas si faciles que cela à comprendre. Même si l’homélie, les oraisons t’ont aidé à entrer dans leur signification. Ces paroles sont obscures, mystérieuses. Tu pressens qu’elles cachent un mystère. L’ami est aussi l’inconnu, l’insaisissable. Celui que tu ne peux pas enfermer dans ce que tu sais de lui, ou dans ce que tu imagines.

Peut-être aurais-tu mieux compris les textes si tu avais pu les lire en même temps sur une feuille ou un missel ? Probablement moins de mots t’auraient échappé. Tu aurais vu quand le texte allait se terminer; tu aurais même pu le lire plus vite que le lecteur, le lire deux fois plus vite pour mieux le comprendre. Mais la liturgie t’a proposé une autre manière de fréquenter le texte : elle t’a demandé de laisser les livrets, les crayons, les dictionnaires, les DVD (au moins pour un temps), les podcasts…

De tout laisser en fait : ce que tu crois savoir ou ne pas savoir et de faire la seule chose qui plait à Dieu, le sacrifice saint, agréable : écouter, car tu sais qu’écouter signifie obéir.

Dans cette célébration, tu n’as pas d’abord fait une explication de texte mais tu as laissé entrer en résonnance une parole, un personnage, une évocation. L’écoute liturgique est d’abord disponibilité, ouverture.

Chaque fois que dans la liturgie, tu acceptes d’écouter par la voix du lecteur les mots des Ecritures, tes oreilles, ton corps tout entier entrent en obéissance. Ainsi la liturgie t’éduque pour la vie, vivre en écoutant. Tu sais combien cela change la vie de rencontrer des hommes et des femmes qui écoutent. Dans la liturgie, tu apprends à devenir un de ceux-là.

Dans un dialogue et de plusieurs manières

Mais si tu te souviens de ce que nous venons de vivre, tu te rappelles que nous ne sommes pas restés sans voix après avoir entendu les lectures de l’évangile. Car une célébration de la Parole est toujours un dialogue, entre Dieu et son peuple, entre la Parole de Dieu et l’assemblée.

Tu as appris à parler parce que tes parents, tes maîtres t’ont parlé et cela même avant que tu ne saches répondre, quand tu étais un tout petit. Un petit qui d’abord n’a pas les mots pour répondre mais qui les apprends de ceux qui lui adresse la parole. Aujourd’hui quand tu parles à tes enfants, quand tu parles avec ton mari, avec ton père ou ta mère, tu attends d’eux une réponse. Et parfois quand on n’attend pas de réponse, c’est que l’on n’a pas beaucoup de considération pour l’autre ou pour soi même. La liturgie t’apprend à parler en répondant à la parole de Dieu.

· Après la lecture du premier extrait, nous avons fait silence.

Le silence et la parole ont toujours fait bon ménage car tu sais qu’il n’y a pas de parole possible sans l’espace du silence. Sans le silence, c’est le charivari, le tohubohu, c’est l’anti création où tout se mélange, se confond. Le silence de la liturgie laisse la lecture que tu as entendue devenir une parole. La liturgie t’apprend à ne pas couper la parole mais à laisser la parole mettre ta vie en ordre, en création. Situ te laisses enseigner par la liturgie, ta vie s’ordonne : tu apprends où est l’essentiel, ce qui compte, ce qui est superflu.

· Après la lecture du deuxième extrait, nous avons prié, fait intercession.

Cette fois-ci, tu as parlé ou plus exactement prié car celui qui a lu les intentions de prières a seulement orienté la prière. Le moment de la prière, c’est quand tu as chanté «Seigneur… ». Cette prière qu’on nomme à la messe « prière universelle porte aussi le beau nom de « prière des fidèles », c’est-à-dire la prière de ceux qui croient en Christ et qui professent la foi. A la messe le dimanche, cette prière vient tout à la fin de la liturgie de la Parole, après le credo. Elle est comme le fruit de la liturgie de la Parole.

As-tu déjà pensé que tu pries parce que tu crois en Dieu. Car comment demander quelque chose à un ami si tu ne croyais pas qu’il puisse t’aider, t’exaucer, te comprendre. Si tu pries le Seigneur, c’est parce que tu crois qu’il est le Seigneur, celui qui peut, le tout puissant. « Le puissant fit pour moi des merveilles ».

Quand dans la liturgie de la messe, le prêtre introduit la bénédiction en disant; « que le Seigneur tout puissant… » Tu sais bien qu’il ne s’agit pas de la puissance d’un tyran. Tu sais que sa puissance a été révélée sur la croix. Sans ce signe de la croix, tu pourrais croire que les Ecritures, les paroles ou les gestes de la célébration sont des abus de pouvoir, que chacun y fait ce qu’il veut. Par le signe de croix du début de chaque célébration, tu signifies et tu comprends que toutes les paroles qui suivront, tous les gestes accomplis seront habités par la puissance du Seigneur crucifié.

· Après la lecture du troisième texte d’évangile que l’homélie a développé, nous avons chanté « Gloire à Dieu », nous avons répondu à la Parole par la louange.

Ce chant du Gloire à Dieu, tu l’as entendu à nouveau dans la nuit de Noël. Souviens-toi, pendant l’Avent, tu ne l’as plus chanté. Car l’Avent t’a préparé à la fête de la Nativité et à toutes les manifestations du Seigneur que nous célébrons dans le temps de Noël. La liturgie chante l’hymne du Gloire à Dieu quand c’est fête. C’est un chant de louange, un hymne dont les premières paroles reprennent le chant des anges à Bethléem (Lc 2, 14). Le Gloire à Dieu est un trésor, un bijou de famille, qui nous a été transmis depuis le IIe siècle. C’est pour cela qu’il est important de continuer à le transmettre, en particulier avec les jeunes et les enfants. Gloire à Dieu, ce n’est pas « mon Dieu tu es beau ou tu es bon » c’est la louange de Dieu Père, Fils et Esprit. Tu réponds à la Parole par la louange car c’est ce qui correspond profondément à ce que l’Esprit a déposé en toi : louer, bénir Dieu. Attention, tu sais bien qu’il ne s’agit pas de dire à toute occasion « que tout le monde il est beau … » mais d’accueillir ta vie comme un don, comme une parole donnée et reçue. La louange comme réponse à Dieu est au terme de ce parcours : après avoir reçu la Parole dans le silence, comme Marie qui méditait la Parole dans son cœur ; après avoir demandé au Seigneur que cela se fasse selon sa Parole, par la prière d’intercession, la louange nait Gloire à Dieu, mon âme exalte le Seigneur. Qu’il me soit fait selon sa Parole ; Faites tout ce qu’il vous dira ; faites ceci en mémoire de Moi. Dieu nous parle, nous l’avons célébré. Deviens ce que tu as reçu ; devenons ce que nous venons de recevoir.

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