Initiation chrétienne et initiation à la prière chrétienne à partir du Rituel

DSC_0097Une intervention du père Bruno Mary, directeur du SNPLS, lors de la session Initiation chrétienne des adolescents : propositions pastorales, en mai 2018.

A partir de deux exemples empruntés au Rituel de l’initiation chrétienne des adultes, cette intervention invite à comprendre comment la liturgie est un lieu d’initiation ecclésial pour tous les âges de la vie.

Je suis heureux d’être ici parce que la question qui nous occupe concerne également la liturgie. Il est très important, dans ce domaine, d’apprendre à collaborer entre services diocésains car nous sommes extrêmement complémentaires.

Mon intervention comprendra une sorte de grande introduction dans laquelle je repartirai de ce que nous venons de vivre parce que la liturgie, c’est du vécu. Ensuite, je prendrai deux exemples dans le RICA : un premier exemple dans le cadre de la célébration d’entrée en catéchuménat et un deuxième exemple autour de la tradition du Notre Père. Je m’appuierai sur ces exemples pour montrer comment la liturgie, lieu d’expérience, est un lieu d’initiation ecclésial pour tous les âges de la vie et à tout âge de la vie.

Ce que nous avons vécu …

À 11h32, nous sommes entrés dans cette chapelle, que certains d’entre vous découvraient peut-être, et figurez-vous que nous étions attendus. Nous étions attendus par le cierge pascal allumé. Il se trouvait là, devant l’autel, signe du Christ qui nous précède et nous accueille. Non seulement il nous accueille mais quelque part, il nous attend. Cette présence, plus particulière au temps pascal, est là de manière plus permanente avec la présence du Christ dans le tabernacle, que signifie la lumière rouge.

Nous sommes attendus et je crois que, dans l’expérience pastorale que vous vivez à propos de l’accueil et de l’accompagnement de ces ados, à travers eux, c’est le Christ qui nous attend et qui nous précède. Je suis très frappé dans le récit des Actes des apôtres : combien de fois, Paul et ses compagnons ne disent-ils pas : « le Christ est là » avant même qu’ils n’arrivent ? Il nous précède et, à travers ces gens qui nous attendent et nous accueillent, quel que soit leur âge, c’est lui qui est là.

Cela est très important parce que notre travail pastoral est un travail de discernement d’une présence. C’est l’art de dire, de mettre des mots sur ce que les autres nous disent mais aussi d’écouter leurs mots qui parfois nous dérangent, surtout de la part d’ados qui n’ont pas nos codes, qui n’ont pas notre culture, qui n’ont pas nos références, qui sont bouillants d’énergie et de vie et qui sont aussi parfois « à coté de leurs pompes ». Et voilà qu’à travers ce jeune homme ou cette jeune femme, nous sommes appelés à reconnaître une présence. Voyez comment entrer dans une Église, se mettre en présence nous met, peut nous mettre au cœur de notre responsabilité pastorale.

Mais il y aussi peut-être pour certains d’entre vous une autre surprise, c’est que cette chapelle est disposée d’une manière particulière, qui ne nous est pas coutumière où, notamment pour vous, vous étiez en face à face. Pourquoi ? Parce que nous mettant en présence de la lumière qu’est le Christ, nous sommes appelés à reconnaître dans le frère, dans la sœur qui sont en face de nous, cette même lumière.

L’enjeu est de s’accueillir frères et sœurs dans la foi. Pour cela, nous avons chanté : « Viens Esprit de sainteté, viens Esprit de lumière ». Dans le chant, chaque voix compte et, à la fois, chacune doit s’accorder sur les autres ; sinon, ce n’est plus un chant, c’est de la cacophonie. Dans l’acte de chanter, nous avons cette pédagogie qui conjugue à la fois la tonalité de chacun, le timbre de chacun et la nécessité de s’ajuster, ou plutôt se laisser ajuster, sur celui des autres. Béatrice tout à l’heure a bien souligné la difficulté d’accueillir les ados dans leur originalité, dans leur personnalité propre et à la fois d’entrer dans une œuvre commune. Ce n’est pas simple, ni pour eux ni pour nous. Et voici que le chant liturgique nous apprend à conjuguer la spécificité de chacun dans le chant de l’ensemble. Nous n’avons pas chanté n’importe quoi, nous avons chanté, « Viens, Esprit de sainteté… » car nous sommes dans ce temps entre ascension et pentecôte, temps d’attente et de prière toute particulière à l’Esprit saint. Et c’est le but de chanter Dieu, de chanter les œuvres de Dieu qui nous permet de nous accorder dans le respect de chacun, de s’accorder, de se laisser accorder, mais on n’est encore qu’à l’entrée, l’accord se fera progressivement. Ce n’est pas pour rien que, dans toute liturgie, il y a un début, une progression et un envoi. Cela reprend le cheminement de tous et de chacun. Dans nos histoires, il y a un début, un développement et un envoi.

La célébration eucharistique que nous venons de vivre donne le sens de ce que nous vivons par ailleurs, à savoir suivre le Christ dans sa Pâque, pour communier avec lui, par lui et en lui à la vie de Dieu, et ce, ensemble, en Église. L’eucharistie est bien source et sommet, non seulement de la liturgie mais de toute vie chrétienne. Elle donne le ton, elle donne le la. Et c’est tout à fait à dessein que j’interviens après l’eucharistie. Cela nous appelle à relire, à partager ce que nous vivons. Nos eucharisties paraissent parfois bien poussiéreuses mais il n’empêche qu’il s’y passe des choses. Que vivons-nous, qui rencontrons nous, que sommes-nous appelés à vivre ? Vous voyez que notre travail pastoral, c’est l’art de faire des articulations, de bâtir des ponts. Combien de fois dans notre vie d’Église, comme dans notre vie personnelle, n’y a-t-il pas des problèmes d’articulation ? La liturgie est un des lieux, pas le seul (je plaide pour qu’elle soit rattachée et à l’annonce et au service), où l’on apprend à mettre de l’huile dans les articulations. Ce midi, chacun de nous était appelé à participer et a participé à sa manière ; nous étions sur le même bateau, à des titres divers, selon des missions spécifiques, mais nous étions sur le même bateau.

Ceci étant posé, je vais maintenant regarder plus spécifiquement avec vous deux moments de l’initiation à la vie chrétienne dans le cadre du catéchuménat et, notamment, des temps liturgiques que nous propose le catéchuménat car l’initiation chrétienne est ponctuée de célébrations. C’est fou les temps de célébration qu’il y a dans ce chemin, depuis des liturgies domestiques, au sein de l’équipe, en passant par des célébrations de la parole au niveau des catéchumènes ou de temps et de célébrations liturgiques avec l’ensemble des chrétiens d’une paroisse, d’un secteur, d’un doyenné, voire plus. Les grandes articulations du catéchuménat sont des articulations liturgiques : l’entrée en catéchuménat se célèbre ; dans la dernière étape, on a l’appel décisif … La liturgie est bien là aux articulations. Ce qui est intéressant pour entrer en liturgie, c’est de prendre son temps. Le problème dans notre monde est que l’on court toujours. Or, un arbre ne pousse pas si l’on tire dessus. Il faut prendre son temps. La durée, que l’on perçoit souvent comme une difficulté, nous avons à en faire un atout parce que la liturgie, comme la vie, a besoin de temps et n’aime pas qu’on la brusque. Les livres liturgiques sont des livres dont on prend rarement le temps de lire les introductions. On va directement à ce qu’il faut faire. Or il faut, et c’est le but de notre publication, prendre le temps de lire les notes pastorales car elles permettent d’entrer dans l’intelligence de ce que vous allez proposer et elles sont donc le moyen de permettre à d’autres d’y entrer en leur montrant les choses importantes et en donnant la souplesse indispensable à l’accueil des uns et des autres dans leur diversité. Prenez le temps de lire et de relire le fascicule que vous avez en main.

Mon exposé maintenant va s’appuyer sur ces deux sources, à la fois les notes pastorales et ce qui se passe.

La célébration d’entrée en catéchuménat

Dans ces nombreuses liturgies qui colorent et ponctuent le catéchuménat, j’ai donc choisi comme premier temps, la célébration d’entrée en catéchuménat. C’est à partir de cette célébration que les candidats sont appelés des catéchumènes. Cela montre bien qu’il se passe quelque chose. Que se passe-t-il ? En fait, cette célébration qui a lieu dans un cercle paroissial ou ecclésial large (pas seulement l’équipe d’accompagnement), à laquelle sont conviés les chrétiens du lieu car tout le monde est concerné, donc invité, comporte principalement deux temps. Il y a un temps d’accueil, un rite d’entrée dans l’Église et une liturgie de la parole. Cela peut se poursuivre par la liturgie eucharistique et là cela pose très vite la question de ce que deviennent les catéchumènes. Je reviendrai sur cette question délicate. Mais d’abord, commençons par entrer ! Le parcours, c’est aller vers les gens, donc on va les retrouver sur le seuil. Ce n’est pas neutre comme lieu, on va les retrouver à un lieu charnière. Vous savez qu’une porte est un lieu de passage de l’extérieur vers l’intérieur. L’Église va au-devant de celui qui vient vers elle pour, avec lui, vivre ce passage, vivre cette articulation entre extérieur et intérieur. Les notes insistent sur la qualité de l’accueil qui doit être donné à ceux qui se présentent à l’Église et qui viennent eux-mêmes accompagnés par des garants, qui ne sont pas encore des parrains et marraines. À cet accueil, il y a une salutation et un dialogue initial dans lequel, en quelques mots, tout est dit. Si l’on prend le rituel, la première question est : « que demandez-vous à l’Église de Dieu ? La foi » ; « que vous apporte la foi ? La vie éternelle ». (Il y a plusieurs formules car le rituel de Vatican II exige un discernement.) Là, en quelques lignes, comme dans un opéra où l’ouverture donne le ton, l’enjeu est donné, le ton est donné. Les candidats disent qu’ils sont prêts à se mettre en route et l’Église accueille à la fois leur démarche mais aussi l’œuvre de Dieu en eux. Dieu nous précède et l’Église accueille Dieu qui agit à travers la démarche de ces hommes et de ces femmes.

Il y a ensuite des gestes qui m’ont toujours marqué et qui marquent souvent l’assemblée présente, qui sont les gestes de la signation des différentes parties du corps. Tout l’homme est concerné. Etre chrétien ce n’est pas une affaire seulement d’affect, ni une affaire uniquement physique. Ce n’est pas une affaire uniquement intellectuelle. C’est tout l’homme qui est concerné et quand tout l’homme est concerné, tous les hommes sont concernés puisque l’assemblée se trouve de ce fait là interpellée par ce qu’elle voit et ce qu’elle entend. Elle se rappelle qu’effectivement Dieu intervient, est présent dans ce qui fait notre identité profonde en tant qu’homme et femme. Notre identité est appelée à se laisser visiter par Dieu : « que vos oreilles soient marquées de la croix pour que vous écoutiez la voix du Seigneur ! ». Dans ce marquage par la croix, la croix signifie, entre autres, jusqu’où l’amour de Dieu va pour chacune et chacun de nous et tous les autres. L’ensemble de notre vie est appelé à être marqué par ce don premier et gratuit de Dieu et cela est assez extraordinaire.

Après ces signations, on écoute ensemble la parole de Dieu. C’est le deuxième temps de cette célébration. Et, au terme de cette écoute, on remet aux catéchumènes l’Évangile. C’est bien plus qu’un livre, c’est Dieu qui se confie en eux par sa parole, qui se donne dans sa parole. C’est un acte de confiance fou de la part de Dieu. Dieu parie sur les hommes que nous sommes, sur l’Église que nous sommes.

La célébration peut très bien en rester là, à cette remise de la parole et à la prière qui conclut cela. Comme cela a lieu souvent dans le cadre d’une eucharistie dominicale, que faire des catéchumènes pendant la prière eucharistique ? On est très mal à l’aise de leur dire qu’il faut partir. Dans un premier temps, cela nous parait en contradiction avec l’accueil et l’entrée que nous venons de vivre. Et cependant, derrière ce geste que propose l’Église et qui est quand même souhaitable, il y a le respect de ce que sont les uns et les autres, le respect des étapes dans notre monde dans lequel on perd souvent de vue les différentes étapes, dans lequel on brûle les étapes. C’est vrai dans beaucoup de dimensions de la vie. On peut se rendre compte parfois des problèmes que cela pose par la suite. On a besoin de marquer les étapes. Et il me semble que si, dans le cadre d’un chemin catéchuménal, on ne marque pas bien les étapes, quelque chose ne va plus. Cette démarche est faite pour les respecter (ce n’est pas qu’on vous refuse mais vous avez besoin de temps pour entrer dans la suite ; ce temps, on va le prendre ensemble ; pour l’instant, on vous demande de goûter déjà tout ce qu’on a vécu avec vous, d’en faire votre miel, de faire en sorte que cela nourrisse votre chemin pour le poursuivre).

La tradition du Notre Père

J’aborde maintenant un deuxième geste qui passe beaucoup plus inaperçu, la tradition du Notre Père. Cela passe plus inaperçu parce que cela n’a pas, de fait, la même importance qu’une célébration d’entrée en catéchuménat ou que la célébration de l’appel décisif. Et, pourtant, c’est un rite (c’est à dire un ensemble de gestes et de paroles ordonnés dans un certain sens) qui arrive au terme de la deuxième étape, juste avant la célébration sacramentelle du baptême et qui a pleinement son sens. Il y a deux traditions, celle du Symbole des apôtres, du Credo et celle du Notre Père. Je m’arrête avec vous sur celle du Notre Père. Qu’est ce qui est en jeu ? La prière, cet acte de mise en présence de Dieu, pour l‘écouter, lui répondre, le louer, lui demander, le supplier, on peut le découvrir en partie par nous-mêmes mais, pour une bonne part, nous avons à le recevoir de Dieu par son Église. De la même manière qu’on ne se baptise pas soi-même, on reçoit également cette prière du Notre Père, qui est la prière par excellence des baptisés, des enfants de Dieu. Le rituel montre bien que ce sont les fils qui peuvent prononcer cette prière. C’est pourquoi cette prière, on la leur donne mais on ne la dit pas avec eux. C’est une fois qu’ils seront baptisés que, se joignant à l’assemblée célébrante au jour de leur baptême, ils prieront avec ces mots et l’ensemble de l’assemblée. Cette prière du Notre Père, c’est la prière de l’assemblée de l’ensemble des enfants de Dieu. Nous recevons cette prière et prier, c’est rejoindre le Christ qui prie. C’est lui le grand priant et nous apprenons à le rejoindre. Je pense d’ailleurs, comme vous, à Gethsémani : « veillez et priez avec moi ».

Je vais conclure par quelques petits points. Nous voyons, à travers ces deux exemples et à travers la liturgie que nous avons vécue ensemble, que toute liturgie est un lieu de rencontre avec Dieu mais aussi indissociablement avec nos frères. C’est un lieu de rencontre et un temps de rencontre que nous sommes appelés à vivre au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Toute liturgie a pour but d’entrer dans cette communion trinitaire. La liturgie est quelque chose que l’on reçoit, qui nous décoiffe, qui nous dérange parfois. Peut-être peut-elle, au bon sens du terme, nous décentrer de nous-mêmes. Et vous savez que cela est vital pour toute rencontre. La rencontre ne peut avoir lieu que si je laisse de la place à l’autre, aux autres. Si j’occupe tout le champ, il n’y a plus de place, l’espace est complètement occupé.

Et puis, la liturgie nous donne des mots. Dans la citation que je faisais du dialogue initial de la célébration d’entrée en catéchuménat, les mots sont à la fois tout simples et très lourds. Mais la liturgie nous permet de les entendre, à condition de prendre le temps. On ne comprend pas tout du premier coup. Notre rôle est, entre autres, de laisser le temps.

Entrer en liturgie comme entrer dans la vie chrétienne, pour une bonne part, c’est apprendre à dire merci, à dire merci à quelqu’un que nous apprenons à découvrir. Il faut du temps pour découvrir celui à qui nous avons à dire merci. La parole de Dieu nous révèle à la fois les merveilles de Dieu et Dieu qui les pose.

En liturgie comme dans le temps du catéchuménat, c’est un chemin d’émerveillement, un chemin où on apprend à se confier les uns les autres dans la force de l’Esprit. Quelles soient nos difficultés en chemin, la liturgie nous dit : « Lève-toi, marche, Dieu t’attend, Dieu t’accueille et t’invite à sa table ».

P. Bruno Mary, directeur du SNPLS

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