Les Quatre nuits, la Vigile pascale et la Parole d’un Dieu veilleur et créateur

Dans le texte du Targum du livre de l'Exode, au chapitre 12, verset 42, la liturgie juive contient une profonde méditation sur le thème de la nuit.

Dans le texte du Targum du livre de l’Exode, au chapitre 12, verset 42, la liturgie juive contient une profonde méditation sur le thème de la nuit.

Avec cette prédication sur les lectures de la liturgie de la Vigile pascale, nous partons à la rencontre du peuple juif au temps de Jésus, et nous méditons sur les Quatre nuits dont nos « pères dans la foi » faisaient mémoire au soir de Pessah. Au soir de la Vigile pascale, ces quatre nuits de veille n’en font qu’une.

Introduction à la liturgie de la parole de la Vigile pascale

Nous voici donc entrés une nuit de veille pour faire nôtre la parole de nos pères dans la foi. Cette parole, c’est non seulement un patrimoine spirituel, mais c’est aussi notre vie en humanité.

Une vie que Dieu ne cesse jamais de susciter jusqu’à la ressusciter dans l’espérance de Celui qui vient nous rejoindre au cœur de toutes nos nuits.

Dieu c’est le veilleur de la nuit.

Car Dieu dans son infinie bienveillance est un veilleur. Oui, depuis l’aube de la création, il ne cesse de veiller sur le bien de l’humanité, de notre propre humanité.

Au temps de Jésus, au soir de Pessah, nos pères dans la foi faisaient mémoire de quatre nuits. Quatre nuit où Dieu apparaît comme le veilleur de la nuit.

La première nuit, quand le Seigneur se manifesta pour créer le monde.

La seconde nuit, quand le Seigneur apparut à Abraham.

La troisième nuit, c’est quand le Seigneur apparut en Égypte pour sauver les premiers-nés d’Israël.

La quatrième nuit, quand le Seigneur doit se manifester, selon les prophéties d’Ézéchiel et d’Isaïe, pour libérer son peuple du joug, de l’oppression et de la terreur.

Aujourd’hui, faisons nôtre le mystère de ces quatre nuits qui désormais en Jésus-Christ sont une seule nuit de veille, unique et incomparable.

Homélie de la Vigile pascale

Dans le cœur d’un disciple, à l’époque du Christ, la lecture du livre de l’Exode au soir de la Pâque résonne comme un poème. Un poème que la tradition appelle le Poème des quatre nuits.

Quatre nuits que le Seigneur lui-même désigne comme quatre nuits de veille (Tg Ex 12, 42).

Ces nuits de veille, vous l’avez entendu, ce sont quatre étapes de la Création. Et mieux encore, ce sont quatre enfantements, ou quatre naissances.

La naissance de l’univers, la naissance d’un fils, la naissance d’un peuple et enfin la naissance d’un jour nouveau pour l’humanité tout entière.

Ce soir, à la lumière de Jésus-Christ, ces quatre nuits n’en font qu’une seule unique et incomparable.

La première nuit

La première nuit, c’est la naissance de l’univers.

Dans le livre de la Genèse, au commencement la terre était vide et confuse, elle était peut être vide de sens, comme aujourd’hui les choses peuvent être vide de sens lorsque l’homme se heurte à l’absurde. Or, selon une antique traduction de la bible en araméen, il est dit qu’un esprit d’amour de devant la face du YHWH planait sur les eaux.

En dépit de toutes les nuits du non-sens et de l’absurde, notre foi consiste à croire que cet esprit d’amour de devant la face du Seigneur ne cesse jamais de susciter, d’animer, et de ressusciter ce qui est porteur de vie

Ce qui est porteur de vie c’est un être en relation, non pas un individualité mais une personne.

Car l’image et la ressemblance de Dieu, ce n’est pas l’unité d’un individu mais l’alliance de deux personnes.

Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance, homme et femme il le créa comme signe d’alliance.

La première nuit, c’est la naissance du signe de l’Alliance.

La seconde nuit

La seconde nuit, c’est la naissance d’un fils, ou plus exactement l’accueil d’une vie libre et confiante.

Dans l’histoire d’Abraham, Isaac c’est le fils de la promesse.

Mais cette promesse devient totalement incompréhensible lorsqu’Abraham se heurte à la nuit de la foi.

Car l’ultime épreuve d’Abraham est une véritable nuit de la foi. Or, la nuit, il faut la traverser pour ne point se laisser saisir par les ténèbres. Aux jours d’Abraham comme aux jours d’aujourd’hui, l’épaisseur de cette nuit ne cesse de peser sur l’homme dans son être au monde.

Un être au monde familial, social et religieux où la confiance en soi, en Dieu et son prochain est souvent mise à l’épreuve.

Or, selon une antique traduction de la bible en araméen,

Abraham et Isaac, le père et le fils « allaient tous les deux ensemble d’un cœur parfait ». Parfaits dans la confiance qu’il s’accordent l’un à l’autre.

Parfaits dans leur confiance en Dieu. D’ailleurs, c’est dans la confiance que réside le gage de la promesse.

La seconde nuit, c’est la naissance de cette confiance constitutive de l’Alliance.

La troisième nuit

La troisième nuit, c’est la naissance d’un peuple. Oui, c’est la naissance d’un peuple dont l’identité profonde est l’expression de la sollicitude de

Dieu, lorsque Dieu se manifeste à main forte pour le faire sortir du néant comme aux premiers jours de la création.

Dans l’histoire de l’humanité ce peuple, c’est un ramassis d’hommes et de femmes déchus de leur dignité et abandonnés au déni.

Le déni d’existence qu’on observe encore aujourd’hui à l’échelle d’une nation mais aussi dans nos foyers et nos plus vénérables institutions.

Cependant, dans le livre de l’Exode, ce peuple, ce sont des hommes et des femmes qui découvrent ensemble ce qui fonde leur identité profonde: la relation d’Alliance profondément inscrite dans le cœur d’un être en humanité.

La troisième nuit c’est le signe de la délivrance lorsque l’Alliance est délivrance.

La quatrième nuit

La quatrième nuit, c’est naissance d’un nouveau jour attendu et promis. Cette quatrième et dernière nuit c’est la fin de la nuit.

La nuit du non-sens.

La nuit de la foi.

La nuit de l’oppression.

Lorsque Dieu manifeste sa volonté de nous délivrer de la peur, de la frayeur, de la terreur et de l’oppression.

Jamais je n’ai été aussi sensible à la prophétie d’Isaïe que ces jours-ci.

Tu seras délivrée de l’oppression que tu ne craindras plus.

Tu seras délivrée de la terreur qui ne viendra plus jusqu’à toi. (Is 54, 14)

Selon la parole des prophètes, Isaïe et Ézéchiel, la fin de la nuit c’est l’offrande d’un cœur nouveau et d’un esprit nouveau. (Ez 36, 26)

Cet esprit d’amour de devant la face de YHWH qui dès le premier jour planait sur les eaux (Tg Gn 1,1).

La quatrième nuit c’est le signe de l’Alliance pleinement accomplie lorsque l’homme partage enfin sa vie avec Dieu.

La nuit pascale

Ce soir, à la lumière de Jésus-Christ, ces quatre nuits n’en font qu’une seule, unique et incomparable.

L’ultime nuit où la vie l’emporte sur la terreur, lorsque la résistance du Vivant l’emporte sur la terreur de l’absurde et de l’oppression.

« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. » (Lc 24, 10).

En cette nuit le Seigneur Dieu fait se lever sa parole.

Lorsque dans la Bible Dieu accomplit sa promesse il est dit littéralement qu’il fait lever sa parole.

Dieu ne fait pas tomber sa parole comme un arrêt fatal.

Car Dieu suscite sa parole.

Il la fait lever du milieu des hommes comme il relève Jésus d’entre les morts. Dieu suscite la parole, créatrice, juste et bienfaisante, comme il ressuscite Jésus d’entre les morts. Jésus le Vivant.

Non pas seulement parce qu’il est ressuscité d’entre les morts.

Mais parce qu’il est la Parole de Dieu suscitée au milieu des hommes.

La Parole de Dieu. Cette parole créatrice et bienveillante que rien, absolument rien ne peut arrêter, ni l’absurde, ni l’oppression, ni la terreur.

Cette nuit est donc une nuit de veille pour laisser susciter en soi cette parole qui est puissance de résurrection.

Une parole qui pourrait être prise pour un délire mais qui dès aujourd’hui est garante de notre avenir.

L’avenir de l’homme vivant.

Frère Rémy Valléjo, dominicain, prédication pour la Vigile pascale, le 19 avril 2014 au Monastère des dominicaines de Saint-Mathieu de Tréviers.

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