Entrer dans la voie de la beauté
Un peu de théologie, L’Oasis n°20 : C’est trop beau !
Emprunter la « voie de la beauté » – via pulchritudinis – ce n’est pas inviter à trouver de jolies illustrations pour étayer son propos, c’est parce que la voie de la beauté est chemin vers Dieu, chemin de Dieu.
Pour nous, chrétiens, la beauté trouve son origine au cœur même de notre foi. Dieu se manifeste dans l’œuvre de sa création : contempler son ouvrage et voir combien cela est bon (ou « beau »), c’est avoir un aperçu, un « avant-goût » de la beauté même de Dieu. Par l’incarnation, le Fils de Dieu, Verbe éternel, prend chair et se fait l’un de nous. Dans ce mouvement de Dieu vers l’homme, à travers la figure aimante du Christ qui donne sa vie pour la multitude en passant par la souffrance, la mort et en ressuscitant du tombeau, c’est la splendide vocation de tout homme qui nous est révélée.
Un chemin
L’expérience de la beauté est subjective et personnelle. Pourtant, personne ne peut nier que ce qui est beau suscite en soi une émotion (étymologiquement : e- « hors de » et movere « mouvement »), une émotion qui met en route.
Découvrir la beauté ne signifie donc pas éprouver une sensation qui ne serait que passagère ! Il s’agit, bien au contraire, d’entrer dans l’expérience de celui qui, face à la révélation de Dieu, ne peut rester insensible et se met en mouvement. Chaque manifestation du Christ ressuscité à ses disciples suscite de leur part une émotion, c’est-à-dire un sentiment (effroi, crainte, joie…) accompagné d’une action (courir, se retourner…).
Celui qui emprunte le chemin de la beauté accepte de se laisser toucher, émouvoir et peut se mettre en route. N’est-ce pas là le commencement de toute conversion ?
Un chemin sensible
La beauté de la création, celle de l’œuvre d’art comme celle d’un geste d’amour (« Il est beau, le geste qu’elle a fait envers moi » dira Jésus à propos de l’onction à Béthanie en Mc 14, 6), trouvent leur lieu d’expression dans la matière. En retour, la découverte de l’œuvre créée sollicite les sens : un paysage se regarde, une musique s’écoute, un plat se goûte, une sculpture se touche, une fleur se hume… (mais il est également possible de regarder une fleur, de ressentir les vibrations de la musique, de sentir un plat…).
Pour découvrir la beauté, il nous faut faire l’expérience de la corporéité : celle de l’œuvre et la nôtre. Plus encore : l’appel du Seigneur à chaque homme s’adresse à tout l’homme, jusque et y compris dans sa chair. Cela nous est rappelé – et de quelle manière ! – par la Bonne Nouvelle de la Résurrection. En catéchèse et catéchuménat on sait bien que les enseignements et les savoirs sont, certes, importants, mais il s’agit surtout de faire entrer dans la rencontre avec le Seigneur qui vient sauver la multitude ; inviter ceux qui en ont le désir à le découvrir. « Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! » (Ps 33, 9).
Un chemin sensible vers « au-delà »
Devant une œuvre d’art qui nous saisit, nous faisons une double expérience : celle, esthétique et immédiate, de l’harmonie, de l’équilibre, du talent de l’auteur et, en même temps, celle d’une prise de conscience : il y a là plus, bien plus, que l’objet et la matière bien façonnée.
L’art « est comme une porte ouverte vers l’infini, vers une beauté et une vérité qui vont au-delà du quotidien.1 » La beauté produit cet effet : ouvrir l’être humain à ce qui est au-delà du perceptible, et manifeste le mystère. Combien de savants commentaires n’a-t-on pas pu lire à propos du sourire de la Joconde ? Pourtant, le mystère demeure et le sourire fascine toujours…
Emprunter le chemin de la beauté, c’est accepter de ne pas pouvoir tout dire, tout saisir de la grandeur et de la gloire de Dieu tout en la manifestant de façon sensible.
Un chemin à emprunter ensemble
« La beauté du monde, c’est le sourire de tendresse du Christ pour nous à travers la matière.2 » Par la via pulchritudinis, l’indicible et le transcendant se donnent à goûter et à voir. Les œuvres de Dieu rendent manifeste son initiative aimante.
Tous les hommes, en effet, indépendamment de leurs convictions ou croyances, ont pu avoir accès au langage commun et pourtant si subjectif de la beauté. Celle-ci nous rappelle à une commune fraternité, dont nous ne sommes pas la source !
Ainsi, en suivant le chemin de la beauté, nous arpentons une route que d’autres ont empruntée avant nous : nos aînés dans la foi mais aussi les poètes, les peintres et musiciens, les artisans de paix et les assoiffés de justice…
Et, avec celui à qui nous souhaitons présenter la Bonne Nouvelle du Christ, la beauté dans toutes ses médiations peut devenir une route que nous parcourons ensemble.
« Donne-nous la sainte audace de chercher de nouvelles voies pour que parvienne à tous le don de la beauté qui ne se ternit pas.3 »
Chanoine René Fischer, Supérieur du Grand Séminaire de Strasbourg
1. Benoît XVI, Audience générale, 31 août 2011.
2. Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard, Paris, 1966.
3. Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, 2013
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