Le combat spirituel, chemin de conversion

Jacob luttant avec l'Ange

Jacob luttant avec l’Ange (détail), dresque d’Eugène Delacroix (1798-1863). Église Saint-Sulpice (Paris). La lutte de Jacob avec l’Ange est un épisode du livre de la Genèse.

Cet article est paru en mars et juin 2011 dans le Bulletin de Liaison du Catéchuménat. Le père Philippe Maxer nous parle du combat spirituel qui anime toute conversion.

La vie chrétienne est un véritable combat et sans doute avons-nous besoin de nous le redire. Combat que le Christ lui-même a mené lorsqu’il a été confronté à l’adversaire dans sa vie publique ou au terme de son jeûne de 40 jours ; combat qu’il a clairement annoncé à ses disciples lorsqu’Il les a envoyés comme « des brebis au milieu des loups ».

Sans doute passons-nous un peu trop rapidement sur ces paroles du Christ nous avertissant qu’Il n’est pas venu apporter la paix, mais le glaive ! Relisons le chapitre 10 de Matthieu : le contraste est violent entre le message de paix à annoncer et l’accueil que les gens lui réservent. Paul confirme cette difficulté. Il a lui-même vécu tribulations, détresses, angoisses, coups, prison…(cf 2, Co, 4) pour le Seigneur. Il y a donc bien combat spirituel.

Essayons d’en décrire quelques aspects.

Lieux du combat spirituel

Le vieil homme

Le premier lieu du combat spirituel est l’affrontement avec le vieil homme.

Dit autrement, il y a quelque chose à mettre à mort en soi pour que naisse l’homme nouveau. Ce combat a un nom, dans la tradition chrétienne : l’ascèse (ascèse du corps, de la nourriture, du travail intellectuel etc). Cette pratique, magnifiée par les Pères du désert et la tradition monastique, s’est trouvée accusée, au cours de ces dernières années, de masochisme, voire même d’orgueil spirituel par la maîtrise recherchée de soi. Mais l’admiration que suscitent des spiritualités orientales semble renverser aujourd’hui ces idées reçues et donner à l’ascèse ses lettres de noblesse.

Toutefois, ce renouveau de l’ascèse ne dit rien du sens de l’ascèse chrétienne. Car celle-ci est orientée par la Résurrection. L’ascèse chrétienne n’a pas d’autre but que libérer en nous l’Esprit du Seigneur afin que l’homme spirituel (que nous sommes) grandisse. Dit autrement, il s’agit que le monde de la Résurrection se construise ; édification qui passera par des morts à soi-même.

Très concrètement, nous pourrions examiner nos relations et faire en sorte qu’une véritable ascèse s’y vive dans une perspective de résurrection. Nous avons toujours à lutter contre des attitudes possessives. Être bienveillant à l’égard du prochain, savoir montrer sa vulnérabilité lorsque des remarques nous sont faites, etc ne sont pas des attitudes innées. Là se trouve le terrain d’un combat. Il n’est jamais terminé !

Dieu

Le second lieu du combat spirituel est notre relation à Dieu, dans ce qu’il y a de plus concret.

Prenons le chapitre 25 de St Matthieu et demandons-nous comment nous considérons « le frère ». Pour Jésus, il est le « sacrement » de notre relation à Dieu dans la mesure « où ce que nous faisons à l’un de ces petits, c’est à moi –dit Jésus- que vous l’avez fait ». On entend bien que le jugement final ne porte pas sur nos prières, sur nos démarches religieuses si variées soient elles. Ce qui est souligné avec force et qui représente – encore aujourd’hui- une évolution religieuse sans précédent porte sur des gestes de solidarité. Des gestes profanes mêmes : nourrir, vêtir, soigner, visiter, etc. Il n’y a pas là qu’un simple devoir de charité mais un moyen pour que nous rencontrions vraiment le Seigneur.

Les « puissances de mort »

Le troisième et dernier lieu du combat sont ces puissances de mort qui ne cessent de se jouer de nous.

L’Écriture leur donne différents noms (Satan, Bélzeboul, le prince de ce monde, etc.), ce qui veut dire que nous sommes en face d’une réalité multiforme dont la caractéristique principale est, néanmoins, de diviser ou de détruire. Elles sont bien présentes dans la création sans pour autant avoir été voulues par Dieu. Pour en parler, Jean Paul II employait les mots de « structure de péché » faisant ainsi comprendre que nous sommes devant un système complexe, en prise à des déséquilibres graves et face auxquels nous pouvons nous sentir impuissants. Il en est ainsi de l’opinion publique qui peut être calomnieuse ; du profit qui commande la vie économique et opère des fractures sociales, etc. Contre ces « puissances et principautés » (cf St Paul) , nous avons besoin de l’Esprit de Dieu pour accueillir le salut donné en Jésus-Christ. Il nous faut revêtir les armes de l’Esprit qui, seules, éclaireront notre liberté et donneront la force pour lutter.

Un peu d’anthropologie spirituelle

Saint Paul distingue en nous (1Th. 5,23-24) le corps, l’âme et l’esprit, qui dans leur unité profonde constituent l’homme véritable avec ses différents plans d’existence. L’esprit –avec un petit « e »- désigne cette part de nous-mêmes qui porte la marque de l’Esprit et qui est en nous appel à l’accueil de l’Esprit. « L’Esprit se joint à notre esprit » dira Saint Paul (Rm 8,16). Le combat spirituel se situe principalement au niveau de l’esprit, dans l’accueil ou le refus du Saint Esprit mais il englobe tous les autres niveaux. D’où des discernements nécessaires :

Il y a des contextes où le combat se situera essentiellement au niveau somatique. Des difficultés dans la prière peuvent disparaître avec une meilleure hygiène de vie : sommeil, alimentation… Dans d’autres cas, le nœud du problème se situe au plan psychique : un blocage vis-à-vis de tout type d’autorité rend difficile une véritable obéissance spirituelle.

Enfin, il y a des moments où le combat se vit essentiellement au plan spirituel, comme par le refus de pardonner ou une manière de procéder au quotidien étrangère à l’Évangile.

Le combat comporte toujours une dimension spirituelle, mais les domaines d’application peuvent être différents et souvent le courage spirituel consistera à discerner le lieu essentiel du conflit et à faire porter sur lui son effort. La prière ne peut malheureusement dispenser du recours à des thérapies humaines car l’Esprit n’agit pas en nous magiquement mais passe par des médiations qui sont à notre disposition.

Dans cette perspective :

  • Il est vrai qu’il y a une dimension spirituelle qu’il ne faut jamais méconnaître.
  • On n’a pas le droit d’instrumentaliser le spirituel au service d’une guérison. Attention au miracle, au chantage que l’on peut faire au nom de la foi. Il ne faut pas jouer avec l’espérance de celui qui souffre. Dans la liturgie du sacrement des malades les demandes sont orientées, au-delà de la guérison, vers la Résurrection et la vraie vie.

Les armes de l’Esprit Saint

Paul les décrit dans l’Épitre aux Éphésiens (6,15). Il s’inspire visiblement des combats de l’époque, mais, plutôt que de le suivre dans les détails de son énumération, quelques armes paraissent aujourd’hui plus utiles dans le contexte dans lequel nous vivons. Un monde où la foi est difficile et se heurte à l’indifférence, à la dérision, à la confusion, à l’ambiguïté … Face à tous ces défis, quelles armes de l’Esprit ?

La vérité

« La vérité comme ceinture » l’image est forte : ce qui affermit, ce qui fait tenir debout ! Mais quelle vérité ? Nous vivons en un monde de vérités partielles : vérité des savants, des économistes, des historiens, des religions… et même à l’intérieur de la foi, nous hésitons sur la hiérarchie des vérités chrétiennes. Il nous paraît impossible et illusoire de trouver une vérité qui puisse répondre à toutes nos quêtes et à la quête de tous !

Il faut alors se rappeler que, pour un chrétien, la vérité n’est pas une doctrine, mais une personne, Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme. C’est à partir de lui, de ce centre de lumière, que nous pourrons dégager des vérités partielles, provisoires peut-être, balises sur un chemin qui nous conduira à la vérité toute entière.

La vérité fondatrice pour nous, c’est Jésus-Christ et il n’y a pas à en chercher d’autre. « A qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ? » (Jn 6,68).

Cette vérité, elle est à la fois comblante et inépuisable, on n’a jamais fait le tour d’une personne aimée. Une vérité qui nous conduit au terme de l’histoire trinitaire : notre résurrection dans le Christ.

La foi

« Le bouclier de la foi ». Jean, l’Évangéliste, qui insiste le plus sur le combat qu’il y a à livrer tout au long de sa mission, est aussi celui qui présente la foi comme l’attitude victorieuse face aux puissances du mal. « Celui qui met sa foi en moi, même s’il meurt vivra »(Jn 11,25). Une foi qui pousse à se mettre ne mouvement ; une foi qui peut être en même temps ferme et modeste. Elle n’a pas réponse à tout mais elle vit la certitude d’être sur un chemin de vie.

La Parole de Dieu

« Le glaive de l’esprit, la Parole de Dieu ». « La parole de Dieu est énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant » ! (Hb 4,12).

Elle est ce qui permet de discerner et c’est bien ce dont nous avons le plus besoin dans la diversité et la complexité des défis auxquels nous sommes affrontés. On parle beaucoup du discernement, mais attention, il n’est pas une science à acquérir, mais une grâce à accueillir. Sa source est la méditation de la Parole de Dieu et il faut avoir longuement ruminé l’Évangile pour porter sur toute chose un regard évangélique.

Reste la Parole du Christ : « Courage, j’ai vaincu le monde ! ». Cette victoire nous est acquise, Pâques nous le rappelle. Ne cessons jamais de l’accueillir dans l’Esprit qui nous est remis.

Père Philippe Marxer

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