Les moyens du combat spirituel : quelles sont nos armes ?
Intervenu dans le cadre de la session « Le combat spirituel en catéchèse et catéchuménat », le Père Emmanuel Faure, exorciste et prédicateur du diocèse de Belley-Ars, donne des clés et moyens pour livrer un combat spirituel :
« Il est impossible de devenir chrétien en dehors des combats. »
« Il n’est pas possible d’acquérir la sagesse sans combat. »
« Nous avons été établis en ce monde pour la lutte. »
Ces sentences d’Évagre le Pontique (Père du désert mort en 399) soulignent le caractère incontournable du combat spirituel dans la vie chrétienne.
Quelles sont les armes à notre disposition pour le combat ? Partons à la découverte de l’arsenal à notre disposition.
Mais avant de considérer quelques-uns de ces moyens, nous devons mettre en place certains points fondamentaux au risque de passer à côté du véritable combat, d’en avoir une idée faussée. Comme le dit 2 Tim 2, 5 : « Nul athlète n’est couronné s’il n’a combattu selon les règles ».
Derrière cette question des règles du combat, c’est la conception de la vie chrétienne qui est en jeu. Pour nous catéchistes, accompagnateurs de catéchumènes : c’est fondamental pour notre vie chrétienne personnelle et pour l’enseignement que nous transmettons (de quel Dieu parlons-nous ?). Pour des enfants, il en va d’une authentique prédication de la foi chrétienne. Pour des catéchumènes, c’est crucial : quel est le Dieu que tu adores, que tu veux suivre ?
Cette mise en perspective du combat dans la vie chrétienne va nous éclairer sur les moyens de lutte, sur les défaites et sur les victoires. Ce n’est pas tout d’avoir l’attirail pour lutter. Il est utile de connaître les règles de la guerre, la philosophie du combat. Autant de vérités qui devraient « marquer notre style de vie » (cf. Pape François, Gaudete et exsultate 55).
Mon exposé comportera deux parties : combattre selon les règles puis un aperçu de quelques moyens à notre service.
Combattre selon les règles
Se positionner dans l’axe du bien
Il n’est pas sain d’être obnubilé par le combat spirituel et donc d’avoir une vision plutôt négative de la vie chrétienne. On connaît les refrains : Ne pas faire ceci ou cela, être contre ceci, faire attention à cela. Cette culture de la méfiance n’est pas celle de la vigilance prônée par la tradition spirituelle chrétienne.
De plus, ce n’est pas vraiment très dynamisant, ni enthousiasmant. Certes, 1 Jn 5, 19 nous rappelle que « le monde entier est au pouvoir du Mauvais ». Mais quelle est cette réalité du « monde » ? Dieu crée le monde bon. Ce monde dont parle l’épître est celui du refus de Dieu.
Le combat spirituel est un « contre » en vue d’un « pour ». Contre le mal pour faire le bien. C’est un peu la face nord de notre ascension spirituelle. Rejet du mal pour faire le bien. Pensons au baptême ou à la vigile pascale. On fait d’abord la renonciation à Satan puis la profession de foi. La renonciation est orientée vers la profession de foi, s’accomplit dans cette profession. Elle n’est pas d’existence pour elle-même. Elle est un passage vers la lumière de la joie de la foi.
C’est le bien qui nous captive, non le mal, même si celui-ci nous cause bien des déboires ! Il y a une manière d’aborder la vie spirituelle qui met au centre le mal, le péché. Ce n’est pas chrétien, même si le combat est bien présent et notre péché nous blesse. Le Christ est vainqueur. Il est ressuscité, ne l’oublions pas !
Le combat spirituel est but de la vie chrétienne, il n’en est pas la fin
Ce deuxième point est dans la continuité du premier. Les premiers auteurs spirituels inspirés par la philosophie grecque distinguent le but et la fin.
Renoncer à soi-même, mourir à soi-même c’est-à-dire rejeter le péché, les dispositions aux péchés, le repli sur soi, l’égoïsme sont des moyens (des buts) pour atteindre la fin de la vie spirituelle : la communion avec le Père par le Fils dans l’Esprit Saint.
La domination de nos tendances aux péchés, la maîtrise de soi sont à situer à leur juste place. Pas une fin en soi, mais subordonnées à l’amitié avec le Christ.
Le combat spirituel participe à l’accomplissement de ce que nous sommes : créés bons à l’image de Dieu pour faire le bien comme Dieu. Il exprime notre reconnaissance pour l’œuvre de la Création et de la Rédemption : « Tu m’as tant aimé que je ne puis rester à rien faire, à laisser envahir mon jardin intérieur par de mauvaises herbes ». Le combat spirituel ratifie notre engagement pour le Christ, notre option préférentielle pour le bien. Il scelle l’Alliance : notre réponse à Dieu qui se donne.
Dieu n’attend pas que nous soyons des gens irréprochables pour nous aimer
Autrement dit : avoir la certitude de l’amour inconditionnel de Dieu.
Rm 5, 8 : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. »
Zachée, Lc 19, 10 : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »
Le combat spirituel est moyen pour vivre la communion avec Dieu. Nous pouvons en déduire que celui qui ne lutte pas n’est pas ami du Christ. C’est évident.
Nous pouvons aussi en conclure que celui qui ne remporte pas la victoire ne peut acquérir la communion divine. Attention à cette phrase. Elle pose problème ! Au fond, nous disons « combat », mais nous pensons « victoire ». Dans ce cas, considérer que seul celui qui est victorieux est en communion avec le Christ est dangereux. Dieu n’aimerait que les bons élèves, ceux qui réussissent. J’ai été frappé par une prière retrouvée sur la table de chevet d’un frère de la sainte famille à Ars à sa mort. Elle disait à peu près ceci : « Ce que tu me demandes Seigneur, c’est de me battre, la victoire t’appartient. C’est de marcher, c’est toi qui me donneras d’arriver à bon port. »
Avoir en mémoire au cours du combat, où nous ne sommes pas toujours victorieux, que le Christ est venu pour les pécheurs. Cela ne signifie pas que je sois satisfait de mes échecs, que je vais me laisser aller. Mais je sais que je suis aimé malgré ma lourdeur, lenteur, mes échecs. Je suis aimé avec cela et dans un sens à cause de cela. Saint François de Sales a une belle expression : le trône de la miséricorde de Dieu, c’est notre misère.
Différence médiocrité et tiédeur. Nous sommes tous plus ou moins médiocres, id est moyens. En revanche, j’espère que nous ne sommes pas tièdes. La tiédeur, c’est la médiocrité qui se satisfait de sa situation. Dieu vomit les tièdes dit l’Apocalypse.
Pour ne pas nous laisser écraser par le découragement, il est nécessaire de toujours revenir à cette certitude : Dieu n’attend pas que je sois une personne irréprochable pour m’aimer.
Nous, nous pensons : lorsque je serai quelqu’un de bien, je serai aimé de Dieu. Alors là, nous ne sommes pas du tout dans l’axe du combat avec de telles pensées. Même pas chrétiens !
Ne pas confondre sainteté et perfection morale
Cette autre certitude est à avoir à l’esprit si nous voulons mener le combat spirituel selon les règles.
L’Église n’est pas un club de bodybuilders spirituels. Comme on me disait au séminaire, c’est une procession de tordus sauvés par la miséricorde.
Nous sommes sous le régime de la patience, c’est-à-dire l’art de vivre l’inachevé (Enzo Bianchi).
Proverbes 24, 16 dit que « le juste tombe sept fois ». Le juste, c’est l’ami de Dieu, le saint. Le texte précise que si le juste tombe sept fois, il se relève. Toute la différence est là. Le saint se remet dans la miséricorde de Dieu. Il ne part pas bouder dans son coin parce qu’il n’a pas réussi sa performance spirituelle et que sa statue en plâtre qu’il s’est fabriqué est ébréchée. Une Thérèse de l’Enfant-Jésus l’a bien compris, derniers entretiens 11 juillet 1897 : « Si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent ».
Le livre « L’art d’utiliser ses fautes » selon François de Sales.
La grande arme du combat : la miséricorde de Dieu toujours victorieuse si notre cœur se repent. Avoir l’humilité de reconnaître notre péché et d’accueillir le pardon, c’est au fond le grand combat plus que de vaincre nos vices. Rebondir sur son péché, ses défaites pour sauter dans bras du Père qui nous attend. La victoire du mal est de me décourager, de me dire que je ne suis plus digne d’être appelé son fils (cf. fils prodigue, Lc 15, 21). Fils illégitime. Jn 1, 12 : « Mais à tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu ».
La sainteté c’est vivre en fils adoptif de Dieu. Déployer la filiation adoptive reçue au baptême. C’est faire le bien autant qu’on peut avec la grâce de Dieu, lutter contre le mal en nous et autour de nous. C’est aussi être victorieux du péché par le repentir qui accueille le pardon.
C’est par grâce que nous sommes sauvés
Il est bon de se rappeler constamment les propos de Paul en Éph 2, 8-9 : « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu ; il ne vient pas des œuvres, car nul ne doit pouvoir se glorifier. »
Le pape François dans Gaudete et exsultate 54 nous rappelle que l’amitié de Dieu « nous dépasse infiniment, nous ne pouvons pas l’acheter par nos œuvres et elle ne peut être qu’un don de son initiative d’amour ».
Le don gratuit de Dieu est indépendant de nos mérites. Ce don va fructifier en nous par l’accomplissement de bonnes œuvres, par le rejet des tentations. C’est une œuvre de l’homme et de Dieu, une collaboration.
Nous risquons de nous attribuer la victoire et d’oublier que c’est avec la grâce de Dieu que nous avons pu être victorieux (relire Gaudete et exsultate de François, les passages sur ce qu’il nomme le pélagianisme). 1 Co 15, 10 : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi ».
Lorsque nous nous attribuons la victoire, même si nous avons résisté à la tentation, nous avons en fait perdu la partie. D’où l’importance de l’action de grâces qui reconnaît que sans toi Seigneur nous ne pouvons rien faire. C’est avec toi, portés par toi, que nous avons lutté. Merci Seigneur. Un Père de l’Église dit que nous scellons l’acte bon par l’action de grâces.
Certains Pères de l’Église distinguent les commandements et les œuvres. Ces mots désignent une même réalité (faire ce qui plaît à Dieu, lui obéir) à une nuance près qui est fondamentale. Les œuvres serait faire le bien par soi-même, se l’attribuer. Les commandements sont les œuvres bonnes accomplies avec la grâce. Pour ces premiers théologiens, le terme « commandement » signifie non seulement le précepte (tu dois faire cela) mais aussi la grâce de Dieu qui lui est comme attachée (« Dieu donne ce qu’il ordonne »).
De quelques moyens à notre service
J’ai retenu 5 moyens : faire mémoire, la relecture, le dialogue, faire de l’exercice, vivre les sacrements. Je les prends dans cet ordre.
Faire mémoire
Regarder le Christ en sa Passion
Lieu où le Christ combat pour nous et avec nous.
Le regarder pour trouver force, courage et se laisser enseigner.
Faire mémoire Passion pour nous replonger dans son amour. Saint Paul : « Il nous a aimés et s’est livré pour nous » Éph 5, 2.
Méditer aussi les tentations du Christ pour apprendre de lui.
Évagre : « Notre Seigneur Jésus Christ nous a transmis tout [ce qu’il faut] pour notre salut, … et avec tout son enseignement, il nous a donné ce qu’il fit lorsqu’il fut tenté par Satan… ».
Histoire personnelle
Relire notre histoire avec le Seigneur, les grâces reçues, les dates marquantes, etc. Les noter sur un carnet. Une aide dans les moments difficiles. On relit et on rend grâces pour les passages de Dieu dans notre vie. Il a agi, il agira à nouveau en notre faveur. Cela nous aide à avancer.
La relecture
C’est en partie ce que les Pères du désert appellent l’examen de soi. Dorothée (auteur du VIe siècle) : « Il faut ainsi nous demander si nous avons fait quelque progrès, si nous sommes restés sur place, ou si nous ne sommes pas devenus pires ».
Prendre du temps pour s’arrêter et regarder sous le regard de Dieu notre vie. Bien sûr cette relecture ne s’arrête pas uniquement au combat spirituel.
Revisiter nos activités et discerner ce qui est à changer, ce qui a changé (nos évolutions, nos victoires, rendre grâces). Confier au Seigneur les situations, mes réactions, demander qu’il les évangélise. Demander pardon.
C’est réfléchir : qu’est-ce que je peux faire pour lutter ? Quels petits moyens mettre ne place ? Une prière particulière, une démarche, avoir une vigilance sur telle ou telle attitude, dans telle circonstance (par exemple faire attention à ma langue lorsque je suis avec tel collègue où on va habiller le curé pour plusieurs hivers ! Ce qui ne veut pas dire que la critique est honnie, mais elle doit être pour le bien, pour construire).
À l’écoute de la Parole de Dieu, recevoir la consolation du Seigneur. Dans la Bible, elle a trois dimensions : affective, intellective (donne sens, intelligence, donne donc orientation pour avancer) et exhortative (on va de l’avant, encourage).
Dialoguer : ne pas rester seul
Sous ce terme générique je place : le dialogue au sein de la confession, ce qu’on peut appeler le dialogue pénitentiel et, enfin, l’accompagnement spirituel. Je dirai deux mots aussi à propos de la redécouverte des sacramentaux.
Dialogue dans la confession
Le dialogue qui s’établit avec le prêtre est parfois une aide pour discerner les péchés, mais il est aussi l’occasion de donner des conseils pour le combat spirituel de manière très individuelle. On n’est pas là dans le théorique, mais dans l’adaptation à ma situation, etc.
Dialogue pénitentiel
Certaines personnes ne peuvent recevoir l’absolution. Les enfants qui se préparent au baptême. Qu’est-ce qu’ils font lorsqu’on confesse les autres au caté ? Des adultes aussi. Ils viennent déposer à la Croix de Jésus leur combat, leur chute, demander pardon, recevoir conseil et le prêtre donne une bénédiction.
Sacramentaux
À ce sujet, j’ouvre une parenthèse. On redécouvre les sacramentaux aujourd’hui. Bénédictions, prières pour demander la délivrance, la protection (cf. livret Protection, délivrance, guérison), l’exorcisme. Les scrutins pour les catéchumènes. Aides précieuses dans le combat. Demander force de Jésus dans faiblesse, en Église.
J’aurais pu parler des sacramentaux ailleurs, mais je les place au sein du dialogue. Pas actes magiques. Accompagner, discerner, intégrer pour reprendre les mots du pape.
L’accompagnement spirituel
Même si l’accompagnement spirituel ne se résume pas à discuter de nos péchés et du combat spirituel, cet aspect de notre vie y est abordé aussi.
Cela vaut aussi pour la confession : il faut reconnaître le bienfait de pouvoir partager ce qu’on a sur le cœur. On pourrait à nouveau parler de consolation. Partager, être écouté, râler, discuter, poser des questions, recevoir des conseils, des lumières sur la vie spirituelle, être encouragé, mais aussi accepter d’être mis sous la lumière, d’être démasquer dans nos fausses excuses, nos fuites, … L’importance de la durée. Paris ne s’est pas fait en un jour, comme on dit !
Cette dimension du partage et de l’écoute, de l’éclairage peut être vécu aussi en groupe.
S’entraîner
Qu’on ait repéré dans la relecture ou tout simplement au cœur de nos activités des mauvaises attitudes, nous avons à travailler pour essayer de les rectifier.
Pour se préparer au combat, on va s’exercer au bien. Le meilleur moyen de lutter contre l’orgueil est de poser des actes d’humilité. Contre la colère, de s’exercer à dire des paroles bienveillantes, contre la gourmandise cultiver la tempérance. Ainsi lorsque viendra la tempête, nous serons plus forts pour résister. Parfois, l’exercice nous aura tellement fortifié que la tentation n’aura guère d’écho en nous.
Vivre les sacrements : confirmation, messe, confession
Les vivre ce n’est pas seulement les pratiquer, les célébrer, mais aussi en vivre, vivre de la grâce qu’ils nous ont communiquée.
La confirmation
Elle nous rend forts contre le mal, nous rend robustes. L’onction reçue sur le front veut signifier l’affirmation de la foi, le témoignage (qui se traduit « martyr », témoignage jusqu’au bout). Vivre de notre confirmation, croire en cette grâce qui nous a été donnée : nous sommes revêtus de la force du Christ.
La messe
La messe en ses dimensions communautaire, d’écoute de la Parole de Dieu, de nourriture est vraiment ce qui nous aide à tenir dans le chemin difficile à la suite du Christ.
Rappelons-nous d’Elie qui fuit Jézabel 1 R 19, 5-8, découragé, il se couche sous un genêt attendant la mort. Un ange lui présente du pain figure de l’eucharistie et de l’eau. Avec la force que lui donna cette nourriture, il marcha 40 jours et 40 nuits jusqu’à la montagne de Dieu, dit le texte.
Rappelons-nous de l’épisodes biblique de la multiplication des pains : donnez-leur à manger car ils risquent de défaillir en route (Mt, 15,32).
Le sacrement de la réconciliation
On peut dire qu’il est le sacrement du combat spirituel. Le pardon donné qui nous rétablit dans l’amitié divine pour repartir d’un bon pied. La grâce de force qui est liée à ce sacrement de guérison. La pénitence que nous donne le prêtre qui est en fait la kiné spirituelle. Le péché engourdit notre disposition à faire le bien. Pardonnés, Dieu nous appelle à sortir de notre langueur pour avoir une vie active à faire le bien, une vie active pour la gloire de Dieu. Il nous en donne la grâce. Entrer dans le dynamisme du bien. La joie du pardon est conquérante.