Disciple-missionnaire dans un monde pluri-religieux
Un peu de théologie, L’Oasis n°27 : Dialogue interreligieux
Le dialogue interreligieux est une occasion d’accueillir l’autre tout en étant disciple-missionnaire. En dialoguant avec les autres, on comprend mieux qui on est et cela nous pousse à approfondir notre propre tradition religieuse.
Rompant avec une approche considérant les autres traditions religieuses comme des erreurs et des impasses pour le salut, l’Église, depuis le concile Vatican II, invite désormais à porter un regard d’estime sur les hommes et sur les femmes vivant dans des religions donnant sens à leur vie. La déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non-chrétiennes (Nostra aetate) promulguée en 1965 marque donc un tournant en permettant la promotion du « dialogue interreligieux ». Dès lors, la posture « dialogale », adoptée par l’Église dans son rapport aux autres confessions chrétiennes (œcuménisme) et vis-à-vis du « monde », s’étend également au judaïsme et aux autres traditions religieuses.
Ce tournant décisif dans l’Église conduit indirectement à un renouvellement de la théologie de la mission, en particulier celle qui s’est imposée pendant la période des grandes expansions missionnaires du XVIes. au XXes. Ce nouveau regard sur la mission doit faire sienne la question suivante : comment annoncer Jésus Christ aux hommes tout en entrant dans une logique de dialogue ?
La complexité de l’articulation du dialogue et de l’annonce
Cette question brûlante donnera lieu à la publication de plusieurs documents du magistère : Dialogue et mission (1984), Redemptoris Missio, encyclique du pape Jean-Paul II (1990) et Dialogue et annonce (1991). Il fallait d’un côté empêcher que l’on réduise la mission de l’Église au dialogue interreligieux et de l’autre garantir la nécessité du dialogue. On aboutit ainsi à une formule dans laquelle la mission était définie comme un processus unitaire complexe dont font partie le dialogue et l’annonce. Ces textes n’ont cependant pas vraiment réussi à penser harmonieusement ces deux pratiques. Soulignant la prédominance de l’annonce du Christ et l’orientation du dialogue à cette dernière, certaines affirmations ne suggèrent-elles pas que le dialogue serait une sorte de stratégie pour convertir nos interlocuteurs au Christ ? Une annonce habillée par une attitude amicale ? Comment, dès lors, tisser des liens de confiance avec des chrétiens soupçonnés de vouloir convertir à l’Église leurs interlocuteurs appartenant à une autre tradition ?
Retour vers un modèle missionnaire du passé ?
Depuis le début des années 2000, l’élan initial qui portait la promotion du dialogue interreligieux est entré dans une phase de maturation, alors que celui-ci est mis à l’épreuve par le regain actuel favorisant une mission explicite et directe.
Aujourd’hui donc, la « mission » redevient à la mode et plusieurs diocèses en France tentent de redonner un souffle missionnaire aux fidèles et aux paroisses. Or, comment le « disciple-missionnaire » intègre-t-il dans sa pratique la dimension du dialogue interreligieux ? Dans quelle imaginaire missionnaire se comprend-t-il lui-même et à quel modèle se réfère-t-il ? Le modèle missionnaire dominant et que l’on a tendance à revitaliser de nos jours est celui de la modernité. Il s’agit d’annoncer le Christ à des non-chrétiens (qui ne sont pas forcément des non-croyants) afin de les faire entrer dans l’Église par le baptême. Ce modèle présupposait néanmoins une théologie focalisée sur le salut individuel : il fallait tout faire pour sauver les autres de la condamnation éternelle réservée aux non-baptisés. La « conversion » était alors conçue comme une adhésion explicite au Christ concrétisée par le baptême et l’entrée dans l’Église catholique. Le patron des missions, saint François-Xavier fut un témoin de ce type d’attitude missionnaire.
Par le témoignage gratuit et l’écoute de ce qui anime en profondeur les personnes que nous rencontrons,
nous annonçons la proximité de Dieu aux hommes.
Un style missionnaire qui assume dialogue et annonce
L’enjeu aujourd’hui est de renouveler notre attitude missionnaire de telle sorte que le dialogue et l’annonce n’apparaissent plus comme des attitudes étrangères l’une à l’autre. Aussi la mission ecclésiale, et donc celles des disciples-missionnaires, devraient-elles s’insérer dans la mission même de Dieu et demeurer à son service. Or, comme le Concile nous l’a enseigné, « Dieu s’adresse aux hommes […] comme à des amis, il s’entretient avec eux » (Dei Verbum n°2).
Bien plus, Dieu « ne cesse de converser avec l’Épouse de son Fils bien-aimé » (DV n°8). Ce « style » missionnaire de Dieu, qui par les envois de son Fils et de l’Esprit dialogue avec les hommes, ne doit-il pas être adopté par l’Église ?
Par le témoignage gratuit de ce qui nous fait vivre et l’écoute de ce qui anime en profondeur les personnes que nous rencontrons, nous annonçons la proximité de Dieu aux hommes, tout en recevant d’eux également une parole qui peut venir de Dieu.
N’essayons pas de convertir les individus par des arguments, mais témoignons tout simplement par nos actes, nos attitudes et nos paroles de notre désir de la venue du Règne de Dieu. Le dialogue vécu dans la gratuité, en favorisant la fraternité et la paix entre les hommes, anticipe ce Règne dans notre monde fragmenté et prépare la conversion de tout homme à Dieu…en commençant par nous-mêmes !
Père Xavier Gué, Directeur de l’Institut de science et de théologie des religions – Theologicum – ICP
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