Célébrer avec les tout-petits et les familles : le point de vue d’un liturgiste
Contribution donnée par le Père Bernard Maitte, liturgiste, à l’occasion de la session du SNCC des 1-2 décembre 2014 intitulée « Célébrer avec les familles ».
Introduction
« Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : ‘Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas’. Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains » (Marc 10, 13-16).
La liturgie n’ouvre pas d’abord un débat sur le ritualisme mais sur le sens, sur ce qui se passe : l’action du Christ en faveur de son Épouse. Mais c’est un lieu de rencontre fragile …
Dans le judaïsme, la fracture qui avait pu exister entre le culte et le prophétisme, que le Christ lui-même dénonçait doit servir à mieux saisir la fragilité de l’acte liturgique s’il est déconnecté de sa réalité théologique, si la théologie en acte dans la liturgie est gommée. Dans le monde juif, très heureusement demeure dans le repas du Seder (qui signifie ordre, rituel) ce lien car comme en vrai théologien l’enfant pose des questions :
Pourquoi tremper les aliments ? Pourquoi manger de la Matsa ? Pourquoi manger des herbes amères ? Pourquoi manger accoudé ? Et la réponse du père, « le liturge » de ce repas rituel est la suivante :
« Nous étions les esclaves du Pharaon, en Égypte et l’Éternel notre Dieu nous a fait quitter ce pays, d’une main forte et d’un bras étendu. Il en est de même, à l’heure actuelle, ‘comme aux jours de ta sortie d’Égypte’. Malgré l’intense obscurité de l’exil, Dieu nous conduira ‘de la pénombre vers la grande lumière’. Alors, ‘nous Le louerons par un chant nouveau’. Ce sera la délivrance véritable et complète, qui ne sera suivie d’aucun exil, par notre juste, très bientôt et de nos jours. »
Célébrer avec les tout-petits et les familles, n’est donc pas une invention de notre temps. Les deux exemples sont comme deux sources dont nos pratiques tiennent leur origine.
Le premier nous rappelle l’importance de l’accueil comme acte liturgique. Tout ce qui se passe avant une célébration fait partie de la célébration. En effet l’Ecclesia est appelée ; aussi doit-on connaître ou reconnaître ceux qui vont participer à l’assemblée. L’acte se fonde sur une parole. Ici celle du Christ : « Laissez venir à moi… » C’est comme la quintessence de la célébration de la Parole ou de la liturgie de la Parole à la messe. Puis deux gestes qui disent le sens du rite : « il les embrassait » (qui révèle la tendresse de Dieu, la grâce de sa communion) que vient confirmer le geste d’imposition des mains, qui est toujours un geste épiclétique. Ultimement, le sens de tout cela : accueillir le Royaume à la manière d’un enfant.
Nous pourrions penser nos célébrations, leurs structures, leur constitutions en assemblée selon cette art de célébrer du Christ.
La deuxième approche est tout autant importante pour nous. Elle est plus ancienne encore car le repas du seder remonte à l’expérience de la Pâque des Hébreux. Que pouvons-nous en retenir ? D’abord, il y a une multitude d’urgies (actions) dans ce repas où tout compte et sans lesquels le repas ne pourrait avoir lieu.
Le cœur du repas, l’agneau, vient de plus loin, d’un « sacrifice », d’un don offert par Dieu. Par ailleurs il faut qu’il y ait eu le « lucernaire » c’est la mère de famille qui accomplit la liturgie de la lumière en allumant les bougies, puis les bénédictions sur la première coupe, le pain et sur la dernière coupe. Aucune explication à tout ce rituel, en revanche deux choses à souligner. Le rite s’appuie sur un ensemble divers d’actes qui le précèdent. Le temps, l’espace, la famille, la bête sacrifiée etc. c’est un chemin vers le repas. Puis c’est le rite lui-même qui conduit à comprendre et à se comprendre. Pourquoi fait-on ainsi ? Parce qu’il s’agit de nous… La question comme la réponse sont mystagogiques. Que l’enfant comprenne ou pas, c’est le rite qui interroge avant d’être une explication.
Comment dans chacune de nos célébrations honorons-nous les trois aspects de toute célébration, chemin qui conduit de type catéchuménal, participation pleine et ouverte au rite (Initiation) et questions à ma propre existence (mystagogie) ? Pour cela, il faudrait trois choses qui manquent souvent à nos liturgies, nos célébrations, et qui sont de l’ordre de la foi :
1) Croire qu’une grâce est associée à chaque rite, chaque geste. Qu’il y a du sacramental dans la préparation (la lumière à allumer et qui ouvre le repas, les diverses bénédictions). Que nos célébrations ne se réduisent pas seulement au seul moment où nous commençons. Qu’avant de débuter quelque chose, il y a toujours un avant, un fruit du travail de l’homme et de la terre en processus d’être offert.
2) Croire en la force du rite. Je ne suis pas initié parce que j’apprends uniquement comment on rôtit un agneau mais parce que je le mange dans la convivialité. Il est dur de laisser à Dieu l’initiative de se dire lui-même dans le rite. Nous aurons toujours tendance à vouloir prendre la place de Dieu le trouvant défaillant dans son peu d’art à nous faire des discours, ou à nous parler seulement en parabole.
3) Croire que je me connaîtrai d’autant plus moi-même que c’est la ritualité qui va me dire le sens de la vie en accomplissant le rite. La mystagogie n’est pas seulement ou d’abord l’explication des rites vécus. C’est le rite répété qui conduit sans cesse dans le mystère de ce qu’il est. C’est bien pourquoi la mystagogie dans le Rituel de l’initiation chrétienne des adultes (RICA) est :
– un temps : l’octave de Pâque et son déploiement jusqu’à Pentecôte ;
– un lieu : l’assemblée qui fait vivre au néophyte, comme à un enfant, l’apprentissage des gestes ;
– une « urgie » (action) : la messe elle-même qui réactualise sans cesse le mystère de la Pâque et mon initiation.
Maintenant dans le cas qui nous occupe, plusieurs configurations sont possibles. Nous pouvons avoir des familles à accueillir plus particulièrement le dimanche qu’il y ait ou non une eucharistie (voir la contribution de Sophie Gall). On peut avoir une célébration seulement avec les tout-petits mais alors c’est plus souvent un temps de prière. Nous pouvons avoir des célébrations avec les tout-petits et leur famille. Dans les trois cas ce qui est dit précédemment peut servir de cadre même si nous n’aurons pas équivalence des trois temps à chaque fois. Il y aura même des célébrations plus caractérisées par l’un ou l’autre terme de l’action liturgique qui conduit, initie et enracine dans le mystère.
Dans le cadre d’une célébration qui trace un chemin on comprendra par exemple pourquoi le Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France (TNOC) énonce ce qui suit :
« Dans le cadre de cet éveil à la foi des tout-petits, il importe de proposer des célébrations spécialement ajustées à la petite enfance. Elles sont un lieu irremplaçable de familiarisation avec la liturgie et la prière chrétienne. En accordant une place importante aux récits bibliques, elles contribuent à forger une mémoire de la foi. Il convient seulement de considérer le petit enfant dans son environnement familial. Tout ce que vit un tout-petit a nécessairement des répercussions sur sa famille et inversement [TNOC, Proposition d’organisation (PO) 2.4] »
Dans tous les cas, on pourra certes avoir des adaptations, mais on apprend aussi à s’adapter pour entrer dans une société, un groupe, une famille. L’enfant ne va pas attendre de comprendre (mais cela vaut pour les grands) tout ce qui compose un repas et son déroulement pour manger.
On peut préparer une célébration mais ce que vivent les personnes est déjà un chemin. Ce n’est pas parce que quelqu’un n’est pas baptisé qu’il ne vit pas déjà une dimension pascale. Chacun est amené au cours de son existence à faire l’expérience d’un passage de la mort à la vie. Dans une célébration, même avec des personnes de tous âges et conditions (et Dieu sait que lorsqu’on parle de famille, la définition de celle-ci est désormais éclatée) cette réalité pascale existe. Une célébration de la Parole, une bénédiction, un rite de type sacramental vont permettre la symbolisation de tout cela.
Dans le cadre plus précis de la préparation aux sacrements le TNOC dit : « L’essentiel de la préparation portera sur le don auquel chaque parole, attitude, geste ou action symbolique veut conduire (TNOC 3.5) ». C’est vrai même lorsque notre pratique est lointaine, ou qu’on s’interroge.
La célébration doit être conçue non comme un moment « isolé ou/et détaché » de l’ensemble de ce qui se vit dans l’acte catéchétique. Nous devons beaucoup au RICA pour une telle compréhension.
Concernant les adaptations qu’il faudrait faire, le Concile avait prévu cette possibilité que les rituels mettent en œuvre :
« Pourvu que soit sauvegardée l’unité substantielle du rite romain, on admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples, surtout dans les missions, même lorsqu’on révisera les livres liturgiques ; et il sera bon d’avoir ce principe devant les yeux pour aménager la structure des rites et établir les rubriques [Sacrosanctum Concilium (SC) 38] ».
Un exemple, le Rituel du baptême des enfants en âge scolaire (BEAS) qui trouve son origine dans le RICA, expression parfaite d’une adaptation de l’initiation chrétienne à une tranche d’âge : les 7-12 ans.
Si pour nos célébrations, nous nous inspirons de l’un ou l’autre rituel, la première des adaptations est le choix à opérer en matière d’oraisons, de bénédictions voire de rites ou lectures de la Parole de Dieu. Cela est bien sûr très large au niveau des sacramentaux plus que pour la messe. Mais n’ayons pas en tête la seule structure de la messe pour « faire » une célébration.
Conclusion
- Si tout homme est appelé à célébrer, la célébration est en vérité :
- quand elle n’est pas destinée à une seule catégorie ;
- quand elle ne vise pas à tout signifier et expliquer ;
- quand elle respecte une structure dialogale ;
- quand elle s’inscrit dans tout un chemin par étapes ;
- quand elle n’est pas une improvisation ou une habitude sclérosée ;
- quand la beauté et donc la qualité sont présentes.
- « Cependant, grâce à la multiplication des célébrations non eucharistiques, ils (les enfants) peuvent avoir une réelle expérience liturgique nourrissante pour la foi » (Note de la commission épiscopale francophone p. 8).
- Il s’agit d’introduire dans « l’expérience que porte l’Église (au sens objectif donc) ; la catéchèse dispose de trois ressources où celle-ci est manifestée ou racontée : les Écritures, la liturgie et le corps concret de l’Église dans sa diversité historique, géographique et culturelle » (TNOC, lexique p. 63-64).« Dans les célébrations, la Parole de Dieu aura une place de plus en plus importante, selon les capacités des enfants. Bien plus, en raison des progrès de leurs capacités spirituelles, on aura assez fréquemment avec eux des célébrations de la Parole de Dieu proprement dites, surtout aux temps de l’Avent et du Carême.
- Ces célébrations peuvent développer grandement chez les enfants l’estime de la Parole de Dieu » (DME 14-Directoire des Messes d’Enfants).
- Il faut faire confiance aux rites. Dans la Tradition apostolique d’Hyppolyte de Rome, nous voyons que tous participent aux mêmes rites.
- L’ordre symbolique : il signifie que la foi atteint la communion aux mystères par la ritualité, que ce soit par des lieux (baptistère, lieu de la Parole, autel…), par des signes et gestes (signation, onction, bain, imposition des mains…), par des objets (eau, pain, vin, huile, cierge, Bible, vêtement…) ou par des paroles. C’est par cet ordre que s’établit une relation / communion avec Dieu. Ce symbolisme naturel nous fait retrouver notre appartenance à cette terre, au régime de l’Incarnation. Il s’agit de trouver une initiation, une entrée dans les symboles d’un groupe, celui des chrétiens et dans le langage divin qui leur est commun et qui les structure en corps ecclésial.