Clameur de la terre, clameur des pauvres : écologie intégrale et Directoire pour la Catéchèse

Le Directoire pour la Catéchèse s’appuie sur la Doctrine Sociale de l’Eglise et aborde notamment la question de l’écologie intégrale. Puisant dans sa lecture des encycliques Evangelii gaudium, Laudato si’, Fratelli Tutti, le père Grégoire Catta revient sur quelques extraits du DpC qui font écho à la « clameur de la terre, clameur des pauvres » à laquelle le pape François fait référence dans Laudato si’. Il est intervenu sur ce sujet dans le cadre de la session Perspectives catéchétiques, « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises » (Ap 2,17a).

Je vais commencer par le rappel de la rencontre de Jésus avec Nicodème (Jn 3, 3.7-8). Jésus dit à Nicodème : « … à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu ». Cela peut être inspirant pour nous aujourd’hui. Nous sommes invités à « naître d’en haut ». Naître d’en-haut, cela veut dire nous mettre à l’écoute de l’Esprit, de cet Esprit qui souffle où il veut, dont on entend la voix sans savoir d’où il ne vient ni où il va. Je mets cela aussi en écho avec ce que nous a dit le pape François lors de ses vœux à la Curie, il y a quelques semaines : « le temps de la crise est un temps de l’Esprit ». Pour lui, écouter l’Esprit, discerner, signifie réfléchir à nos décisions et à nos actions non seulement par un calcul rationnel mais en écoutant l’Esprit, en reconnaissant dans la prière les intentions, les invitations et la volonté de Dieu.

Je vais vous proposer un petit parcours de doctrine sociale de l’Église dans les textes récents du pape François, en restant dans la dynamique de l’écoute de l’Esprit.

Le chapitre 10 du Directoire pour la Catéchèse invite à se plonger au cœur des réalités contemporaines, à prendre au sérieux aussi cette manière d’exprimer le mystère de Dieu qui nous sauve, qui se trouve dans ce que l’on appelle l’enseignement social, la pensée sociale de l’Église. Le lien entre catéchèse et doctrine sociale de l’Église apparaît dans l’introduction de ce chapitre 10 au n° 319 : « la catéchèse a une dimension culturelle et sociale intrinsèque, dans le sens où elle se situe dans une Église insérée dans la communauté humaine ». Nous sommes au cœur de la communauté humaine, comme le dit Gaudium et Spes, et, de ce fait, nous partageons les joies et les angoisses des hommes et des femmes de notre temps.

Tout ce qui rentre sous le vocable de l’écologie intégrale, ce ne sont pas seulement des « thèmes auxquels il faut accorder de l’espace » mais il s’agit « d’attentions constitutives de la catéchèse et de la pastorale ecclésiale … ». C’est le terme de « constitutives » qui m’intéresse, comme celui d’« intrinsèque » au début du paragraphe. Quand on parle de pensée sociale de l’Église, quand on parle d’écologie intégrale, ce ne sont pas des choses un peu périphériques à la foi ou qui seraient la conséquence de la foi pour ceux qui s’intéressent à ces sujets. C’est un lieu où l’on plonge au cœur du mystère de Dieu qui nous sauve et donc une dimension constitutive, intrinsèque, essentielle de la foi.

Il y a de nombreuses manières de parler de la Doctrine sociale de l’Église mais l’une d’elles, un peu synthétique, est de reprendre la citation de Laudato si’ (LS 49) qui fait référence à la clameur des pauvres et à la clameur de la terre : « Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en approche sociale qui doit intégrer la justice dans la discussion sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ».

Comment faisons-nous pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ? En y décelant la voix de l’Esprit et en mettant cela au cœur de nos pratiques d’évangélisation c’est-à-dire, pour vous, de la pratique de la catéchèse.

Le petit parcours que je vais vous proposer après cette introduction va vous permettre de puiser un peu de nourriture, nourriture dont vous avez besoin pour renaître d’en haut.

Je vais simplement faire résonner des passages du nouveau Directoire pour la catéchèse, particulièrement les numéros 381 à 391, en les développant à la lumière des différentes encycliques sociales du pape François.

Je vais passer un petit moment sur Evangelii gaudium au chapitre 4, ensuite j’irai dans Laudato si’ pour parler d’écologie intégrale et puis je terminerai par Fratelli tutti.

Evangelii gaudium

La dimension sociale de l’évangélisation

Dans La Joie de l’Évangile, le quatrième chapitre est tout entier consacré à la dimension sociale de l’évangélisation. Le n° 389 du DpC fait écho à cette dimension sociale.

Qu’est-ce que cela signifie ? Evangelii gaudium donne, au début de ce chapitre, une définition de cette dimension sociale de l’évangélisation qui est très large : « Evangéliser c’est rendre présent dans le monde le Royaume de Dieu » (EG 176). Il y a beaucoup de manières différentes de rendre présent ce Royaume mais le Pape ajoute, dans ce même paragraphe, que « … si cette dimension [sociale] n’est pas dûment explicitée, on court toujours le risque de défigurer la signification authentique et intégrale de la mission évangélisatrice ». Un peu plus loin, il dit encore : « Le kérygme possède un contenu inévitablement social : au cœur même de l’Évangile, il y a la vie communautaire et l’engagement avec les autres » (EG 177).

Il s’agit de voir les conséquences sociales de la foi, c’est une partie de la dimension sociale mais il faut avoir en tête qu’en faisant cela, nous allons aussi nous évangéliser nous-mêmes. En se préoccupant de ces questions de justice, de rapport aux pauvres, de soin à porter à la création, nous sommes dans des lieux où nous rencontrons le Christ, où nous plongeons plus avant dans le mystère de Dieu qui nous sauve. Ce ne sont pas seulement des conséquences de notre foi mais des lieux de son approfondissement.

Par ailleurs, le commandement de l’amour se met en œuvre non seulement dans la relation avec la personne qui est à côté de moi mais aussi dans la manière dont on fait fonctionner la société, dans tout ce que l’on fait pour que la vie sociale soit « un espace de fraternité, de justice, de paix, de dignité pour tous » (EG 180).

L’option préférentielle pour les pauvres

Le deuxième point que je retiendrai dans Evangelii gaudium, c’est l’importance de l’option préférentielle pour les pauvres. Elle se retrouve dans le nouveau Directoire au n° 388 : « La catéchèse se laisse provoquer par la pauvreté étant donné qu’elle est intrinsèque au message évangélique ».

Comment comprendre cela ? Je vais vous faire un petit commentaire d’EG 198 sur ce sujet en soulignant trois points importants. Tout d’abord, il est dit dans ce paragraphe que l’option pour les pauvres est quelque chose dont témoigne toute la tradition de l’Église, c’est-à-dire que l’attention préférentielle pour les pauvres vient de très loin dans l’histoire de l’Église puisque cela vient de l’attitude de Jésus lui-même et de l’Église des premiers temps. Cela s’est déployé dans toute la tradition du magistère social de l’Église à partir de la fin du 19ème siècle. L’expression elle-même vient de l’Amérique Latine, de la manière dont cette Église a compris, à la suite du concile de Vatican II, qu’écouter les signes des temps signifiait, pour eux, s’affronter au scandale d’un continent profondément catholique (à l’époque à plus de 90%) et pourtant où la majeure partie de la population vivait dans une grande misère. Le salut que l’on annonce en Jésus-Christ a aussi quelque chose à voir avec la libération de la misère. Cela les a amenés à formuler cette expression d’option préférentielle pour les pauvres.

La deuxième remarque sur cette option préférentielle pour les pauvres est qu’elle est « une catégorie théologique », avant d’être culturelle, sociologique, politique ou philosophique. « Dieu leur accorde sa première miséricorde. » Cela renvoie à la façon dont Dieu se comporte avec son peuple dans l’Ancien Testament : il prend soin de l’étranger, de la veuve, de l’orphelin ; à la manière aussi dont Jésus se comporte vis-à-vis des exclus de son temps. Le n°198 cite le Pape Benoît XVI pour qui, faisant référence à la deuxième lettre aux Corinthiens, cette option « est implicite dans la foi christologique en ce Dieu qui s’est fait pauvre pour nous, pour nous enrichir de sa pauvreté ». Pour nous chrétiens, cette option pour les pauvres est d’abord une manière de nous mettre dans les pas du Christ et d’aller au bout de notre foi en Dieu.

Quel est le contenu de cette option préférentielle pour les pauvres ? Comme le disait le pape Jean-Paul II, c’est une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne, dans la pratique de l’amour. Dans la pratique de l’amour, on commence par une attention spéciale pour les plus pauvres, les plus fragiles, non pas pour oublier les autres mais pour réussir à englober tout le monde. Comme disait le père Wresinski, s’intéresser aux plus pauvres, c’est une manière d’être vraiment universel.

Je veux souligner un troisième point qui vient plus spécialement du pape François : « ils ont beaucoup à nous enseigner ». L’option pour les pauvres n’est pas seulement une attention particulière ou un critère de discernement pour un engagement éthique mais il y a quelque chose de plus : les pauvres ne sont pas seulement objets d’attention, ils sont aussi une source, ils ont aussi beaucoup à nous apprendre. Ce n’est pas qu’ils soient plus intelligents que tout le monde mais ce qui se passe dans ces lieux de pauvreté a quelque chose à nous enseigner. Un peu plus loin, il dit encore : « Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux ».

Laudato si’

Le n° 383 du DpC attire l’attention tout de suite sur la manière d’envisager l’écologie, qui n’est pas seulement une question d’environnement mais aussi une question de personnes. Celle-ci va toujours lier le cri des pauvres et le cri de la terre. Laudato si’, comme le dit le sous-titre, c’est l’encyclique sur la sauvegarde ou sur le soin de la maison commune ; c’est prendre soin de la maison commune et de tous ses habitants, en particulier les plus pauvres et les plus fragiles.

Rappelons-nous que ce soin, ce souci de la maison commune s’inscrit vraiment au cœur de la foi comme le souligne le n° 384 du DpC. Laudato si’ rappelle que Jean-Paul II l’avait déjà dit en 1990 (LS 64) et insiste sur le fait que : « [Les chrétiens] ont besoin d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus Christ sur les relations avec le monde qui les entoure » (LS 217).

Laudato si’ va nous donner un chemin qui est le chemin de l’écologie intégrale. Ce chemin de l’écologie intégrale, c’est d’abord reconnaître, prendre la mesure du fait que « tout est lié ». C’est le refrain qui revient sans cesse dans Laudato si’. Tout est lié, notre relation avec la nature, avec les plantes, les arbres, les animaux, les relations avec les autres, notre relation avec nous-même, avec notre corps, notre relation avec Dieu.

Nous sommes appelés à abandonner une logique de domination pour retrouver une autre logique, la logique de la gratitude, la logique de la rencontre, la logique de la sobriété, c’est-à-dire un type de relation plus conforme à notre vocation profonde d’êtres humains, nous qui sommes des créatures voulues par un projet d’amour de Dieu. Comme le dit Elena Lasida, tout est lié parce que tout est donné. Nous ne sommes pas des créateurs, nous sommes des créatures et nous avons tout reçu, et tout est fragile.

Quand on a dit tout cela, on a dit ce qu’est l’écologie intégrale, c’est-à-dire l’écologie au sens où la comprend Laudato si’. Cela va pouvoir se décliner de façon concrète sous différents aspects.

Écologie intégrale

Quelle est donc cette écologie intégrale ? Nous en avons vu un peu les contours mais on peut aller un peu plus loin. Le nouveau Directoire pour la catéchèse (n° 383) rappelle simplement les titres des différentes parties du chapitre 4 de Laudato si’ que je vais reprendre avec vous. L’écologie intégrale, c’est l’écologie environnementale, économique, sociale et politique ; l’écologie culturelle ; l’écologie de la vie quotidienne.

L’écologie environnementale, c’est ce qui nous est le plus familier mais l’insistance sur la prise de conscience de l’impact de toutes nos activités sur l’environnement nous oblige à remettre en question nos modèles de développement, nos modèles de production et de consommation. Il s’agit de prendre en compte non seulement l’impact ou le coût économique mais l’impact sur l’environnement, sur le dérèglement climatique, sur la biodiversité. C’est aussi une invitation à avoir une approche intégrale puisque tout est lié. Le Pape dit : « Il est fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale » (LS 139). On revient toujours à la clameur des pauvres qui va avec la clameur de la terre.

L’écologie économique : encore une fois, c’est l’idée d’avoir une économie au service du soin de la maison commune. Pour cela, le Pape dit : « il ne suffit pas de concilier en un juste milieu la protection de la nature et le profit financier, ou la protection de l’environnement et le progrès. Sur cette question, les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement » (LS 194). Il y a plus que simplement un verdissement de l’idée de progrès ou de l’idée de croissance économique ; il y a des choses qu’il faut abandonner, d’autres qu’il faut promouvoir. C’est finalement une conversion profonde, une conversion du style de vie qui nous est demandée.

Dans l’écologie sociale, il y a aussi la nécessité de transformer les institutions. Un rappel vient de Benoît XVI : « Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des dommages à l’environnement » (LS 142).

Le Pape parle aussi d’écologie culturelle. Il est intéressant de voir que cela aussi fait partie de l’écologie. C’est là où il pointe le danger d’une homogénéisation de la culture, notamment à cause des pratiques de consommation, de la culture « McDo ». La dynamique de l’écologie intégrale nous fait reconnaître la force et l’importance des cultures particulières.

« La disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale (LS 145). »

Puis, le Pape parle d’écologie de la vie quotidienne. Il met sous cette rubrique la réflexion consacrée à l’espace dans lequel on vit et notamment à la question de l’urbanisation, qui peut être déshumanisante notamment quand les gens vivent entassés dans des villes qui manquent d’espace et dans lesquelles on constate une déstructuration du lien social. On pense aussi aux bidonvilles, aux grands ensembles. Mais il constate aussi que, même dans un environnement très dégradé, il y a toujours des témoignages de relations humaines très belles ; il parle de réseaux de communion et d’appartenance. Quand on sait préserver cela, malgré l’environnement très dégradé, il y a quelque chose qui témoigne d’une « écologie humaine » (LS 148). Il va parler aussi, sous le vocable d’écologie humaine, de la relation avec soi-même, faisant référence à Benoît XVI et à Jean-Paul II, de la relation avec la loi morale qui est inscrite au plus profond de soi. La démarche d’écologie intégrale, c’est aussi accueillir son corps, y compris dans sa masculinité, sa féminité, accueillir cela comme un don de Dieu. Cela est nécessaire pour accueillir et pour accepter le monde entier comme don du Père et maison commune.

Le principe du bien commun, dont je vais parler un peu plus longuement après, est une manière de dire que tous les principes de la Doctrine sociale de l’Église font partie de la dynamique de l’écologie intégrale. Enfin, le Pape souligne la nécessité de penser la justice aussi en termes intergénérationnels et avec le souci des générations à venir.

Je rappelle également que l’écologie intégrale implique une éducation (et là on rejoint le thème de la catéchèse) : éduquer à des vertus écologiques, en soulignant comment la pratique de petits gestes du quotidien nous transforme en profondeur pour nous rendre capables ensuite de grandes transformations. Cet exemple est frappant : « le fait de réutiliser quelque chose au lieu de le jeter rapidement, parce qu’on est animé par de profondes motivations, peut un être un acte d’amour exprimant notre dignité » (LS 211).

Tout un passage de Laudato si’ attire notre attention sur l’aspect spirituel. Il nous appelle à entrer dans une dimension de gratitude, de contemplation, pour reconnaître la beauté et la cultiver. Cultiver la sobriété peut également nous mettre sur le chemin de la paix et de la joie. Cela passe aussi par les sacrements et la liturgie. Encore une fois, on n’est pas simplement dans des réflexions de morale ou d’éthique mais cela touche profondément à notre relation à Dieu. Le Pape mentionne quelques convictions de foi qui sont au cœur de cette conversion écologique : « la conscience que chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner; ou encore l’assurance que le Christ a assumé en lui-même ce monde matériel et qu’à présent, ressuscité, il habite au fond de chaque être, en l’entourant de son affection comme en le pénétrant de sa lumière ; et aussi la conviction que Dieu a créé le monde en y inscrivant un ordre et un dynamisme que l’être humain n’a pas le droit d’ignorer (LS 221) ». Puis, cet exemple : « Quand on lit dans l’Évangile que Jésus parle des oiseaux, et dit qu’« aucun d’eux n’est oublié au regard de Dieu » : pourra-t-on encore les maltraiter ou leur faire du mal ? » (LS 221).

Écologie intégrale et principes de la Doctrine sociale de l’Église (DSE)

L’écologie intégrale est une manière de réactualiser la DSE. Cela n’est pas quelque chose qui vient s’ajouter, cela déploie des choses qui étaient restées un peu dans l’obscurité, notamment toute cette dimension de notre rapport à l’environnement. Laudato si’ n’est pas une pierre de plus qui nous ferait parler des questions environnementales et du réchauffement climatique mais plutôt une manière de revisiter toute la tradition de l’enseignement social de l’Église et de l’actualiser. Et donc, d’une certaine manière, ce n’est pas étonnant que, dans l’écologie intégrale, on retrouve cette affirmation que : « L’écologie intégrale est inséparable de la notion de bien commun, un principe qui joue un rôle central et unificateur dans l’éthique sociale » (LS 156).

Le bien commun, non la somme des intérêts particuliers, mais le bien de nous tous, le bien collectif, présuppose la dignité inaliénable de toute personne humaine, qui, pour nous chrétiens, s’ancre dans le fait que nous nous reconnaissons comme tous créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Quel que soit son âge, son état de santé, quelle que soit la couleur de sa peau, la personne humaine a une dignité inaliénable qui se traduit dans des droits fondamentaux inaliénables et aussi dans des devoirs (LS 157).

« Le bien commun exige aussi le bien-être social et le développement des divers groupes intermédiaires, selon le principe de subsidiarité » (LS 157). Ce qui peut se faire par le niveau le plus bas doit être fait au niveau le plus bas. Il ne faut pas, par exemple, que l’État s’occupe de dicter dans tous les détails ce que doit être l’éducation des enfants. C’est la responsabilité de la famille, même si, en cas de défaillance de la famille, l’institution scolaire ou l’État doivent intervenir. Ce principe de subsidiarité, il est placé aussi au cœur de Laudato si’.

Le paragraphe suivant nous parle de la solidarité, de l’option préférentielle pour les pauvres dont nous avons beaucoup parlé et de la destination commune des biens de la terre (LS 158). Tout cela, ce sont des principes qui existaient bien avant Laudato si’ mais qui, avec LS, s’intègrent sous l’appellation d’écologie intégrale.

Tous ces principes sont des principes au sens où ils nous servent de repères pour vivre conformément à notre vocation chrétienne mais ils peuvent aussi servir de principes au sens de ce qui est à l’origine, de ce qui inspire pour savoir comment vivre davantage la solidarité, l’option préférentielle pour les pauvres, … Là nous ne sommes plus dans le domaine de la loi que je respecte ou pas. Il s’agit de s’inspirer de l’Évangile, de l’attitude du Christ.

Fratelli tutti

Je pars de nouveau du DpC au n° 390. La deuxième partie de la citation reprend Benoît XVI dans Caritas in veritate. Avec Fratelli tutti, on a la suite de Laudato si’ ou, peut-être, l’autre face de la pièce. Pour prendre soin de la maison commune dont nous parle Laudato si’, « il faut constituer un nous… » (FT 17) qui habite cette maison commune. Et le chemin qui est proposé dans Fratelli tutti est celui de la fraternité et de l’amitié sociale.

On voit bien ce qu’est la fraternité, l’amitié sociale, peut-être un peu moins. Une petite histoire illustre bien ce qu’est cette amitié sociale, ce qu’a en tête le pape François quand il emploie cette expression. Il a raconté cette histoire lors d’une rencontre avec des jeunes à La Havane, à Cuba en septembre 2015. Il raconte que, lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, il est allé dans une paroisse très pauvre où de jeunes étudiants à l’université étaient venus pour aider à construire des bâtiments. Le curé les lui présente et lui dit : untel est l’architecte, il est juif ; l’autre est un communiste ; un autre est un catholique de telle paroisse, etc. Ils étaient tous différents mais tous travaillaient ensemble pour le bien commun. Pour le pape François, c’est cela l’amitié sociale. Il voit cette amitié de manière très concrète : être capable de travailler ensemble, dans la richesse de nos diversités, en vue d’un bien commun, qui aura forcément quelque chose à voir avec le soutien aux plus fragiles.

Le chemin qu’il propose, c’est « une fraternité ouverte qui permet de reconnaître, de valoriser et d’aimer chaque personne, indépendamment de la proximité physique, peu importe où elle est née ou habite » (FT 1).

La fraternité est un fait à reconnaître – nous faisons tous partie de la même humanité créée par un même Père – mais cela a aussi des implications si l’on cherche à la vivre vraiment, des implications pas seulement dans nos relations interpersonnelles mais dans les conditions que l’on va avoir à créer dans la société pour pouvoir vivre cette fraternité. Fratelli tutti commence par faire un tableau un peu sombre de la situation, nous sommes dans des sociétés fracturées, mais il propose tout de même la fraternité comme projet de société.

Dans Fratelli tutti, on retrouve tous les principes qui constituent la Doctrine sociale de l’Église, notamment la dignité humaine (FT 207) qui est vraiment centrale. C’est un des mots qui revient le plus souvent dans cette encyclique. Se reconnaître comme frères et sœurs passe par le fait de reconnaître l’autre (et d’agir en conséquence) comme ayant une dignité inaliénable (FT 213). Encore une fois, pour nous chrétiens, cela a un fondement profondément théologique : croire en ce Dieu qui nous a créés ensemble ; croire au fait que le Christ est venu sauver tous les hommes et femmes de la terre. Le bien commun, c’est la finalité de ce qui est développé dans Fratelli tutti comme programme de fraternité (FT 154, FT 205). Il y a des choses concrètes sur l’accueil des migrants, la politique, le dialogue social… et, chaque fois, le bien commun est présenté comme une finalité. On retrouve aussi la solidarité, la subsidiarité et la destination universelle des biens.

Tout ce que l’on déploie avec ces principes de la Doctrine sociale de l’Église, encore une fois, nous situe au cœur de la foi. Ce ne sont pas seulement les conséquences de notre foi mais ils l’alimentent aussi. Il y a une très belle phrase, qui nous donne à penser, au début de Fratelli tutti, ce sont les premiers mots : « Fratelli tutti, écrivait saint François d’Assise, en s’adressant à tous ses frères et sœurs, pour leur proposer un mode de vie au goût de l’Évangile (FT 1) ». Voilà ce dont il s’agit dans ces deux cent pages d’encyclique qu’on peut trouver un peu longues. On parle de choses très concrètes (la peine de mort, la guerre juste, …) mais le fond des choses, c’est de s’engager dans un mode de vie « au goût de l’Évangile », c’est le déploiement dans le concret d’un mode de vie « au goût de l’Évangile ». De même, quand on lit dans l’encyclique qu’un des fondements de la fraternité est de reconnaître, pour nous qui sommes croyants, que nous avons un Père commun, cela nous renvoie au reste de l’encyclique qui nous révèle ce qu’est un Dieu Père. Un Dieu Père est un Dieu qui est en dialogue avec son peuple et qui nous invite à dialoguer, un Dieu d’amour qui nous invite à déployer cet amour.

Ce mode de vie « au goût de l’Évangile », proposé par Fratelli tutti, se donne à voir notamment dans cette très belle méditation du bon samaritain, qui occupe tout le chapitre 2. Là je voudrais pointer encore un chose : vivre en frères et sœurs, c’est savoir se faire le prochain de toute personne qui en a besoin. Sommes-nous comme le brigand qui a blessé l’homme et l’a laissé mourant sur le bord du chemin ? Sommes-nous comme le prêtre et le lévite qui passent sans faire attention ? Ou comme le samaritain qui, bien que n’étant pas du même clan mais d’un clan rejeté par les juifs du temps de Jésus, se fait proche du blessé ? Jésus nous donne le modèle du bon samaritain : « va et, toi aussi, fais de même » (Lc 10, 37).

Le Pape souligne une chose à laquelle on pense moins souvent : ce texte a une implication sur le type de société qu’on cherche à construire, sur les institutions, sur la citoyenneté : « C’est un texte qui nous invite à raviver notre vocation de citoyens, de nos pays respectifs et du monde entier, bâtisseurs d’un nouveau lien social […] C’est un appel toujours nouveau… : que la société poursuive la promotion du bien commun et, à partir de cet objectif, reconstruise inlassablement son ordonnancement politique et social, son réseau de relations, son projet humain (FT 66) ». Par son geste, le bon samaritain a montré que notre existence à tous est profondément liée à celle des autres. On n’est jamais sauvé tout seul ; nous sommes sauvés tous ensemble, comme peuple.

Je termine en ajoutant un autre élément très intéressant de Fratelli tutti qui est une incitation du Pape à rêver (FT 8). Ce n’est pas une invitation à fuir la réalité mais à être capable ensemble d’imaginer un possible et d’y travailler. Cela, je le rapproche de l’espérance chrétienne qui s’ancre dans la confiance en un Dieu qui ne nous abandonne pas. C’est pourquoi nous pouvons imaginer un monde différent de ce qu’il est, plus conforme au projet de Dieu, libéré des injustices et des fragmentations qu’on y voit et nous pouvons travailler à le construire. Quand le Pape nous incite à rêver, il nous incite à mettre en œuvre l’espérance qui est au cœur de notre foi chrétienne.

Donnez 3 mots que vous retenez de ce qui vient d’être dit

P. Grégoire Catta, s.j., directeur du Service national Famille et société, CEF

Perspectives catéchétiques (2021)

« Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises » (Ap 2,17a) Retour sur la session de formation organisée en visioconférence par le Service national de la catéchèse et du catéchuménat de la Conférence des évêques de France mercredi 20 et jeudi 21 janvier 2021.

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