Le bain ecclésial paroissial
Un peu de théologie, L’Oasis n°10 : Être paroissien.
La première exigence de la foi, c’est de se reconnaître frère et sœur dans la proximité.
Le Texte national pour l’orientation de la catéchèse parle d’un « bain ecclésial »1 . Celui-ci est un élément décisif de l’initiation chrétienne. L’expression est volontairement large car les formes peuvent en être variées.
Le bain permanent du baptême
Le bain ecclésial fondamental est celui du baptême. Il est une plongée dans les eaux de la mort d’où le nouveau disciple ressort ressuscité avec le Christ. La Tradition a toujours favorisé une célébration ecclésiale de cette plongée car telle est la « forme » de présence du mystère pascal. Quand Jésus dit « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20), l’Église naît comme Corps ressuscité du Christ « continué et répandu sur terre », pour reprendre l’expression de Bossuet.
Bien que l’Église insiste sur l’importance du baptême – sa nécessité pour le salut – et, donc, facilite sa célébration en toutes circonstances, l’aspect ecclésial n’est jamais occulté. Ainsi, depuis les origines, le ministre du baptême peut être un fidèle laïc voire une personne de bonne volonté voulant agir conformément à ce que fait l’Église ; cependant, le magistère n’a jamais étendu cette faculté pour qu’elle devienne ordinaire, malgré des périodes de disette pour les vocations sacerdotales ou des éloignements géographiques incompressibles. Il est trop important pour l’Église que ce soit le pasteur local – le curé – qui introduise à la vie de fils de Dieu et dans la communauté le nouveau venu à la foi. De même, il est possible de baptiser en cas d’urgence devant un seul témoin voire sans aucun ; l’Église demande alors une célébration « complémentaire » avec la communauté.
Il est vrai que, dans les temps récents, la célébration a revêtu très souvent un caractère apparemment plus familial qu’ecclésial. Il ne suffit sans doute pas de rappeler que la famille est ou peut être une Église domestique. La présence d’un parrain et d’une marraine, associée à celle du ministre, demeure alors comme l’organe témoin de l’ecclésialité du baptême.
Un temps favorable pour la paroisse
Des questions nouvelles se posent quant à la pertinence de « la paroisse ». Outre la raréfaction des prêtres, leur taille géographique ou démographique, selon que l’on est dans le rural ou en milieu urbain, interroge sur la réalité de la vie communautaire des « paroissiens ». Sont-ils frères et sœurs au-delà de l’appellation généreuse de la liturgie ? Les fréquents déplacements ou des migrations qui font franchir des abîmes culturels peuvent rendre difficile une intégration effective et stable dans une communauté.
Cette dernière réflexion, à l’aune de la foi chrétienne, peut être retournée et devenir positive. Une grande partie des candidats au baptême, jeunes ou adultes, le deviennent à la faveur ou, du moins, à l’occasion d’un déplacement. Leur aspiration spirituelle trouve alors un cadre plus dépouillé pour s’exprimer et la nouveauté de la vie selon l’Évangile un terrain plus vierge. Et ils sont accueillis avec joie par la communauté paroissiale dont la base est la plus simple – la proximité territoriale – et, peut-être, la plus proche du mystère de l’incarnation : Dieu s’est fait proche et appelle les hommes à s’approcher de lui (cf. Jc 4, 8).
Nos paroisses étaient ou sont encore suréquipées de structures pour l’accueil, la vie liturgique, ou l’enseignement de la foi, pour la charité dans les pays pauvres ou l’aide aux personnes en précarité. Il faut ajouter souvent la présence sur leur territoire d’école, d’équipes ou de groupes l’ayant comme soutien ou partenaire. Il faut alors dépenser beaucoup d’énergie pour les coordonner, parfois pour les maintenir. De plus en plus cela semble impossible.
La pauvreté des paroisses rend alors plus lisibles ou plus désirables des formes de vie communautaire plus simples où les traits de l’Évangile se perçoivent plus directement, où vie spirituelle et vie caritative se maillent naturellement. En se laissant faire par ce dépouillement, en écoutant les inspirations de l’Esprit Saint, les paroisses vivent un temps favorable en gardant ce qui en fait l’essentiel : la charité. Les initiatives ne manquent pas.
Des signes encourageants
De nombreux diocèses s’attachent à proposer cet essentiel sous forme de communautés ou fraternités locales. Des fidèles se savent peu nombreux dans leur village, dans leur rue ou leur immeuble. Mais ils savent surtout que Jésus les appelle à une vie à la fois commune avec les autres habitants et, à la fois, très différente. Et leur première exigence sur ce chemin est de se reconnaître frères et sœurs dans la proximité.
Ils ne se sont pas choisis. Ils sont là, à côté d’autres frères et sœurs de Jésus. Peuvent-ils continuer à s’ignorer, à ne pas s’accueillir comme de précieux « autres christs », s’encourageant mutuellement dans la charité et la prière ? Le fait de ne pas s’être choisi est fondamental pour accueillir la source de leur foi et de leur amour : Dieu qui ne fait acception de personne, Dieu qui ne fait pas de différence entre les hommes (cf. Ac 10, 34) les a choisis. Le moins serait de se réunir, en dehors de tout artifice, pour un temps hebdomadaire de quelques dizaines de minutes, le temps de se donner des nouvelles, de prier, de partager la charité reçue du Christ et qui oriente leur vie. Cela commence à émerger.
A la joie de partages simples s’ajoute celle de véritables parrains ou marraines offerts par la communauté. De nouveaux disciples accueillent spontanément des frères et sœurs aînés pour avancer avec plus de sûreté. On peut souhaiter que tout baptisé bénéficie d’un parrain ou d’une marraine de la communauté même s’il faut que, pour un temps encore, il cohabite avec un parrain choisi sur d’autres critères que son appartenance à la communauté concrète. Il ne s’agit pas d’ajouter une charge à des accompagnateurs. Au cours d’un chemin d’initiation chrétienne, la pluralité des ministères est importante : catéchète, soutien, parrain qui s’engage, ministre du sacrement, témoins, frères et sœurs. Cela structure justement le chemin de celui qui devient disciple-missionnaire.
En somme, nous sommes appelés à avancer dans une plus grande simplicité et vérité évangélique. La paroisse porte en elle cette simplicité, à condition d’accepter la primauté de la grâce et du choix de Dieu, à condition de plonger par avance dans le bain de la miséricorde où se demander pardon est connaturel à l’être chrétien, disciple de celui qui est venu pour sauver et guérir.
Simplicité et proximité sont les atouts de la vie sur un territoire. Il ne faut pas sous-estimer la formation mais, elle aussi, pourrait revêtir une allure plus simple et, surtout, plus globale, autre caractéristique de la paroisse. Nous voyons apparaître des « écoles de disciples-missionnaires » où sont joints apport intellectuel et expérience humaine et spirituelle.
En conclusion, comment ne pas rappeler l’appel lancé par le Pape François dès le début de son pontificat au sujet de la paroisse :
La paroisse n’est pas une structure caduque ; précisément parce qu’elle a une grande plasticité, elle peut prendre des formes très diverses qui demandent la docilité et la créativité missionnaire du pasteur et de la communauté. Même si, certainement, elle n’est pas l’unique institution évangélisatrice, si elle est capable de se réformer et de s’adapter constamment, elle continuera à être « l’Église elle-même qui vit au milieu des maisons de ses fils et de ses filles » (Christifideles laici, n. 26) Cela suppose que réellement elle soit en contact avec les familles et avec la vie du peuple et ne devienne pas une structure prolixe séparée des gens, ou un groupe d’élus qui se regardent eux-mêmes. La paroisse est présence ecclésiale sur le territoire, lieu de l’écoute de la Parole, de la croissance de la vie chrétienne, du dialogue, de l’annonce, de la charité généreuse, de l’adoration et de la célébration. À travers toutes ses activités, la paroisse encourage et forme ses membres pour qu’ils soient des agents de l’évangélisation. Elle est communauté de communautés, sanctuaire où les assoiffés viennent boire pour continuer à marcher, et centre d’un constant envoi missionnaire. Mais nous devons reconnaître que l’appel à la révision et au renouveau des paroisses n’a pas encore donné de fruits suffisants pour qu’elles soient encore plus proches des gens, qu’elles soient des lieux de communion vivante et de participation, et qu’elles s’orientent complètement vers la mission.2
« Communauté de communautés », « Lieu de communion vivante » : ce ne sont pas de simples allusions à l’Eucharistie. Cela relève de sa définition. Loin de l’obligation dominicale qui semble ensevelir la joie de se rassembler autour de notre Seigneur, pour l’écouter, pour s’associer à son offrande d’amour à son Père, pour goûter à l’enthousiasme communicatif de son Esprit, l’Eucharistie devient vraiment la source et le sommet de nos vies chrétiennes. Le bain ecclésial paroissial dans une simplicité retrouvée le prépare et s’en nourrit. Gageons que nous sommes entrés dans le processus de conversion qui y conduit. N’oublions pas qu’il inclut la croix pour ne pas rêver être au-dessus de notre maître. Elle est un guide sûr pour ne pas s’égarer en désirs surfaits.
Monseigneur Dominique Lebrun, Archevêque de Rouen
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1 – Cf. TNOC, p. 18 s.
2 – La joie de l’Évangile, 24 novembre 2013, n° 28.
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