La quatrième nuit : le retour du Roi messie

Coucher de soleil à l'horizon et tombée de la nuit.

Coucher de soleil à l’horizon et tombée de la nuit.

Cet article est extrait du guide Points de repère n°240 : Pâques, lumière au bout de la nuit.

Pour comprendre le mystère de Jésus, mort et ressuscité, les premiers chrétiens ont cherché, dans ce que nous appelons aujourd’hui « l’Ancien Testament » tout ce qui pouvait permettre de le resituer dans la dynamique de l’histoire du Salut. Mais il faut aussi savoir qu’au Ier siècle de notre ère, la liste « officielle » des livres qui composent la Bible n’était pas encore fixée. Il y avait toute une littérature juive qui n’a pas été retenue dans la Bible hébraïque, mais qui a profondément marqué les auteurs du Nouveau Testament. Grâce à cette littérature, nous pouvons mieux connaître la façon dont les textes anciens étaient interprétés. C’est le cas en particulier avec les Targums (ou Targumin) : le terme désigne la traduction en araméen des textes hébreux à l’époque où la grande majorité des juifs ne comprenaient plus l’hébreu. Or les traducteurs ne se sont pas contentés de traduire mais ils ont inséré dans le texte biblique des commentaires ou des traditions plus récentes pour aider à la compréhension ou à l’actualisation de ces textes.

Les rites de la Pâque

Le chapitre 12 du livre de l’Exode raconte la nuit de la sortie d’Égypte sous la conduite de Moïse et fixe le rituel qui, d’années en années, célébrera la Pâque du Seigneur. En Ex 12, 42, il est dit : « Ce fut là une nuit de veille pour le Seigneur quand il les fit sortir du pays d’Égypte. Cette nuit-là appartient au Seigneur, c’est une veille pour tous les fils d’Israël, d’âge en âge. »

Le poème des quatre Nuits

À la suite de ce verset, un Targum palestinien (appelé par les spécialistes Neophiti I) insère la tradition suivante1 :

C’est une nuit de veille et prédestinée pour la libération au nom du Seigneur au moment où il fit sortir les enfants d’Israël, libérés, du pays d’Égypte. Or quatre nuits sont inscrites dans le livre des Mémoires.

La première nuit, quand le Seigneur se manifesta sur le monde pour le créer. Le monde était confusion et chaos et la ténèbres était répandue sur la surface de l’abîme. Et la parole du Seigneur était la Lumière et brillait. Et il l’appela Première.

La deuxième nuit, quand le Seigneur apparut à Abraham âgé de cent ans et à Sarah, sa femme, âgée de quatre-vingt-dix ans, pour accomplir ce que dit l’Écriture : est-ce qu’Abraham, âgé de cent ans, va engendrer et Sarah, sa femme, âgée de quatre-vingt-dix ans, enfanter ? Et Isaac avait trente-sept ans lorsqu’il fut offert sur l’autel. Les cieux s’abaissèrent et descendirent et Isaac en vit les perfections et ses yeux s’obscurcirent à cause de leurs perfections. Et il l’appela Seconde.

La troisième nuit, quand le Seigneur apparut aux Égyptiens, au milieu de la nuit : sa main tuait les premiers-nés des Égyptiens et sa droite protégeait les premiers-nés d’Israël, pour que s’accomplit ce que dit l’Écriture : Mon fils premier-né, c’est Israël. Et il l’appela Troisième nuit.

La quatrième nuit, quand le monde arrivera à sa fin pour être dissous ; les jougs de fer seront brisés et les générations perverses seront anéanties et Moïse montera du milieu du désert « et le Roi messie viendra d’en-haut ». L’un marchera à la tête du troupeau sa Parole marchera entre les deux et moi et eux marcheront ensemble. C’est la nuit de la Pâque pour le nom du Seigneur, nuit réservée et fixée pour la libération de tout Israël, au long de leurs générations.

D’après cette tradition, quatre grandes nuits jalonnent l’histoire du Salut.

La première nuit est donc la création du monde (Gn 1).

La deuxième nuit correspond à la fois à la naissance d’Isaac (Gn 18,1-15), accomplissement de la promesse de Dieu mais aussi au sacrifice d’Isaac (Gn 2, 21- 19). Isaac a pris beaucoup d’importance dans les traditions contemporaines du Nouveau Testament, à tel point que, dans le Targum de Gn 22,10 (2) il joue le premier rôle en demandant à son père Abraham de l’attacher solidement pour que son sacrifice soit parfait (les chrétiens y ont vu la préfiguration du sacrifice de Jésus sur la Croix).

La troisième nuit est la grande nuit de la délivrance pascale (Ex 12).

La quatrième nuit est à venir ; ce sera celle de la fin des temps pour la libération définitive sous l’action conjuguée de Moïse et du Roi messie.

La Veillée pascale et la quatrième nuit

Pour les chrétiens, la mort et la résurrection de Jésus accomplissent la Pâque définitive. Le Christ, notre Pâque, a été immolé (1 Co 5, 7). La grande nuit pascale chante la délivrance, le salut, la liberté. Elle appelle à méditer à nouveau les grandes pages de l’histoire du Salut. Le poème des Quatre Nuits peut alors nous aider à relier ces grandes pages. La première lecture, la Création du monde (Gn 1, 1-2, 2) correspond à la première nuit. La deuxième lecture, le sacrifice d’Isaac (Gn 22, 1- 13.15-18) correspond à la deuxième nuit. La troisième lecture, le passage de la mer (Ex 14, 15-15, 1) rappelle la troisième nuit. L’épître de saint Paul aux Romains (Rm 6, 3-11) en affirmant le passage par la mort avec le Christ pour vivre avec lui nous donne à croire que nous sommes bien entrés dans la quatrième nuit : Nous tous, baptisés en Jésus Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés. Par le baptême, en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle. Car si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection… Si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet : ressuscité des morts, Christ ne meurt plus ; la mort sur lui n’a plus d’empire.

La Transfiguration et la quatrième nuit

Un autre texte évangélique évoque la quatrième nuit. Il s’agit du récit de la Transfiguration (Mt 17, 1-9). Jésus apparaît en gloire sur la montagne, le Sinaï des temps nouveaux, entouré de Moïse évoqué dans le Poème des quatre nuits et d’Élie lui aussi lié à la montagne de Dieu (1 R 19, 1-12) et déjà monté au ciel (2 R 2, 11), lui dont parle le Targum de Dt 30, 4(3) : « La parole du Seigneur, votre Dieu, vous rassemblera de là par l’intermédiaire d’Élie, le grand prêtre, et de là il vous fera venir par l’intermédiaire du Roi messie. »

Le Sinaï représentait la rencontre exceptionnelle entre Dieu et les hommes par l’intermédiaire de Moïse. Avec Jésus Christ le Seigneur, la relation entre Dieu et les hommes devient parfaite et ouvre à la communion éternelle en Dieu.

Père François Brossier, professeur honoraire de l’Institut catholique de Paris.

1. Traduction de Roger le Déaut, Targum du Pentateuque, Tome II, Sources chrétiennes n° 256, Cerf, Paris, 1979, p. 96. (2) Traduction de Roger le Déaut, Targum du Pentateuque, Tome I, Sources chrétiennes n° 245, Cerf, Paris, 1978, p. 218. (3) Idem, Tome 4, Sources chrétiennes n° 271, Cerf, Paris, 198

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