La Parole de Dieu : une bonne nouvelle, une source de joie
Comment la Parole de Dieu est-elle une bonne nouvelle, donc une joie ? Mgr Vincent Jordy est intervenu sur ce sujet lors de la session La Parole de Dieu en catéchèse et catéchuménat, « Le Seigneur a coloré sa parole de multiples beautés » (Aperuit illis n°2).
Je vais d’abord introduire cette thématique et ensuite vous proposer deux parties : la première, ce sera prendre la Parole et la joie pour ce qu’elles sont, pour que la Parole devienne source de joie et, dans un deuxième temps, nous verrons dans quelles situations, par quelles modalités la Parole devient source de joie. J’éclairerai trois modalités particulières par lesquelles la Parole devient source de joie.
La Parole de Dieu peut-elle être une bonne nouvelle, source de joie ? Il faut d’abord rappeler, et nous en avons tous fait l’expérience, qu’une parole peut être source de joie, de manière générale. Il nous est tous arrivé qu’une parole transmette un message, dans notre existence, qui devient source de joie, une bonne nouvelle. Par exemple, dans une famille, quand il y a la naissance d’un enfant, la parole qui est dite est une source de joie. Dans l’histoire, l’annonce de la libération de Paris est une source de joie. Une promotion, pour quelqu’un qui l’attend depuis longtemps et qui va lui permettre d’épanouir mieux ses talents dans son travail est une bonne nouvelle, source de joie.
D’une façon générale, une parole peut être source de joie mais nous parlons ici depuis hier de la Parole, d’une parole qui est d’une autre nature et qui engendre aussi une joie différente et particulière. Il s’agit d’aller sur un terrain qui est peut-être plus profond et plus décisif pour notre existence. Quand on s’interroge sur la manière dont la Parole peut être bonne nouvelle, il faut rappeler que le terme de bonne nouvelle en grec est au départ un terme militaire. C’est quelque chose de fort, qui transforme l’histoire, une vraie victoire sur le mal, sur la mort. C’est une source de joie fondamentale. Cela signifie, pour notre thématique, qu’il va falloir partir d’une Parole particulièrement forte, qui appartient à ce que nous appelons, nous chrétiens, la Révélation. Dieu a levé le voile sur lui-même, sur son dessein d’amour et, en se révélant, il nous révèle à nous-mêmes. Le processus de la Révélation est un processus double : quand Dieu se révèle, quand il lève le voile, il le fait sur lui-même et, en même temps, sur nous. Nous allons partir de cette Parole, de cette Révélation pour conduire à une joie en profondeur. Il faudra bien prendre cette Parole et cette joie pour ce qu’elles sont.
Mgr Fisichella hier nous citait l’apôtre Paul. Il le citait dans la première lettre aux Thessaloniciens, au chapitre 2 verset 13. Cette lettre est un texte très important puisqu’il s’agit très certainement du plus ancien écrit chrétien. Il date à peu près de 47, 48, 49, à peine plus de 10 ans après les évènements autour de la mort et la Résurrection de Jésus. Il y a encore des témoins que l’on peut entendre. Et que dit l’apôtre Paul ? Et voici pourquoi nous ne cessons de rendre grâce à Dieu : quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants.
La parole humaine déjà peut provoquer la joie, a fortiori, la Parole de Dieu, quand on la reconnait comme telle. Vous avez aussi entendu Mgr Fisichella nous dire que cette Parole, si elle est vraiment Parole de Dieu et si nous la prenons pour ce qu’elle est, nous avons à l’accueillir d’une manière particulière. Le texte lui-même trouve son sens, son inspiration en Dieu. Et c’est de manière particulière que nous sommes appelés à l’accueillir.
Mgr Fisichella nous rappelait que nous sommes du pays de Descartes. Vous savez bien que le cartésianisme se fonde sur le doute, le doute méthodique. La Parole de Dieu demande la confiance. Elle demande à être accueillie non pas seulement par la raison. Je reprends à nouveau Mgr Fisichella qui nous invite à l’accueillir avec un autre auteur français, Blaise Pascal, qui est un très grand intellectuel, un grand mathématicien mais qui est d’abord un mystique. Il a vécu sa nuit de feu en 1654 où il parle non pas du dieu des philosophes mais du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Vous avez étudié ce fameux Mémorial au lycée, en philosophie puis ensuite en théologie. Vous vous souvenez, Mgr Fisichella nous disait que le cœur a ses raisons que la raison n’entend pas, c’est-à-dire que c’est toute la personne qui est appelée à accueillir cette Parole. Vous verrez que ma deuxième partie abordera directement cette question, puisque nous avons connu, à un moment donné de la vie de l’Église, l’atrophie du rapport à la Parole.
Cette Parole, que nous prenons pour ce qu’elle est, nous avons à l’accueillir d’une manière particulière en raison de ce qu’elle est. J’ai été assez touché, pour ma part, du dernier livre posthume de Michel Serres, grand académicien, Relire le relié, qui est sorti il y a un an et demi, deux ou trois mois après sa mort. A la fin du livre, il explique sa question d’homme cherchant à croire. Il se souvient de sa foi d’enfance, il rappelle tout son parcours intellectuel brillant et il termine par une prière. Il dit : O Seigneur, qui me voit Te chercher (on dirait du Saint Augustin), ne tarde pas à ouvrir la porte que ma raison ferme. Il a pleinement conscience que sa raison ferme quelque chose de l’accès à la Parole qui pourrait lui procurer de la joie. C’est pourquoi il demande à Dieu d’ouvrir la porte que lui-même ferme. C’est tout le combat de la grâce et de la nature, tout le combat de la liberté humaine.
Prenons la Parole pour ce qu’elle est, c’est à dire une Parole qui va nous permettre de rencontrer quelqu’un. Je rappelle encore la phrase du pape François : La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus (Evangelii gaudium 1). Si la Bonne nouvelle peut devenir source de joie dans nos vies, c’est parce qu’elle est le média par lequel nous allons rencontrer quelqu’un. Nous ne vénérons pas la Parole, nous ne sommes pas des idolâtres. Nous ne sommes pas une religion du livre. Le livre n’est qu’un média qui nous donne accès à quelqu’un. C’est cela la clef. Quand nous vénérons l’évangéliaire dans la liturgie, nous acclamons la Parole de Dieu. Nous nous tromperions en pensant que nous sommes des adorateurs de la calligraphie, des typolâtres. Vous voyez parfois des célébrants qui tournent le livre pour bien montrer le texte. Or, quand nous acclamons la Parole de Dieu, à la fin de l’évangile en levant l’évangéliaire, c’est la personne de Jésus que nous acclamons. Ce n’est pas le texte, le texte n’est qu’un média. En latin, c’est beaucoup mieux, on dit Verbum Domini, le Verbe de Dieu. C’est le Verbe que nous acclamons.
La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus (Evangelii gaudium 1). Pourquoi le Pape nous dit-il cela ? Parce qu’il cite en Evangelii gaudium n° 7 le pape Benoît XVI qui lui-même disait en 2005 dans Deus caritas est : A l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée (la vie chrétienne n’est pas une affaire de morale), mais la rencontre avec un évènement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive.
Si la Parole peut être bonne nouvelle et procurer la joie, c’est qu’elle va nous permettre de rencontrer quelqu’un. C’est la raison pour laquelle le pape François nous dit, dans Evangelii gaudium toujours, au n° 3 : J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Or comment chercher Jésus sans cesse sinon d’abord en apprenant à le connaitre dans sa Parole ?
Prendre la Parole et la joie pour ce qu’elles sont
Cette première partie sera plus longue que la suivante. Il y aura deux temps dans cette première partie. Je serai assez long sur la question de la joie.
La joie
La joie, d’abord, gaudium.
Saint Augustin a écrit dans les Confessions : La vie heureuse est la joie de la vérité. La joie est ce qui constitue une vie heureuse et ce qui constitue une vie heureuse vient de la vérité. Pas seulement la vérité théorique, l’adéquation d’un concept et du réel comme auraient dit les philosophes mais plutôt ce qu’Hans-Urs von Balthazar appelle la vérité symphonique, c’est-à-dire la cohérence.
La vie heureuse est la joie de la vérité. Et Augustin poursuit : … à ceux qui te servent gracieusement ; leur joie, c’est toi-même. La vie heureuse, la voilà : éprouver de la joie qui vient de Dieu lui-même. C’est-à-dire que la joie est ce qui va nous accomplir du point de vue de la vie chrétienne mais pas indépendamment d’une vie vraiment humaine.
Le philosophe Henri Bergson lui-même, qui était juif, et qui juste avant la guerre a failli se convertir au catholicisme, dit : … la nature …nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. De nouveau, il est question d’un accomplissement, un accomplissement pleinement humain qui est aussi pour nous chrétiens un accomplissement pleinement en Dieu mais qui assume notre humanité.
Bergson continue : Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie. On peut discuter cette opposition que Bergson fait entre joie et plaisir mais elle dit quelque chose d’important. C’est important dans votre vie spirituelle, votre vie de catéchiste (car vous avez bien compris que la vie de catéchiste est d’abord une vie spirituelle, comme le dit le nouveau Directoire pour la Catéchèse au n°4), de distinguer trois choses au moins – on pourrait même en trouver d’autres – : distinguer ce que l’on pourrait appeler la gaité, être gai, qui est un aspect du tempérament mais qui peut être parfois un peu excessive, qui est souvent transitoire, passagère ; elle est de l’ordre de l’émotion, de l’affectivité. Il faut distinguer aussi le plaisir, dont parlait Bergson, qui est une réalité qui nait de l’extérieur de nous par le biais des cinq sens. Freud a bien montré que le principe de plaisir conduisait notre vie pour la conservation de celle-ci. Mais le plaisir ne dure pas, avec le risque d’augmenter la dose de plaisir pour le retrouver. C’est ce qui se passe dans les addictions. Le plaisir est dans la sensibilité. Il vient de l’extérieur. La joie, par contre, vient de l’intérieur, elle nait en nous, au plus intime de nous-même. Elle est plus profonde, elle est plus durable. C’est un sentiment primordial puisque quelque chose de fondamental s’active en nous dans la joie. C’est Schiller qui disait que la joie, c’est l’explosion de l’espérance.
Pour ma part, j’aime surtout beaucoup un éclairage que donnait le cardinal Marty. Vous remarquez d’ailleurs que, dans l’Évangile, le mot plaisir est quasiment absent. Mais, au contraire, le mot chara que l’on traduit par joie s’y trouve plusieurs dizaines de fois. Il est difficile de cerner ce que veut dire exactement ce terme dans l’Évangile mais ce qu’observe le cardinal, c’est que la joie est ce qui rend tout facile. C’est une observation qu’on peut faire dans sa propre existence, quand on est joyeux, rien ne nous perturbe, les choses sont faciles. Ce qui veut dire que la joie n’est pas simplement un sentiment passager, elle met en jeu le bonheur profond d’une vie.
Parce qu’elle touche très exactement, et c’est ce que dit EG n°7, à quelque chose qui est de l’ordre du sens de la vie, sachant que, pour nous chrétiens, dans la vie spirituelle, la joie est tout à la fois un don et un précepte. La joie est d’abord un don, c’est le fruit de l’Esprit, un fruit qui d’ailleurs ne peut pas être recherché pour lui-même. La joie a quelque chose d’inattendu, elle est une conséquence gratuite qui surpasse l’attente. La joie a un aspect mystique, c’est-à-dire une surprise, quelque chose de non recherché ; on est surpris par la joie qui nous envahit. Saint Ignace, la tradition ignatienne, l’appelleraient la consolation.
La joie est donc un fruit de l’Esprit, elle est un don qui nous surprend mais, en même temps, elle est un précepte. Dans la première aux Thessaloniciens au chapitre 5 verset 16, Paul dit : Soyez toujours dans la joie … Ce qui veut dire que vivre la joie, l’accueillir s’apprend aussi dans la vie spirituelle. La joie n’est ni innée ni instinctive mais on peut travailler spirituellement sa sensibilité à la joie. On peut travailler la capacité à la percevoir, la capacité à s’émerveiller de petites choses. Accueillir la joie par la Parole suppose aussi d’avoir fait tout un travail sur sa vie spirituelle, sur sa capacité à accueillir la joie de manière générale pour être aussi plus sensible à la joie que la Parole peut nous donner.
Parce que la vraie racine de la joie est en Dieu, en Dieu lui-même. Nous le voyons dans l’Évangile où le Père trouve sa joie dans son Fils, au moment du baptême du Christ. Cela signifie profondément que la joie nait tout particulièrement de la rencontre. Elle dépend de la qualité de la relation. Notre joie nous fait prendre conscience que nous sommes enfants du Père. Cela veut dire que nous avons aussi à travailler spirituellement notre rapport à Dieu.
Non seulement nous avons à travailler nos seuils de sensibilité dans la vie pour être capables d’accueillir la joie mais nous avons à travailler notre relation à Dieu pour que la joie soit possible en nous. Et il y a un texte très pertinent sur ce sujet, dans Matthieu 6, qu’on lit chaque année le mercredi des cendres. Jésus nous parle de l’aumône, de la prière et du jeûne – vous connaissez ce texte qui est structuré sur ces trois attitudes profondes de la spiritualité juive – et Jésus nous dit de les pratiquer dans le secret. Le secret est une des conditions de la joie, une des conditions de la qualité relationnelle. Nous avons à vivre avec le Père, qui est source de la joie, dans le secret, de manière à ce que sa joie passe.
La joie ne peut passer en nous par son Fils, par la Parole que si nous sommes dans le secret, c’est-à-dire quand nous faisons des choses uniquement en vue du Père, dans la gratuité. Ceux qui ont déjà leur récompense, ce sont ceux qui ont vécu l’aumône, la prière et le jeûne pour la galerie. Plus nous faisons les choses uniquement pour Dieu, plus nous les faisons uniquement en vue de Lui, plus nous nous rendons capables d’accueillir sa joie.
La Parole
Cela passe alors par la Parole de Dieu et cela suppose, c’est le deuxième point de ma première partie, que la Parole permette la rencontre. Or, c’est important de souligner cela, car ça n’a pas toujours été facile, et particulièrement dans les trente ou quarante dernières années. En 1975, Mgr Weber, qui était archevêque de Strasbourg émérite, faisait deux petites notes pour la Conférence des évêques de France (CEF), des notes théologiques et exégétiques sur un auteur, un exégète allemand qui allait être publié en 1975 en France alors qu’il avait écrit en 1935, quarante ans avant, en Allemagne. Cet auteur s’appelle Rudolf Bultmann. Mgr Weber alertait la CEF sur les effets que la pensée de Bultmann aurait sur le rapport à l’Écriture et la possibilité d’accueillir et de lire la Parole. C’est intéressant de lire cela quarante-cinq après.
Pour faire court, Bultmann est un protestant de tradition un peu positiviste. La période à laquelle il écrit est une période de fascination pour la raison, c’est l’époque des grandes idéologies, basées sur la raison, le marxisme et le nazisme. C’est un grand érudit, un homme qui a travaillé dans les meilleures universités allemandes, c’est un kantien. Or la philosophie kantienne est une philosophie qui nous dit qu’en face du réel, nous sommes certains que nous ne saurons jamais vraiment ce qu’il est dans son intimité. Kant nous dit que le nouménal, c’est à dire la réalité profonde des choses, est inatteignable par nos capacités de perception et nos capacités intellectuelles. Ce que nous atteignons, nous l’atteignons fait par des catégories mentales, un aspect du réel que nous recomposons.
Ce qui est très important, c’est que Bultmann va reprendre de Kant ces catégories et va les utiliser en théologie. Il va donc distinguer dans l’Évangile, la personne Jésus, le personnage historique, c’est-à-dire le réel et le Christ de l’Église. La personne de Jésus, nous ne saurons jamais rien sur elle, elle est inatteignable. Par contre, ce que nous savons de lui, c’est ce que nous dit l’Église à travers les catégories de la théologie. Et ce qu’elle nous dit de lui, c’est qu’il est reconnu comme Christ. On raisonne analogiquement. Jésus dans l’histoire est inatteignable mais nous atteignons le Christ par les catégories théologiques. C’est la raison pour laquelle beaucoup de prêtres formés dans les années 70 marquaient un temps d’arrêt entre Jésus et Christ pour bien signifier qu’il y avait un hiatus entre les deux.
Cela va avoir des effets extrêmement puissants sur la manière de lire la Parole de Dieu à partir des années 70/80. On va dire finalement qu’on ne sait rien sur le Jésus humain et donc on interprète de manière existentielle le message lui-même. Que Jésus soit né à tel endroit, cela n’a aucune importance mais on cherche ce que cela veut dire. On va couper ce que l’on dit de la foi de ses sources historiques. On détache Jésus de ce que l’on dit de lui. Et cela va avoir des conséquences dramatiques sur la confiance dans la Parole de Dieu. On va penser à partir de ces années-là qu’il faut avoir fait cinq années d’études pour ouvrir l’Évangile. On arrivait à parler à partir d’évènements dont on ne savait pas s’ils avaient réellement existé.
Cela ne veut pas dire que ce que Bultmann a apporté est inintéressant. Il a obligé à se poser des questions fondamentales sur l’histoire. Il a apporté aussi une lecture existentielle de la Parole qui était nécessaire. Par contre, il y a eu un véritable drame dans l’enseignement autour de la Parole et de la confiance dans la Parole de Dieu. Même si, dès les années 50, des disciples de Bultmann, dont un certain Jeremias, vont dire qu’entre le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi, l’Esprit saint crée un pont.
En France, quand la pensée de Bultmann arrive dans les années 75 à 80, elle l’emporte dans un premier temps parce qu’elle parait une solution pour dépasser les difficultés de l’histoire de Jésus. Puis on est revenu à des choses beaucoup plus équilibrées. Le moment qui va permettre cette bascule est en particulier un colloque organisé à Rome en 1991, voulu par un certain Joseph Ratzinger, qui va montrer les contradictions internes à la pensée de Bultmann. Cette pensée est fondée sur une philosophie qui est erronée ou en tout cas qui n’est pas utilisable de manière analogique dans le domaine de l’exégèse.
Tout cela montre que, pour que la Parole soit vraiment source de joie, il faut qu’elle puisse nous mettre en lien avec la personne de Jésus et que nous ayons une certaine confiance dans cette Parole, que nous la recevions pour ce qu’elle est et non pas comme un matériau qu’on pourrait triturer indéfiniment, scientifiquement, en s’abstrayant du fait qu’elle est d’abord un don de Dieu. Il a fallu, à partir des années 1990-2000, notamment retravailler et revenir, en particulier en exégèse avec la narrativité, à ce que l’on appelle aussi la lecture canonique des Écritures. Il faut prendre l’Évangile tel qu’il est accueilli dans l’Église, avec différents types de lectures et avec une parole magistérielle qui nous aide à l’accueillir. C’est d’ailleurs à l’occasion de cette problématique autour de Bultmann et de l’exégèse que le pape Benoît XVI a publié son ouvrage en deux volumes sur Jésus de Nazareth.
Je m’excuse de cet excursus mais je pense que c’est très important de comprendre ce qu’il faut dépasser pour accueillir la Parole, pour que les personnes puissent être dans un rapport de confiance avec la foi.
Comment la Parole peut-elle devenir source de joie ?
Deuxième point, plus rapide mais qui sera comme une ouverture pour la suite. En ayant éclairé ce qu’est la joie, en ayant éclairé le rapport à la Parole que nous sommes appelés à avoir, la confiance que nous sommes appelés à avoir vis-à-vis d’elle, voyons comment la Parole peut alors devenir source de joie.
Tout d’abord, il faut prendre la Parole pour ce qu’elle est, c’est-à-dire, comme le disait la première lettre aux Thessaloniciens, tout en accueillant tout le travail exégétique, archéologique qui est fait, accueillir la Parole en nous disant que Dieu nous parle vraiment, dans la liturgie, dans la catéchèse, dans la lectio divina et en particulier dans le cœur de la foi qu’on appelle le kérygme. Le pape François nous le rappelle très souvent. Dans le motu proprio sur le dimanche de la foi, il montre bien l’importance de cette Parole qui nous demande, dans sa lecture, une attitude théologale. Il y a un moment pour la lecture scientifique mais il y a un moment pour une lecture canonique, pour nourrir notre vie spirituelle et rencontrer Dieu. Ces deux lectures sont à articuler intelligemment. Cela veut dire que cela demande l’aide de la communauté et surtout, c’est un élément essentiel, cela demande l’aide majeure, fondamentale, vitale de l’Esprit saint, parce que c’est lui qui fait le lien entre le texte inspiré, entre la communauté qui vit de l’Esprit et la lecture que nous allons faire.
L’Esprit saint nous permet d’interpréter la Parole. C’est la raison pour laquelle, lorsque nous lisons la Parole, il est toujours bon, avant de la lire, de faire une épiclèse c’est-à-dire de prier l’Esprit saint. Cela demande une certaine qualité de vie spirituelle. Cela est vrai à toutes les époques. Déjà, dans les apophtegmes des Pères du désert, nous trouvons la réponse d’un vieux moine à un jeune moine qui l’interroge sur les difficultés de la vie spirituelle : le plus dur dans la vie spirituelle est de persévérer dans la lecture de la Parole, dit-il en se mettant à pleurer. La Parole est source de joie mais elle peut aussi être une expérience d’aridité, de purification.
La Parole peut devenir source de joie de trois manières.
La Parole est d’abord source de joie dans ce que l’on appelle la fides qua, dans le sens où la Parole va nous mettre en relation vivante avec Jésus. La Parole permet l’accès à la personne de Jésus. Connaitre Jésus, rencontrer Jésus suppose la Parole : découvrir le visage de Jésus pour l’aimer, dans la lectio divina, dans la prière, dans la liturgie. La Parole est source de joie parce qu’elle met en relation vivante avec Jésus.
La Parole agit par elle-même, elle est efficace. Pensez à saint François qui rentre dans une église d’Assise, qui va écouter la parabole du jeune homme riche et qui ce jour-là est touché par cette Parole au plus intime de lui-même et commence son chemin de conversion. Pourquoi ? Parce qu’il y a une rencontre vivante de Jésus.
La Parole est aussi source de joie car elle nous conduit à découvrir ce que l’on appelle la fides quae, c’est-à-dire le contenu de la foi. Ce Jésus que nous rencontrons est le Jésus qui en même temps nous enseigne. Une joie va naitre car ce Jésus va éclairer notre intelligence, il va nous transmettre un contenu et ce contenu donne un sens à notre vie, il illumine notre vie. Ce contenu éclaire les questions existentielles fondamentales qui sont les nôtres. La Parole provoque en moi de la joie car quelque chose en moi s’accomplit.
La Parole est encore source de joie car nous devenons collaborateurs de la joie, comme le dit l’apôtre Paul, dans la deuxième lettre aux Corinthiens, chapitre 1 verset 24. Il ne s’agit pas simplement de recevoir la Parole pour connaitre Jésus et nourrir notre existence, mais cette Parole nous est donnée pour que nous la donnions à d’autres. C’est toute la question de l’évangélisation. Il y a non seulement la joie de la rencontre de Jésus, non seulement la joie d’être éclairé par sa Parole mais également la joie que nous avons à annoncer nous-mêmes la Parole. Nous la portons à d’autres. Quand vous rencontrez un groupe de jeunes, comme j’en rencontre tous les dimanches, il y a une vraie joie à leur partager la Parole. Plus nous mettons les autres en relation avec Jésus, plus notre propre relation avec Jésus s’intensifie.
Et tout cela va être possible, et c’est ma conclusion, grâce à l’Esprit saint qui fait le lien entre Jésus, la Parole inspirée, moi et les autres. C’est lui qui est au plus intime de la Trinité, qui fait le lien entre le Père et le Fils. C’est lui qui inspire les auteurs sacrés. C’est lui qui inspire la communauté qui porte la Parole. C’est lui qui prépare nos cœurs pour adhérer et croire.
Nous avons besoin d’une Pentecôte continue pour lire la Parole et pour qu’elle soit source de joie. Notre drame occidental, vous le savez bien, c’est que nous n’avons quasiment pas de pneumatologie*, contrairement à nos frères orientaux,. Or, c’est dans l’Esprit, par l’Esprit que la Parole peut devenir source de joie.
Benoît XVI nous dit cela dans Verbum Domini au n°123 : Plus nous saurons être disponibles à la Parole divine, plus nous pourrons constater que le Mystère de la Pentecôte est « en action » aujourd’hui aussi dans l’Église de Dieu. […] Nous revenons ainsi à la première Lettre de saint Jean. À travers la Parole de Dieu, nous aussi, nous avons entendu, vu et touché le Verbe de vie. C’est toute la dimension de la fides qua, nous rencontrons Jésus. Il poursuit : Nous avons écouté par grâce l’annonce que la vie éternelle s’est manifestée… Cela s’est le contenu de la foi, la fides quae. Puis le Pape poursuit encore : L’Assemblée synodale nous a permis d’expérimenter ce qui est contenu dans le message johannique: l’annonce de la Parole crée la communion et apporte la joie. Il s’agit d’une joie profonde qui jaillit du cœur même de la vie trinitaire et qui se communique à nous dans le Fils. Il s’agit de la joie, comme don ineffable, que le monde ne peut donner. Et là le Pape nous dit que la Parole procure la joie par la mission.
Enfin, je laisse le dernier mot au numéro 4 du Directoire pour la Catéchèse : Le processus d’évangélisation, et donc de catéchèse, est tout d’abord une action spirituelle. D’où l’exigence que les catéchistes soient de vrais « évangélisateurs avec esprit » et de fidèles collaborateurs des pasteurs.
Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours, président de la Commission épiscopale pour la catéchèse et le catéchuménat
—
* La pneumatologie désigne la partie de la théologie qui s’intéresse à l’Esprit-Saint (pneuma en grec). Cf. Lexique du site Liturgie & Sacrements