Conformément aux Écritures, une unique Alliance en deux Testaments
Que dit la Bible ? L’Oasis n°23 : Jésus, un juif ?
« Toute l’Écriture divine constitue un livre unique et ce livre unique, c’est le Christ, il parle du Christ et trouve dans le Christ son accomplissement » (Verbum Domini 39 citant Hugues de Saint-Victor).
« L’Église, de par la foi apostolique, tient pour sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint, ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même » (Dei Verbum 11).
Toute l’Écriture est Parole de Dieu
« La Sainte Écriture est la source de l’évangélisation »1 , elle est « l’âme » de la théologie et la médiation de la catéchèse. Et pourtant, depuis quelques années l’Écriture connaît un certain déficit en catéchèse. Si la présence des évangiles paraît encore légitime, l’Ancien Testament est bien souvent le grand absent. Le contact direct avec les récits de l’Ancien Testament sera remplacé par des résumés, des commentaires, une histoire sainte au motif que ces textes sont trop difficiles pour les catéchistes et accompagnateurs comme pour les catéchisés et catéchumènes. Face à cette difficulté, la tentation est forte de ne garder que le Nouveau Testament qui paraît plus accessible et nous suffirait pour connaître celui qui est au cœur de la foi chrétienne, Jésus Christ.
Tentation à laquelle certains ont cédé très tôt dans l’histoire du christianisme comme Marcion au IIe siècle qui, non seulement ne gardait rien de la Bible hébraïque, mais retranchait des écrits du Nouveau Testament tout élément venant du judaïsme. Plus encore, il mettait en opposition le Dieu de l’Ancien Testament, vu comme cruel et vengeur avec celui du Nouveau, un Dieu d’amour. Un tel dualisme et une telle opposition, toujours écartés par l’Église, ont la vie dure et resurgissent sous les pires formes au long de siècles, faisant le lit de l’antijudaïsme puis de l‘antisémitisme.2
L’Ancien Testament a été scruté aux premiers siècles du christianisme par les Pères de l’Église pour y déceler la présence et l’action du Dieu trinitaire dans toute l’histoire du salut. Dans une lecture allégorique, ils regardent Noé, Isaac, Joseph l’Égyptien, Moïse, David, Jonas, Daniel et bien d’autres comme des préfigurations du Christ sauveur ; par leurs actions, leur mission, leur caractère, les événements qu’ils traversent, leur relation à Dieu, ces préfigurations du Christ livrent un aspect incomplet, imparfait de la personne de Jésus mais préparent les hommes à sa venue en creusant un sillon et en semant un germe dans les esprits et les cœurs. En considérant l’Ancien Testament uniquement comme une préparation à la venue du Sauveur sans accorder à ces récits une valeur propre pour leurs contemporains, la lecture typologique produit une rupture entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. Dans une telle approche, le peuple juif qui n’a pas reconnu Jésus comme le Messie serait révoqué par Dieu qui lui aurait retiré sa promesse. Le nouveau peuple de Dieu serait l’Église : c’est la théologie de la substitution qui a entraîné le rejet des juifs et du judaïsme, les vouant à un statut de réprouvés à travers les siècles. Cette vision de la destinée d’Israël aura sa part de responsabilité dans le génocide des juifs au XXe siècle. La théologie de la substitution connaît des résurgences dans notre catéchèse quand le projet de Dieu est exposé partant de la Création et du péché originel pour arriver directement au salut en Jésus Christ, omettant totalement l’Alliance avec Israël.
Vingt ans après la tragédie de la Shoah, le Concile Vatican II marque un tournant radical dans la théologie de l’Église catholique vis-à-vis du judaïsme avec des conséquences majeures sur les relations entre l’Ancien et le Nouveau Testament et l’interprétation des Écritures.
Jésus Christ, clé d’interprétation de toute l’Écriture
Les textes du Concile3 et ceux qui en découlent4 rappellent l’unique dessein de Dieu qui est d’être en communion avec l’humanité entière. Pour la réalisation de son projet de salut, il déploie une pédagogie progressive par l’élection d’un peuple, Israël, avec qui il fait Alliance. La vocation d’Israël est d’être « la lumière des nations » en vue du salut universel. Dieu reste fidèle à sa promesse qui s’accomplit en Jésus Christ, Verbe du Père qui s’incarne au sein du peuple juif. Jésus Christ, par sa personne et les événements de sa mort et de sa résurrection, révèle totalement l’amour divin. Il est la clé d’interprétation de toute l’Écriture dont le sens plénier est dévoilé dans la totalité de l’histoire du salut.5
Il en découle un principe d’unité des deux Testaments car « l’Ancien testament est la Parole de Dieu6 » et « le Nouveau testament est caché dans l’Ancien et l’Ancien est dévoilé dans le Nouveau. » Selon cette formule de saint Augustin, loin d’entrer en opposition la promesse et l’accomplissement s’éclairent mutuellement. La liturgie a intégré cet éclairage mutuel dans le dialogue instauré entre la première lecture et l’Évangile proclamés dans la célébration eucharistique.
Il n’y a qu’une seule Alliance, la Nouvelle ne se substituant pas à l’Ancienne qui n’a jamais été révoquée mais qui trouve son accomplissement en Jésus Christ (cf. Rm 11, 28-29). Le Nouveau Testament mentionne de manière constante cette notion de réalisation des Écritures dans l’expression « conformément aux Écritures ». C’est par Jésus Christ, qui est juif, que l’Église entre dans l’Alliance d’Israël. C’est par ses racines juives que l’Église est ancrée dans l’histoire du salut. Elle est une branche d’olivier sauvage qui a été greffée sur l’olivier cultivé qu’est le judaïsme (cf. Rm 11, 24). Les neuf lectures entrecoupées de psaumes proclamées lors de la Vigile pascale illustrent la continuité et l’accomplissement des Écritures en Jésus Christ. La catéchèse s’en saisira en n’omettant pas les oraisons qui présentent le mystère pascal comme clé de lecture de l’histoire du salut.
Jésus était juif. La catéchèse prendra en considération le fait qu’il s’inscrit dans l’histoire d’Israël à qui Dieu a parlé en premier. Entre Ancien et Nouveau Testament, il y a une continuité et une nouveauté en Jésus Christ lui-même. C’est sa personne, Dieu fait homme, inscrit, qui est nouvelle. Sa prédication est en accord avec la Torah dont il rappelle l’esprit et qu’il accomplit dans son mystère pascal. Jésus est ainsi la parfaite interprétation de toute la Loi concentrée dans le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain. Il y aurait une infidélité à Dieu à ne pas écouter la Parole qu’il adresse à Israël et les actes de salut rapportés dans l’Ancien Testament.
Sans recevoir l’Ancien Testament, comment comprendre les évangiles que Jésus explique lui-même par l’histoire d’Israël aux disciples d’Emmaüs ? « Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait » (Lc 24, 27). Les figures de l’Ancien Testament attribuées au Christ comme celle du Bon Pasteur, du nouveau Moïse, du Messie d’Israël, du serviteur souffrant … prennent toute leur épaisseur dans la lecture unifiée de l’unique Bible chrétienne comprenant les deux Testaments.
L’Esprit Saint inspire toutes les Écritures
Le récit d’Emmaüs montre que l’Écriture Sainte est la nourriture des chrétiens qui partagent la Parole de Dieu comme ils partagent le pain, non pas seuls mais en Église. Nous recevons, non seulement le texte biblique de ceux qui ont gardé sa mémoire et nous l’ont transmise mais aussi de façon indissociable, la tradition qui siècle après siècle l’interprète et accède à une compréhension croissante de la volonté de Dieu. La tradition de l’Église est présente dans les Bibles annotées où le récit biblique est tissé avec les commentaires de l’Église. Les renvois et les notes soulignent l’intertextualité des deux Testaments dont les échos sont signe de leur unité. Pour compléter la lecture chrétienne, « la compréhension juive de la Bible peut aider les chrétiens dans l’intelligence et l’étude des Écritures » sans qu’ils coïncident parfaitement, « l’Ancien Testament conservant sa valeur propre de Révélation » (cf. Verbum Domini 41)
La lecture de l’Ancien Testament s’attachera sensiblement aux mêmes principes que celle du Nouveau7. Si le texte lui paraît résistant, le lecteur s’y attèlera tel un mineur de fond équipé des outils de la tradition et de l’exégèse, avec pour plan la Révélation divine en vue du salut de tous, éclairé par la lumière de la Résurrection de Jésus Christ et alimenté par le souffle vital de l’Esprit Saint. » La Sainte Écriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger. » (Dei Verbum 12)
La lecture de l’Ancien Testament peut constituer une épreuve pour notre foi, pour notre raison confrontée à des incohérences ou notre culture peu familière des récits antiques. De telles difficultés sont souvent le signe que justement c’est là qu’il faut creuser le texte, batailler avec lui et nous-mêmes, laisser tout cela infuser et s’en remettre à l’Esprit Saint. C’est lui qui ouvre notre intelligence et nos cœurs pour que l’Écriture devienne Parole vivante de Dieu dans nos vies et qu’« Aujourd’hui s’accomplisse ce passage de l’Écriture que nous venons d’entendre » (cf. Lc 4, 21).
Le lecteur-mineur de fond avancera par étapes, une strate après l’autre, en commençant par une lecture littérale du texte brut – mais jamais vraiment puisqu’il a déjà « subi » l’interprétation que constitue la traduction. Il sera alors fructueux de consulter plusieurs traductions.
Les outils de l’exégèse historico-critique sont précieux pour ne pas risquer d’avoir une lecture fondamentaliste qui se limite à sa propre compréhension dans une illusoire fidélité au texte. Bien souvent l’on fait dire au texte ce que l’on voudrait qu’il dise, il est instrumentalisé et finalement trahi. L’apport de la recherche exégétique a permis de rejeter des lectures antijuives qui perduraient depuis les premiers siècles. Lire ce qui est écrit ne suffit donc pas. On tiendra compte du contexte historique et culturel de la rédaction des livres, de leur auteur et de son intention, du genre littéraire, des anthropomorphismes à détecter, des symboles, des langues anciennes, de l’apport de l’archéologie. Ces outils figurent dans des ouvrages ou dans les Bibles qui contiennent des introductions à chaque livre, des notices sur les auteurs, des frises chronologiques, des cartes, des lexiques, des renvois au service de l’intertextualité, d’autant plus riches que la Bible est volumineuse.
Aujourd’hui l’approche historico-critique s’articule avec la lecture narrative qui s’attache à regarder ce que raconte un texte. Cette approche plus littéraire en livre la structure et la dynamique. Le lecteur est invité à situer le passage dans l’ensemble de la Bible, du livre, du chapitre : que s’est-il passé avant et après ? Quelle est la situation de départ, le nœud, les péripéties, la résolution et la situation finale ? Identifie-t-on une construction inclusive du texte ? Que traduisent les répétitions, le champ lexical, les apax ?
Enfin, une lecture spirituelle permettra de recevoir le sens plénier des Écritures. Une lecture éclairée par l’Esprit Saint qui fait fructifier les étapes précédentes et oriente notre vie vers le Christ ressuscité. À l’écoute du « fin silence de Dieu », notre mineur découvre dans les profondeurs du texte biblique la présence du Seigneur. L’Écriture se fait lieu de discernement où le Seigneur parle.
En acceptant l’héritage de la mémoire de nos pères dans la foi, nous découvrons dans une lecture unifiée par la foi en Jésus Christ, la dimension universelle, anthropologique et personnelle de l’Ancien Testament : chacun de nous peut se reconnaître dans les épreuves traversées par Israël, ses expériences de fragilité et c’est avec les mots des psaumes que nous appelons Dieu et lui rendons grâce. Ce que je lis me concerne aujourd’hui ainsi que mes contemporains. Par un effet miroir, la méditation de ces textes nous fait entrer dans l’histoire de ce peuple et mieux connaître la volonté et la miséricorde divine.8
La pérennité du judaïsme manifeste la fidélité de Dieu à sa promesse. Juifs et chrétiens « sont appelés à être une bénédiction pour le monde »9 , appelés à dire la bonté de Dieu à toute l’humanité par ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Animés par l’espérance commune de la venue du Messie pour les juifs et de son retour pour les chrétiens, nous pouvons œuvrer ensemble au dialogue qui construit la paix, la justice et la fraternité et participer ainsi à l’édification du Royaume de Dieu.
Pauline Dawance, Directrice du Service national de la catéchèse et du catéchuménat (SNCC), CEF
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1. Evangelii Gaudium n°174 et Directoire pour la catéchèse n°28
2. « C’est le même Dieu « inspirateur et auteur des livres des deux Testaments » (Dei Verbum n°16) qui parle dans l’ancienne et la nouvelle Alliance. »
« L’Ancien Testament et la tradition juive fondée sur celui-ci ne doivent pas être opposés au Nouveau Testament de telle façon qu’ils semblent n’offrir qu’une religion de la justice seule, de la crainte et du légalisme, sans appel à l’amour de Dieu et du prochain (cf. Dt, 6, 5; Lv. 19, 18; Mt. 22, 34-40) »
(Orientations et suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire « Nostra Aetate » (n. 4), N°III de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme)
3. Particulièrement la Déclaration Nostra Aetate au n°4 et la Constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine.
4. La catéchèse a fait l’objet d’un document repère à connaître : Notes pour une correcte présentation des Juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Eglise catholique du 24 juin 1985 du Conseil pontifical pour les relations religieuses avec le judaïsme. On consultera aussi le Directoire pour la catéchèse de 2020 aux n°347 et 348.
5. « Car, même si le Christ a fondé dans son sang la Nouvelle Alliance (cf. Lc 22, 20 ; 1 Co 11, 25) , néanmoins les livres de l’Ancien Testament, intégralement repris dans le message évangélique, acquièrent et manifestent leur complète signification dans le Nouveau Testament, auquel ils apportent en retour lumière et explication. » (DV n°16)
6. DV n°14
7. Le Catéchisme de l’Église catholique aux numéros 115 à 119 décrit les étapes d’une lecture croyante par une recherche des différents sens de l’Ecriture du sens littéral au sens spirituel.
8. Cf. Notes de 1985 n°2 : « les événements singuliers et uniques qui sont rapportés dans l’Écriture ont une valeur universelle et exemplaire. » « Il s’agit en outre de présenter les événements de l’Ancien Testament non comme des événements qui concernent seulement les juifs, mais qui nous concernent aussi personnellement. »
9. Discours de saint Jean-Paul II à Mayence, 17 novembre 1980
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