La « révision de vie » : une forme de relecture pour la vie chrétienne

Traces de pas dans le sable.

Cette intervention a été donnée lors de la session La relecture, un essentiel du catéchuménat, en mai 2019.

Le point de départ de ce propos est un constat : le catéchumène est engagé dans une relation personnelle avec Jésus-Christ. Et, dans l’accompagnement de sa démarche, comme dans certains moments clés de son itinéraire (entrée en catéchuménat, appel décisif …), le candidat est amené à raconter son histoire. Il opère ainsi une relecture de sa vie, qu’il s’agisse du cours entier de sa vie ou d’une séquence particulièrement marquante (découverte de Jésus-Christ, lecture de la Bible, rencontre de témoins, …), afin de voir ce qui a été profitable, appelant, ce qui lui a permis d’avancer sur son chemin de foi.

De cette relecture [même si ce terme me gêne un peu car il suppose qu’il y aurait déjà eu une lecture c’est-à-dire tout un travail d’élaboration], c’est-à-dire de ce retour volontaire sur l’expérience vécue, à la recherche du sens, l’Église a une longue pratique. Toute l’expérience ecclésiale est une sorte de relecture mais cette relecture a pu connaitre de nombreuses variantes et utiliser différentes méthodes.

J’en présenterai, aujourd’hui, un seul aspect, celui que je connais le mieux, la révision de vie, que j’ai pratiquée et accompagnée pendant quelques dizaines d’années comme aumônier en Action Catholique et que je pratique encore dans le cadre de telle ou telle équipe de vie. Mon propos sera plutôt en forme de témoignage qui, j’espère, pourra contribuer à mettre en lumière cet essentiel du catéchuménat qu’est la relecture. Je développerai successivement trois points : le sens de l’expression révision de vie, la méthode utilisée et, enfin, ses atouts et ses limites pour le catéchuménat.

1. Sens de l’expression « révision de vie »

Révision, comme relecture, implique l’idée d’un retour en arrière, d’une réitération, d’une répétition. Le mot a un double sens ; d’abord, revoir. Il s’agit de faire mémoire de ce qui s’est passé et de le voir autrement avec le recul du temps et, éventuellement, avec l’aide d’autres personnes qui portent un regard différent. Révision peut avoir aussi le sens de réviser. Il ne s’agit plus seulement de regarder mais de reprendre, transformer, améliorer. On voit poindre ici l’idée d’une possible conversion, personnelle ou collective. Voir autrement les choses, c’est peut-être se mettre déjà sur le chemin d’un agir différent.

Il est important de souligner que la vie toute entière est la vie chrétienne et pas seulement certains aspects de la vie, certains moments particuliers comme la vie de prière, par exemple. La Lettre à Diognète nous rappelle que les chrétiens ne vivent pas en dehors du monde. Toute notre vie de baptisé se déroule sous l’action de l’Esprit Saint. Notre vie forme un tout même si nous pouvons distinguer des moments différents. Dieu ne cesse de nous appeler dans toute notre vie. Dans toute notre vie, l’Évangile est à mettre en oeuvre, la mission est en jeu. De cela, il découle que tout fait de vie peut être l’objet d’une relecture pour nous amener à vérifier si cette vie est vraiment évangélique et missionnaire et à identifier ce qui doit progresser pour qu’elle le soit davantage.

2. Méthode de la révision de vie

La révision de vie est pratiquée depuis environ un siècle, et surtout depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, dans les mouvements d’Action Catholique générale et spécialisée. Mais cette révision de vie est devenue rapidement une sorte de bien commun de l’Église, pratiquée parfois même sans le savoir, bien au-delà des cercles, raréfiés aujourd’hui, de l’Action Catholique.

La révision de vie a été beaucoup développée et approfondie dans ces mouvements et elle a fait l’objet de diverses publications. Je me suis inspiré notamment du numéro des Cahiers de L’Atelier de janvier-mars 2003, numéro 499, intitulé « Réenchanter la révision de vie ».

A l’origine de la démarche, nous pouvons évoquer deux passages de l’Évangile : Matthieu 18, 20 (« … quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. ») et Marc 6, 30-31, le retour de mission (« Venez à l’écart … ,et reposez-vous un peu. »). Dans un cas comme dans l’autre, l’accent porte sur le temps vécu ensemble par les disciples en la présence de Jésus-Christ. Le sujet, l’acteur, le protagoniste de la révision de vie, c’est bien le disciple, le croyant, à titre individuel mais engagé dans une vie d’équipe car on ne fait guère révision de vie tout seul même si on peut la préparer dans un temps personnel. La révision de vie est une pratique collective, communautaire, ecclésiale, et normalement régulière, en équipe qui se réunit périodiquement. On peut toujours faire une relecture personnelle de sa vie, on peut toujours faire un partage autour de la vie relue mais on fait nécessairement révision de vie ensemble.

La révision de vie comporte trois temps que tout le monde parmi vous connait : voir, juger, agir. Je garde, pour des raisons pratiques, cette formulation classique même si elle est parfois remise en question.

On pourrait parler aussi bien d’observation, de discernement et d’engagement.

Le temps du voir : dans la révision de vie, je commence par apporter un fait de vie, un évènement de ma vie ou un évènement qui a une certaine incidence sur ma vie, qui, directement ou indirectement, me questionne ou me dérange. Et, dans ce fait de vie, j’essaie de dégager ce qui semble vital pour mes contemporains, par exemple, ce qui relève des droits, de la dignité de l’être humain (par exemple, le cas de Vincent Lambert, l’avenir de l’Europe…). Je suis impliqué parce que tous ces évènements relèvent de la foi, de l’espérance et de l’amour. Le fondement théologique de cette étape du voir tient au fait que nous croyons que l’être humain est créé par Dieu, comme un être capable de relation, sexué, social, inséré dans un monde créé lui-même tout entier par Dieu, lequel regarde sa création achevée comme quelque chose de très bon. L’homme évolue dans un temps et dans un espace et rien de ce qu’il est n’est extérieur à Dieu qui a pour lui un projet d’alliance et, en dépit des ruptures, de salut.

Dans la deuxième étape, juger, il s’agit de discerner en quoi Dieu nous fait signe à travers le fait de vie partagé, à quel acte de foi ou d’espérance il nous provoque. Cette étape se vit à la lumière de la Parole de Dieu, une Parole qui ne sera pas choisie en fonction des circonstances. Il s’agit de se laisser rejoindre par une Parole qui est plutôt la bienvenue lorsqu’elle est décalée ou parfois même un peu obscure. Il faut saisir l’occasion que cette Parole déplace quelque chose. Il y a bien sûr différentes manières de lire un texte, de recevoir une Parole et d’exprimer la foi. Chaque membre de l’équipe essaiera de dire comment il vit la foi dans l’évènement en évitant de juxtaposer des actes de foi individuels mais en privilégiant plutôt la recherche commune. On cherche ensemble, on essaie de s’éclairer, de progresser par des interpellations mutuelles. À travers cet échange, différentes facettes nouvelles du réel apparaissent, notre jugement s’affine. Souvent l’exercice est difficile mais la présence de l’accompagnateur, de l’aumônier, à la fois ferme et discrète, peut aider à expliquer le texte, à éviter certains contresens et anachronismes.

Le fondement théologique de cette étape est notre foi en un Dieu qui se révèle. Je reviens à la Lettre à Diognète qui dit des chrétiens que « leur doctrine n’a pas été découverte par l’imagination ou par les rêveries d’esprits inquiets. Ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine d’origine humaine ». Pour les chrétiens, Dieu se donne à connaitre. Le Verbe de Dieu prend chair, se fait langage humain. Il se risque à ses ambiguïtés pour se faire connaitre à l’homme. Cependant, cette Parole de Dieu elle-même se déchiffre dans l’histoire. Elle est le résultat d’une mémoire, d’une interprétation, d’une révision, d’une relecture. Par exemple, la sortie d’Égypte n’a été reçue comme une expérience de Dieu qui libère son peuple, expérience structurante pour toute l’histoire d’Israël, qu’après une relecture. De même, la conquête de la Terre promise n’a été reçue comme la révélation d’un Dieu fidèle à sa promesse qu’après un travail de mémoire, de transmission, de relecture. L’expérience de l’exil a permis au peuple d’Israël de progresser dans une compréhension universelle de l’oeuvre et du projet de Dieu qui est salut pour toutes les nations. Cette expérience douloureuse a permis un progrès dans l’ordre de la foi après un long travail de relecture de l’histoire qui a été l’oeuvre des prophètes en particulier. Le travail de relecture permet de découvrir l’oeuvre salvifique de Dieu à travers une histoire, même éprouvante.

La troisième étape de la révision de vie, l’agir débouche sur le choix d’un engagement. Il doit permettre de prendre des résolutions, mêmes modestes. La révision de vie amène à se poser la question de la conversion personnelle car elle permet d’interroger notre relation personnelle à Jésus-Christ, notre manière de nous comporter en rapport avec l’Évangile. Sa finalité dépasse l’intérêt du groupe, de l’équipe pour aller vers les périphéries en vue d’y annoncer l’Évangile. Elle aboutit à un nouvel élan missionnaire. Cette conversion et cet élan missionnaire passent aussi par une prise de conscience de la condition de pêcheurs qui est la nôtre. Comme l’a écrit le Père Vadot, prêtre de Reims, théologien de la Mission ouvrière, la conversion est l’oeuvre de l’Esprit mais elle n’est possible que si elle rencontre notre conscience de pêcheurs. Il est important que la révision de vie ne fasse pas l’économie des traces du péché, des traces de faiblesses qui se manifestent dans l’évènement.

Nous pouvons poser, comme principe théologique de cette étape, la vocation de l’être humain : l’homme est un sujet, libre et responsable, appelé singulièrement et collectivement par Dieu à s’engager et agir pour gérer et transformer le monde, pour sauvegarder la maison commune et poursuivre l’oeuvre de création.

Le récit d’Emmaüs (Lc 24, 13-35) est une illustration incontournable de la révision de vie. Les trois moments du récit peuvent correspondre aux trois moments de la révision de vie. Aux versets 13 à 24, il y a l’évocation des faits : il s’agit du récit d’un échec, d’un espoir déçu, d’une perplexité devant le témoignage des femmes et la découverte du tombeau vide. Les versets 25 à 32 correspondent à un temps de rencontre avec la Parole, avec le Verbe de Dieu qui chemine. Il n’est pas reconnu et, sur le coup, on ne peut pas dire que cette Parole illumine leur vie d’une lumière nouvelle. Mais, sans doute, cette Parole a-t-elle secrètement animé un désir, un espoir en eux ; quelque chose a été semé qui va leur permettre de reconnaître le Christ à la fraction du pain. Les versets 34 et 35 correspondent à une conversion, un retournement, au propre comme au figuré. Un élan nouveau se substitue à l’abattement et conduit à la proclamation de la Bonne Nouvelle.

3. Atouts et limites de la révision de vie

En ce qui concerne les limites, il faut d’abord dépasser la tentation d’en rester au voir c’est-à-dire de s’enfermer dans l’évocation d’évènements, qui, certes, nous concernent, mais sans jamais accéder à un discernement grâce à la Parole de Dieu et encore moins à un agir. La révision de vie doit aussi éviter l’écueil du débat d’opinion ; il doit s’agir toujours d’une écoute mutuelle, d’un partage dans lequel chaque membre apporte sa part, d’un dialogue. Elle ne peut fonctionner que si chacun s’implique personnellement. Comment est-ce que cela me rejoint, me provoque, me pousse à réagir?
L’étape du discernement doit être bien conduite de manière à ne pas utiliser la Parole de Dieu pour justifier telle opinion ou tel choix. Évitons de voir des signes de Dieu partout ; la question est plutôt de savoir comment les reconnaître alors que nous sommes plongés dans le mystère pascal, comme les disciples d’Emmaüs. Soyons prudents devant des expériences douloureuses ; souvent, il vaudra mieux garder le silence, tout en étant attentif aux signes de guérison et de renouveau dans la ligne de Lc 7, 18-22.

Ce parcours de présentation de la révision de vie met en lumière quelques atouts, quelques points d’attention utiles pour un accompagnement des catéchumènes. La révision de vie peut mettre à l’honneur sans restrictions tous les évènements de la vie, même les plus humbles, et donner d’y déceler la présence du Dieu de miséricorde. Les petites choses sont infiniment respectables car elles sont vécues sous le regard de Dieu. De ce fait, la révision de vie permet à chacun d’être soi-même sans chercher à se couler dans un modèle. L’une des richesses du catéchuménat est de permettre une démarche commune dans la plus grande diversité de situations et de tempéraments. Chacun, et tout d’abord les plus petits, doit pouvoir s’exprimer avec confiance en étant sûr d’être accueilli avec un regard de bienveillance.
De plus, par le regard critique porté sur sa vie, par le discernement à l’aide de la Parole, une porte s’ouvre pour la conversion.

Mgr François KALIST, archevêque de Clermont depuis 2016, membre de la CECC.

Mgr François KALIST, archevêque de Clermont depuis 2016, membre de la CECC.

Le partage de vie peut aussi susciter chez ceux qui y prennent part, y compris les accompagnateurs, une forme d’admiration, d’émerveillement et, par-là, d’action de grâce. La relecture de vie partagée débouche sur la prière pour et avec les cheminants et les accompagnateurs.

Je termine par un souhait : que nous puissions toujours, accompagnateurs de catéchumènes, nous émerveiller de ce que Dieu fait dans le cœur de ceux et celles que nous sommes appelés à servir.

Mgr François Kalist, Evêque de Clermont et membre de la CECC

La relecture : un essentiel du catéchuménat (2019)

Zoom sur la session qui a réuni des responsables et membres d’équipe des services diocésains de catéchuménat à Paris le jeudi 23 mai 2019 sur le thème La relecture : un essentiel du catéchuménat.

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