« Gnostique ou pélagien ? » : identifier et combattre deux ennemis de la sainteté

Gnosticisme et pélagianisme : « Même aujourd’hui les cœurs de nombreux chrétiens, peut-être sans qu’ils s’en rendent compte, se laissent séduire par ces deux propositions trompeuses. » (Gaudete et exsultate, chapitre II)

Gnosticisme et pélagianisme : « Même aujourd’hui les cœurs de nombreux chrétiens, peut-être sans qu’ils s’en rendent compte, se laissent séduire par ces deux propositions trompeuses. » (Gaudete et exsultate, chapitre II)

Dans les deux premières interventions de la session de formation Le combat spirituel en catéchèse et catéchuménat nous avons situé le combat comme une donnée inhérente à la condition humaine. Ce qui nous fait comprendre qu’il n’y a pas d’humanité sans combat. En contemplant la figure de Jésus, Dieu fait homme, nous avons vu à quel point lui-même a affronté le diable et mené le combat jusqu’à la croix. En tant que baptisés, à la suite du Christ comme disciples-missionnaires, les combats ne manquent pas. Il appartient à chacun de repenser ce qu’il mène comme combat propre.

L’objet de cet atelier est à présent de situer le combat dans son lien avec la sainteté.

En effet le Concile Vatican II, particulièrement dans la Constitution Dogmatique Lumen Gentium réaffirme l’appel universel à la sainteté. Quand l’Eglise réfléchit sur son propre mystère, elle fait retentir l’appel à être saint comme le Père du ciel est saint (Lévitiques 19, 1). La sainteté est donc l’affaire de tous. En tant que baptisés, appelés par l’évêque pour prendre en charge une part de la mission et travailler dans la vigne du Seigneur nous sommes au service non seulement de notre propre sainteté mais également de la croissance de la sainteté de celles et ceux qui nous sont confiés.

Dans son exhortation apostolique Gaudete et Exsultate, le pape François resitue le combat spirituel dans le cadre de cette quête de la sainteté. Il y nomme deux ennemis subtils, « deux falsifications de la sainteté qui pourraient nous faire dévier du chemin » (n.35) : le pélagianisme et le gnosticisme.

Consignes :

  1. Se présenter brièvement et désigner un animateur et un gardien du temps (5 minutes).
  2. Lire dans l’extrait ci-dessous ce que dit le pape François du pélagianisme et du gnosticisme (5 minutes).
  3. Choisir de travailler l’un des deux : le gnosticisme (§ 36 à 46) ou le pélagianisme (§47 à 62).
  4. Échanger autour des questions suivantes :
  • Comment définiriez-vous le pélagianisme / le gnosticisme ?
  • Quelles formes concrètes prennent-ils ?
  • Dans le cadre de vos missions, pouvez-vous repérer des manifestations de ces deux hérésies en catéchèse et en catéchuménat ?
  • Et si vous en avez le temps : Quels pourraient-être les moyens pour lutter contre ?

Gnosticime et pélagianisme : deux ennemis subtils de la sainteté

Le gnosticisme actuel

  1. Le gnosticisme suppose « une foi renfermée dans le subjectivisme, où seule compte une expérience déterminée ou une série de raisonnements et de connaissances que l’on considère comme pouvant réconforter et éclairer, mais où le sujet reste en définitive fermé dans l’immanence de sa propre raison ou de ses sentiments. »

Un esprit sans Dieu et sans chair

  1. Grâce à Dieu, tout au long de l’histoire de l’Église, il a été toujours très clair que la perfection des personnes se mesure par leur degré de charité et non par la quantité des données ou des connaissances qu’elles accumulent. Les « gnostiques » font une confusion sur ce point et jugent les autres par leur capacité à comprendre la profondeur des racines de certaines doctrines. Ils conçoivent un esprit sans incarnation, incapable de toucher la chair souffrante du Christ dans les autres, corseté dans une encyclopédie d’abstractions. En désincarnant le mystère, ils préfèrent finalement « un Dieu sans Christ, un Christ sans Église, une Église sans peuple ».
  2. En définitive, il s’agit d’une superficialité vaniteuse : beaucoup de mouvement à la surface de l’esprit, mais la profondeur de la pensée ne se meut ni ne s’émeut. Cette superficialité arrive cependant à subjuguer certains par une fascination trompeuse, car l’équilibre gnostique réside dans la forme et semble aseptisé ; et il peut prendre la forme d’une certaine harmonie ou d’un ordre qui englobent tout.
  3. Mais attention ! Je ne fais pas référence aux rationalistes ennemis de la foi chrétienne. Cela peut se produire dans l’Église, tant chez les laïcs des paroisses que chez ceux qui enseignent la philosophie ou la théologie dans les centres de formation. Car c’est aussi le propre des gnostiques de croire que, par leurs explications, ils peuvent rendre parfaitement compréhensibles toute la foi et tout l’Évangile. Ils absolutisent leurs propres théories et obligent les autres à se soumettre aux raisonnements qu’ils utilisent. Une chose est un sain et humble usage de la raison pour réfléchir sur l’enseignement théologique et moral de l’Évangile ; une autre est de prétendre réduire l’enseignement de Jésus à une logique froide et dure qui cherche à tout dominer.

Une doctrine sans mystère

  1. Le gnosticisme est l’une des pires idéologies puisqu’en même temps qu’il exalte indûment la connaissance ou une expérience déterminée, il considère que sa propre vision de la réalité représente la perfection. Ainsi, peut-être sans s’en rendre compte, cette idéologie se nourrit-elle elle-même et sombre-t-elle d’autant plus dans la cécité. Elle devient parfois particulièrement trompeuse quand elle se déguise en spiritualité désincarnée. Car le gnosticisme « de par sa nature même veut apprivoiser le mystère », tant le mystère de Dieu et de sa grâce que le mystère de la vie des autres.
  2. Lorsque quelqu’un a réponse à toutes les questions, cela montre qu’il n’est pas sur un chemin sain, et il est possible qu’il soit un faux prophète utilisant la religion à son propre bénéfice, au service de ses élucubrations psychologiques et mentales. Dieu nous dépasse infiniment, il est toujours une surprise et ce n’est pas nous qui décidons dans quelle circonstance historique le rencontrer, puisqu’il ne dépend pas de nous de déterminer le temps, le lieu et la modalité de la rencontre. Celui qui veut que tout soit clair et certain prétend dominer la transcendance de Dieu.
  3. On ne peut pas non plus prétendre définir là où Dieu ne se trouve pas, car il est présent mystérieusement dans la vie de toute personne, il est dans la vie de chacun comme il veut, et nous ne pouvons pas le nier par nos supposées certitudes. Même quand l’existence d’une personne a été un désastre, même quand nous la voyons détruite par les vices et les addictions, Dieu est dans sa vie. Si nous nous laissons guider par l’Esprit plus que par nos raisonnements, nous pouvons et nous devons chercher le Seigneur dans toute vie humaine. Cela fait partie du mystère que les mentalités gnostiques finissent par rejeter, parce qu’elles ne peuvent pas le contrôler.

Les limites de la raison

  1. Nous ne parvenons à comprendre que très pauvrement la vérité que nous recevons du Seigneur. Plus difficilement encore nous parvenons à l’exprimer. Nous ne pouvons donc pas prétendre que notre manière de la comprendre nous autorise à exercer une supervision stricte sur la vie des autres. Je voudrais rappeler que dans l’Église cohabitent à bon droit diverses manières d’interpréter de nombreux aspects de la doctrine et de la vie chrétienne qui, dans leur variété, « aident à mieux expliquer le très riche trésor de la Parole ». En réalité « à ceux qui rêvent d’une doctrine monolithique défendue par tous sans nuances, cela peut sembler une dispersion imparfaite. » Précisément, certains courants gnostiques ont déprécié la simplicité si concrète de l’Évangile et ont cherché à remplacer le Dieu trinitaire et incarné par une Unité supérieure où disparaissait la riche multiplicité de notre histoire.
  2. En réalité, la doctrine, ou mieux, notre compréhension et expression de celle-ci, « n’est pas un système clos, privé de dynamiques capables d’engendrer des questions, des doutes, des interrogations », et « les questions de notre peuple, ses angoisses, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation. Ses questions nous aident à nous interroger, ses interrogations nous interrogent. »
  3. Il se produit fréquemment une dangereuse confusion : croire que parce que nous savons quelque chose ou que nous pouvons l’expliquer selon une certaine logique, nous sommes déjà saints, parfaits, meilleurs que la « masse ignorante ». Saint Jean-Paul II mettait en garde ceux qui dans l’Église ont la chance d’une formation plus poussée contre la tentation de nourrir « un sentiment de supériorité par rapport aux autres fidèles ». Mais en réalité, ce que nous croyons savoir devrait être toujours un motif pour mieux répondre à l’amour de Dieu, car « on apprend pour vivre : théologie et sainteté sont un binôme inséparable ».

46 Quand Saint François d’Assise a vu que certains de ses disciples enseignaient la doctrine, il a voulu éviter la tentation du gnosticisme. Il a donc écrit ceci à Saint Antoine de Padoue : « Il me plaît que tu lises la théologie sacrée aux frères, pourvu que, dans l’étude de celle-ci, tu n’éteignes pas l’esprit de sainte oraison et de dévotion ». Il percevait la tentation de transformer l’expérience chrétienne en un ensemble d’élucubrations mentales qui finissent par éloigner de la fraîcheur de l’Évangile. Saint Bonaventure, d’une part, faisait remarquer que la vraie sagesse chrétienne de doit pas être séparée de la miséricorde envers le prochain : « La plus grande sagesse qui puisse exister consiste à diffuser fructueusement ce qu’on a à offrir, ce qui a été précisément donné pour être offert […] C’est pourquoi tout comme la miséricorde est amie de la sagesse, l’avarice est son ennemi. » « Il y a une activité qui, en s’unissant à la contemplation ne l’entrave pas, mais la favorise ainsi que les œuvres de miséricorde et de piété.

Le pélagianisme actuel

  1. Le gnosticisme a donné lieu à une autre vielle hérésie qui est également présente aujourd’hui. À mesure que passait le temps, beaucoup ont commencé à reconnaître que ce n’est pas la connaissance qui rend meilleurs ni saints, mais la vie que nous menons. Le problème, c’est que cela a dégénéré subtilement, de sorte que l’erreur même des gnostiques s’est simplement transformée mais n’a pas été surmontée.
  2. Car le pouvoir que les gnostiques attribuaient à l’intelligence, certains commencèrent à l’attribuer à la volonté humaine, à l’effort personnel. C’est ainsi que son apparus les pélagiens et les semi-pélagiens. Ce n’était plus l’intelligence qui occupait la place du mystère et de la grâce, mais la volonté. On oubliait qu’« il n’est pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9, 16) et que « lui nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19).

Une volonté sans humilité

  1. Ceux qui épousent cette mentalité pélagienne ou semi-pélagienne, bien qu’ils parlent de la grâce de Dieu dans des discours édulcorés, « en définitive font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique ». Quand certains d’entre eux s’adressent aux faibles en leur disant que tout est possible avec la grâce de Dieu, au fond ils font d’habitude passer l’idée que tout est possible par la volonté humaine, comme si celle-ci était quelque chose de pur, de parfait, de tout-puissant, auquel s’ajoute la grâce. On cherche à ignorer que « tous ne peuvent pas tout », et qu’en cette vie les fragilités humaines ne sont pas complètement et définitivement guéries par la grâce. De toute manière, comme l’enseignait Augustin, Dieu t’invite à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas ; ou bien à dire humblement au Seigneur : « Donne ce que tu commandes et commande ce que tu veux. »
  2. Au fond, l’absence de la reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites est ce qui empêche la grâce de mieux agir en nous, puisqu’on ne lui laisse pas de place pour réaliser ce bien possible qui s’insère dans un cheminement sincère et réel de croissance. La grâce, justement parce qu’elle suppose notre nature, ne fait pas de nous, d’un coup, des surhommes. Le prétendre serrait placer trop de confiance en nous-mêmes. Dans ce cas, derrière l’orthodoxie, nos attitudes pourraient ne pas correspondre à ce que nous affirmons sur la nécessité de la grâce, et dans les faits nous finissons par compter peu sur elle. Car si nous ne percevons pas notre réalité concrète et limitée, nous ne pourrons pas voir non plus les pas réels et possibles que le Seigneur nous demande à chaque instant, après nous avoir rendus capables et nous avoir conquis par ses dons. La grâce agit historiquement et, d’ordinaire, elle nous prend et nous transforme de manière progressive. C’est pourquoi si nous rejetons ce caractère historique et progressif, nous pouvons, de fait, arriver à la nier et à la bloquer, bien que nous l’exaltions pat nos paroles.
  3. Quand Dieu s’adresse à Abraham, il lui dit : « Je suis Dieu tout-puissant. Marche en ma présence et sois parfait » (Gn 17, 1). Pour que nous soyons parfaits comme il le désire, nous devons vivre humblement en sa présence, enveloppés de sa gloire ; il nous faut marcher en union avec lui en reconnaissant son amour constant dans nos vies. Il ne faut plus avoir peur de cette présence qui ne peut que nous faire du bien. Il est le Père qui nous a donné la vue et qui nous aime tant. Une fois que nous l’acceptons et que nous cessons de penser notre vie sans lui, l’angoisse de la solitude disparaît (cf. Ps 139, 7). Et si nous n’éloignons plus Dieu de nous et que nous vivons en sa présence, nous pourrons lui permettre d’examiner nos cœurs pour qu’il voie s’ils sont sur le bon chemin (cf. Ps 139, 23-24). Ainsi, nous connaîtrons la volonté du Seigneur, ce qui lui plaît et ce qui est parfait (cf. Rm 12, 1-2) et nous le laisserons nous modeler comme un potier (cf. Is 29, 16). Nous avons souvent dit que Dieu habite en nous, mais il est mieux de dire que nous habitons en lui, qu’il nous permet de vivre dans sa lumière et dans son amour. Il est notre temple : « La chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie » (cf. Ps 27, 4). « Mieux vaut un jour dans tes parvis que mille à ma guise » (Ps 84, 11). C’est en lui que nous sommes sanctifiés.

Un enseignement de l’Église souvent oublié

  1. L’Église catholique a maintes fois enseigné que nous ne sommes pas justifiés par nos œuvres ni par nos efforts mais par la grâce du Seigneur qui prend l’initiative. Les Pères de l’Église, même avant saint Augustin, exprimaient clairement cette conviction primordiale. Saint Jean Chrysostome disait que Dieu verse en nous la source même de tous les dons avant même que nous n’entrions dans le combat. Saint Basile le Grand faisait remarquer que le fidèle se glorifie seulement en Dieu, car il sait qu’il « est dépourvu de vraie justice et ne [trouve]sa justice que dans la foi au Christ ».
  2. Le deuxième synode d’Orange a enseigné avec grande autorité que nul homme peut exiger, mériter ou acheter le don de la grâce divine et que toute coopération avec elle est d’abord un don de la grâce elle-même : « Même notre volonté de purification est un effet de l’infusion et de l’opération du Saint Esprit en nous ». Plus tard, même quand le concile de Trente souligne l’importance de notre coopération pour la croissance spirituelle, il réaffirme cet enseignement dogmatique : on dit que nous « justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification, que ce soit la foi ou les œuvres, ne mérite cette grâce de la justification. En effet, si c’est une grâce, elle ne vient pas des œuvres ; autrement, la grâce n’est plus la grâce. » (Rm 11, 6).
  3. Le Catéchisme de l’Église catholique aussi nous rappelle que le don de la grâce « surpasse les capacités de l’intelligence et les forces de la volonté humaine », et qu’« à l’égard de Dieu, il n’y a pas, au sens d’un droit strict, de mérite de la part de l’homme. Entre Lui et nous l’inégalité est sans mesure ». Son amitié nous dépasse infiniment, nous ne pouvons pas l’acheter par nos œuvres et elle ne peut être qu’un don de son initiative d’amour. Cela nous invite à vivre dans une joyeuse gratitude pour ce don que nous ne méritons jamais, puisque « quand [quelqu’un] possède déjà la grâce, il ne peut mériter cette grâce déjà reçue ». Les saints évitent de mettre leur confiance dans leurs propres actions : « Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. »
  4. C’est l’une des grandes convictions définitivement acquises par l’Église, et cela est si clairement exprimé dans la Parole de Dieu que c’est hors de toute discussion. Tout comme le commandement suprême de l’amour, cette vérité devrait marquer notre style de vie, parce qu’elle s’abreuve au cœur de l’Évangile et elle demande seulement à être accueillie par notre esprit, mais aussi à être transformée en une joie contagieuse. Cependant nous ne pourrons pas célébrer avec gratitude le don gratuit de l’amitié avec le Seigneur si nous ne reconnaissons pas que même notre existence terrestre et nos capacités naturelles sont un don. Il nous faut « accepter joyeusement que notre être soit un don, et accepter même notre liberté comme une grâce. C’est ce qui est difficile aujourd’hui dans un monde qui croit avoir quelque chose par lui-même, fruit de sa propre originalité ou de sa liberté. »
  5. C’est seulement à partir du don de Dieu, librement accueilli et humblement reçu, que nous pouvons coopérer par nos efforts à nous laisser transformer de plus en plus. Il faut d’abord appartenir à Dieu. Il s’agit de nous offrir à celui qui nous devance, de lui remettre nos capacités, notre engagement, notre lutte contre le mal et notre créativité, pur que son don gratuit grandisse et se développe en nous : « Je vous exhorte, mes frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante et sainte, agréable à Dieu » (Rm 12, 1). D’autre part, l’Église a toujours enseigné que seule la charité rend possible la croissance dans la vie de la grâce car « si je n’ai pas la charité, je ne suis rien » (1 Co 13, 2).

Les nouveaux pélagiens

  1. Il y a encore des chrétiens qui s’emploient à suivre un autre chemin : celui de la justification par leurs propres forces, celui de l’adoration de la volonté humaine et de ses propres capacités, ce qui se traduit par une autosatisfaction égocentrique et élitiste dépourvue de l’amour vrai. Cela se manifeste par de nombreuses attitudes apparemment différentes : l’obsession pour la loi, la fascination de pouvoir montrer des conquêtes sociales et politiques, l’ostentation dans le soin de la liturgie, de la doctrine et du prestige de l’Église, la vaine gloire liée à la gestion d’affaires pratiques, l’enthousiasme pour les dynamiques d’autonomie et de réalisation autoréférentielle. Certains chrétiens consacrent leurs énergies et leur temps à cela, au lieu de se laisser porter par l’Esprit sur le chemin de l’amour, de brûler du désir de communiquer la beauté et la joie de l’Évangile, et de chercher ceux qui sont perdus parmi ces immenses multitudes assoiffées du Christ.
  2. Souvent, contre l’impulsion de l’Esprit, la vie de l’Église se transforme en pièce de musée ou devient la propriété d’un petit nombre. Cela se produit quand certains groupes chrétiens accordent une importance excessive à l’accomplissement de normes, de coutumes ou de styles déterminés. De cette manière, on a l’habitude de réduire et de mettre l’Évangile dans un carcan en lui retirant sa simplicité captivante et sa saveur. C’est peut-être une forme subtile de pélagianisme, parce que cela semble soumettre la vie de la grâce à quelques structures humaines. Cela touche des groupes, des mouvements ou des communautés, et c’est ce qui explique que, très souvent, ils commencent par une vie intense dans l’Esprit mais finissent fossilisés… ou corrompus.
  3. Sans nous en rendre compte, en pensant que tout dépend de l’effort humain canalisé par des normes et des structures ecclésiales, nous compliquons l’Évangile et nous devenons esclaves d’un schéma qui laisse peu de place pour que la grâce agisse. Saint Thomas d’Aquin nous rappelait que les préceptes ajoutés à l’Évangile par l’Église doivent s’exiger avec modération « de peur que la vie des fidèles devienne pénible » et qu’ainsi notre religion ne se transforme en « un fardeau asservissant ».

Le résumé de la Loi

  1. Pour éviter cela, il est bon de rappeler fréquemment qu’il y a une hiérarchie des vertus qui nous invite à rechercher l’essentiel. Le primat revient aux vertus théologales qui ont Dieu pour objet et cause. Et au centre se trouve la charité. Saint Paul affirme que ce qui compte vraiment, c’est « la foi opérant par la charité (Ga 5,6). Nous sommes appelés à préserver plus soigneusement la charité : « Celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi […]. La charité est donc la loi dans sa plénitude » (Rm 13, 8.10). « Car une seule formule contient toute la Loi en sa plénitude : ‘Tu aimeras le prochain comme toi-même’ » (Ga 5, 14).
  2. En d’autres termes : dans l’épaisse forêt de préceptes et de prescriptions, Jésus ouvre une brèche qui permet de distinguer deux visages : celui du Père et celui du frère. Il ne nous offre pas deux formules ou de préceptes de plus. Il nous offre deux visages, ou mieux, un seul, celui de Dieu qui se reflète dans beaucoup d’autres. Car en chaque frère, spécialement le plus fragile, sans défense et en celui qui est dans le besoin, se trouve présente l’image même de Dieu. En effet, avec cette humanité vulnérable considérée comme déchet, à la fin des temps, le Seigneur façonnera sa dernière œuvre d’art. Car « qu’est-ce qui reste, qu’est-ce qui a de la valeur dans la vie, quelles richesses ne s’évanouissent pas ? Sûrement deux : le Seigneur et le prochain. Ces deux richesses ne n’évanouissent pas.
  3. Que le Seigneur délivre l’Église des nouvelles formes de gnosticisme et de pélagianisme que l’affublent et l’entravent sur le chemin de la sainteté ! Ces déviations s’expriment de diverses manières, selon le tempérament et des caractéristiques propres à chacun. C’est pourquoi j’exhorte chacun à se demander et à discerner devant Dieu de quelle manière elles peuvent être en train de se manifester dans sa vie.
Gaudete et exsultate, extraits du chapitre II

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