« Tes péchés sont pardonnés » : homélie et questions autour du sacrement de réconciliation

Confession lors du Jubilé des catéchistes à Rome (2016).

Confession lors du Jubilé des catéchistes à Rome (2016).

Dans l’homélie qu’il a prononcée lors de la célébration pénitentielle proposée aux catéchistes réunis à Rome pour le Jubilé de l’Année de la miséricorde (2016), le père Emmanuel Coquet nous livre un commentaire de l’épisode biblique de la femme pécheresse raconté par l’évangéliste Luc. Ses propos s’accompagnent de questions pour poursuivre notre réflexion sur la miséricorde dans notre propre expérience du sacrement de la réconciliation.

Un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table.

Survint une femme de la ville, une pécheresse. Ayant appris que Jésus était attablé dans la maison du pharisien, elle avait apporté un flacon d’albâtre contenant un parfum.

Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, près de ses pieds, et elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux le parfum.

En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. »

Jésus, prenant la parole, lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. – Parle, Maître. »

Jésus reprit : « Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante.

Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait les lui rembourser, il en fit grâce à tous deux. Lequel des deux l’aimera davantage ? »

Simon répondit : « Je suppose que c’est celui à qui on a fait grâce de la plus grande dette. – Tu as raison », lui dit Jésus.

Il se tourna vers la femme et dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas versé de l’eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux.

Tu ne m’as pas embrassé ; elle, depuis qu’elle est entrée, n’a pas cessé d’embrasser mes pieds.

Tu n’as pas fait d’onction sur ma tête ; elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds.

Voilà pourquoi je te le dis : ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. »

Il dit alors à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. »

Les convives se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme, qui va jusqu’à pardonner les péchés ? »

Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! »

Lc 7 36-50

Lire le texte sur le site de l’AELF

Homélie et commentaire de Lc 7 36-50

Qu’est-ce que je pourrais vous dire ce matin, vous qui, bien davantage que moi, avez l’habitude de guider d’autres aux portes de ce sacrement que nous vous proposons ce matin ?

Qu’est-ce que je peux ajouter que vous ne connaîtriez déjà ? Comment passer de cette création née de la conversion comme nous l’avons vu avec l’appel de saint Matthieu hier soir, à la recréation de la miséricorde que le Seigneur met à notre portée d’une manière nouvelle en ce jubilé de la Miséricorde ?

Non, je ne vois rien à ajouter. Car je ne suis pas là ce matin pour vous apprendre ce que vous ne sauriez pas encore sur la miséricorde qui trouve une expression particulière dans le sacrement de réconciliation dont vous cherchez à manifester la beauté à ceux que vous accompagnez.

Mais ensemble, pour vous, avec vous, je veux me laisser enseigner par le Christ qui nous livre sa Parole.

Car nous faisons cette expérience commune comme catéchiste, comme accompagnateur de catéchuménat, que nous sommes nous-mêmes renouvelés et transformés par l’annonce de Celui qui est le Chemin la Vérité et la Vie… et il peut même arriver que cette relation vivante, que nous cherchons à servir à tous les âges de la vie entre un homme et son Seigneur, nous oblige quelque peu.

On peut être un catéchiste aguerri, et avoir du mal à faire cette démarche d’aller se confesser. On peut être un éminent théologien et avoir du mal à aller rencontrer un prêtre pour recevoir le sacrement de la réconciliation.

En disant cela je ne porte aucun jugement mais je rends grâce que nous ayons l’occasion de progresser ensemble, non dans des techniques de confessions, non dans l’élaboration de l’examen de conscience le plus savant qui plongera dans les tréfonds de l’âme, mais que nous ayons tous à progresser dans l’approfondissement de la connaissance de la nature même de Dieu qui se révèle comme miséricorde. C’est Dieu qui nous permet d’oser regarder notre pauvreté de pécheur pour y contempler plus profondément encore l’amour de Celui qui nous porte vers les rives du salut.

La clef est là : est-ce que je crois, du plus profond de mon être que Dieu est infiniment bon ? Est-ce que je crois du fond de mon être que Jésus continue de poser sur moi un regard qui est fait d’espérance et de tendresse malgré mes refus d’aimer ?

Et il est heureux de contempler ce matin cette « femme de la ville » comme dit pudiquement notre traduction. Cette situation tout à fait singulière avait tout pour mettre Jésus mal à l’aise… Or il n’en est rien ! Il se contente de laisser faire cette femme, précédée par sa mauvaise réputation.

Émerge alors une profonde incompréhension entre ces sages, ces docteurs de la Loi et Jésus qui porte un autre regard sur celle qui est à ses pieds. Jésus, lui, sait laisser advenir le meilleur de la personne à travers le silence et les gestes de cette femme peu recommandable à première vue. Il parvient ainsi à mettre en lumière aux yeux de ses hôtes l’essentiel de la relation qui s’instaure : cette femme l’aime. « Elle a beaucoup aimé » dira-t-il. Au-delà de son comportement ambigu, au-delà de l’outrance de ce comportement, Jésus ne perçoit que la réalité profonde qu’elle cherche à manifester : elle l’aime !

Quel contraste avec la figure de Simon qui semblait être bien plus à même de témoigner son attachement à la personne de Jésus. Mais ça n’a pas été le cas !… Alors que cette femme à la moralité approximative déborde d’effusion pour Jésus, Simon n’a pas su, au-delà des convenances, témoigner du même amour auprès de Jésus.

Oui, ce matin, Jésus vient renouveler au milieu de son peuple, de ses catéchistes, les merveilles de sa miséricorde en venant sauver ce qui était perdu (cf. Luc 19, 10). Il vient pour que cette femme ne soit plus une pécheresse dans la ville. Et si je peux me permettre, il vient pour manifester sa préférence pour les pécheurs.

Oui, Jésus a une préférence pour les pécheurs !… Alors qu’attendons-nous pour reconnaître que nous sommes du lot ?! Mettrons-nous plus d’empressement à rencontrer le pape François ou Jésus lui-même qui se donne inlassablement en sa miséricorde ?

Si Jésus manifeste de la miséricorde, de la tendresse même pour les pécheurs, et qu’il peut apparaître comme sévère pour ceux qui se considèrent comme justes, ce n’est pas que Dieu préférerait le péché à la vertu, bien au contraire, mais ce que Jésus aime chez le pécheur, c’est que celui-ci prend pleinement conscience qu’il ne peut se sauver par lui-même. Il sait – mieux que d’autres – que ces pauvres actions restent vaines et ne procurent pas le Salut espéré.

Le pécheur, c’est celui qui sait que ce qu’il a fait est mal. C’est celui qui sait qu’on ne peut pas être sauvé par les simples forces de sa volonté. Le danger du juste, en faisant ceci et cela, en pratiquant tel ou tel commandement, serait de penser qu’il acquiert des mérites, et qu’il a ainsi le droit d’exiger de Dieu qu’il le récompense, qu’il le rétribue en fonction de ce qui lui apparaît juste.

Or Dieu n’est pas là pour distribuer des « bons points » ! Dieu n’est pas là pour jouer les « gardes-frontières » comme dirait le pape François. Rien de tout cela. Tout l’évangile s’évertue à nous dire le contraire. Jésus est venu pour nous dire qu’en tout homme qui cri du fond de sa misère vers le Seigneur, la résurrection est à l’œuvre.

La femme de l’évangile illustre bien les propos de saint Bernard : « la raison pour laquelle on aime Dieu, c’est Dieu lui-même ; et la mesure de cet amour, c’est de l’aimer sans mesure. »

Chers amis, vivre cette démarche jubilaire au cours de ce pèlerinage romain, c’est l’occasion pour nous de faire, d’éprouver à nouveau cette expérience indicible de nous laisser saisir, de nous laisser porter sur les épaules du bon pasteur.

Or, dans le champ de la vie spirituelle, le terme de « confession » appartient à ce vocabulaire qui engendre des réticences intérieures. Il y a là cependant un combat qu’il ne faut pas fuir. Nous sommes conviés à poser un acte de foi dans cette église de la Trinité. Car la première confession à laquelle Jésus nous appelle n’est pas une liste de péchés savamment hiérarchisés, mais une confession d’amour, une reconnaissance de Celui qui nous appelle et qui, dans le même mouvement, fait miséricorde (Miserando atque eligendo).

Qui de nous n’a aspiré à ce nouveau départ ? Vous savez, ce fameux tournant que nous espérons tous prendre un jour : « Oui, à partir de demain, c’est sûr, je m’y mets ! Je prends au sérieux ma conversion ! »… Mais notre cœur est ainsi fait que, bien souvent, nous voyons avec une lucidité particulière avec quel profit, avec quel bonheur, la conversion s’appliquerait à mon voisin qui a décidément tant de choses à convertir dans son existence qui rabote la mienne ! Ah ! Si mon voisin pouvait se plier à mon désir, me comprendre avant que j’ai ouvert la bouche ! Ah ! Si mon voisin il pouvait en finir avec tel ou tel travers !

Vous voyez dans cet évangile, Jésus prend la peine de signifier aux amoureux qui trébuchent, ou chutent dans leur quête d’amour, qu’Il se présente comme Celui qui, seul, peut combler nos désirs les plus profonds, en purifiant au passage nos désirs les plus superficiels. Si nous reconnaissons que, par nous-mêmes, nous trahissons l’amour, c’est-à-dire si nous confessons à l’image de la femme pécheresse notre incapacité et notre péché, nous sommes alors prêts à laisser le Christ déverser son amour dans notre cœur, et c’est ce qu’il fait en nous offrant inlassablement son pardon sans limite.

Aux légalistes aux cœurs un peu secs, le Seigneur annonce que, par amour, il a donné sa vie librement pour tous. Cela, la loi seule ne peut pas l’accomplir. Ne vivons pas dans l’obsession paralysante de ne pas tomber, mais dans cette capacité à reconnaître notre besoin d’être soutenu par Dieu, c’est-à-dire à confesser l’amour dont nous sommes aimés qui baigne d’une lumière nouvelle les recoins de nos existences.

Comme la pécheresse de l’Évangile, et comme tant d’autres, nous sommes invités à rencontrer Jésus, réellement. Lorsque nous avons tendance à nous rassurer dans notre vie spirituelle en nous comparant, Jésus lui nous propose une autre voie pour entrer dans le bonheur véritable ; et ce bonheur commence par accueillir une parole, comme lorsque l’on va confier un secret d’un grand poids : « Simon, j’ai quelque chose à ta dire »… « Simon, j’ai quelque chose à ta dire »… Ta logique n’est pas celle de Dieu. L’amour, la miséricorde, se moque du jugement (cf. Jc 2, 13).

Toute conversion est le fruit d’une parole qui féconde notre cœur blessé.

Et cet amour fou une fois accueilli rend possible ce qui nous semblait impossible comme le déploiement de la Résurrection du Christ. L’amour du Père pour son Fils manifeste là que la vie est plus forte que la mort.

Faire l’expérience de la miséricorde c’est puiser à la vie du Ressuscité, c’est choisir d’aimer à la manière du Christ. Notre Dieu ne se résout pas à nos situations bloquées. A nos refus de pardonner, à nos refus de demander pardon, à tout ce qui stérilise notre vie. Dieu veut plus, veut mieux pour chacun de nous. Il ne veut pas nous laisser nous étouffer par notre suffisance, nos manières de croire que l’on est en règle avec Dieu. C’est bien plus que ça la relation d’amour que Jésus nous révèle : Il n’y a pas de proportion entre le mal que nous pouvons commettre et l’amour de Dieu.

Se confesser, se laisser guérir, se laisser sauver, se laisser entraîner et guider sur la voie de la vie éternelle, ce n’est pas une corvée, c’est répondre à l’invitation de Dieu qui veut communiquer sa propre vie, son propre amour, sa propre manière de faire miséricorde. C’est ainsi que nous pourrons, à notre tour, devenir « Miséricordieux comme le Père ».

Quelles larmes et quel parfum déposerons-nous pour prendre part aux repas de l’Alliance renouvelée ?

Quelle consolation, quel soutien attendons-nous dans la foi ?… Peut-être rien d’autre que cet amour qui bouleverse la justice même de Dieu et nous permettra d’entendre : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ».

Père Emmanuel Coquet, Samedi 24 septembre 2016, Eglise de la Trinité des Monts

Questions pour approfondir

  • Quelle place tient la Parole de Dieu dans la préparation au sacrement de la réconciliation pour vous même et quand vous êtes avec les personnes que vous accompagnez (enfants, adultes…) ?
  • La miséricorde, l’amour de Dieu invite à lui répondre en vérité, à se situer comme une personne responsable. Quelle expérience ai-je du sacrement de réconciliation comme don qui rend libre ?
  • Dans mes propres expériences de réconciliation, qu’est-ce qui m’a aidé à comprendre que seul l’amour inconditionnel de Jésus vrai Dieu et vrai homme loin de me condamner m’offre un nouveau départ ?
  • Est-ce que je fais une expérience joyeuse de la tendresse de Dieu quand je reçois le sacrement de la réconciliation ? Comment est-ce que je vois, perçois cette joie de changer, de se convertir, de se rapprocher de Dieu sur le visage des enfants, des adultes ou dans leurs paroles, leurs actes quand ils ont reçu ce sacrement ?
  • Comment je montre que recevoir le sacrement de la réconciliation est un acte ecclésial ? Je ne suis pas seul (je fais partie d’un peuple en marche vers le Royaume).

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