Les Pères de l’Eglise : « très accessibles et très nourrissants pour la catéchèse aujourd’hui »
Les pères de l’Eglise et la théologie chrétienne, Michel Fédou, sj, Facultés jésuites de Paris, 2013.
Le père Michel Fédou, jésuite et professeur de patristique et de théologie dogmatique au Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris, vient de publier « Les Pères de l’Église et la théologie chrétienne ». Il nous invite à relire l’expérience de la catéchèse ancienne, notamment l’importance centrale du mystère de Pâques.
Interview de l’auteur
Quelle est pour vous la différence entre un/une « catéchiste » qui vivait à l’époque des Pères, et un/une catéchiste du XXIe siècle, qui, tous les deux, partagent la mission de transmettre la foi, toujours prêts à s’expliquer devant tous ceux qui leur demandent de rendre compte de l’espérance qui est en eux (1 P 3,15) ?
En fait, l’époque des Pères a été elle-même très diverse. Aux IIe et IIIe siècles, le christianisme n’était pas toléré dans l’empire (et les chrétiens étaient parfois persécutés) ; dans une telle situation les « catéchistes » devaient aider les catéchumènes à se libérer de beaucoup de pratiques ou de croyances « païennes » qui marquaient la vie personnelle et sociale, ce qui impliquait des formes de rupture avec des habitudes acquises. Par contre, à partir du IVe siècle, le christianisme a été toléré, puis reconnu comme religion officielle de l’empire ; les chrétiens sont devenus plus nombreux, et les catéchistes pouvaient donc s’appuyer plus facilement sur des « milieux chrétiens » ; mais le risque était aussi que, du même coup, certains catéchumènes ne réalisent plus assez les exigences de la « suite du Christ ». Aujourd’hui, dans la mesure où les chrétiens sont à nouveau moins nombreux dans nos sociétés d’Europe de l’Ouest, nous retrouvons plutôt quelque chose de la situation des IIe et IIIe siècles. Avec toutefois une différence importante : à l’époque des Pères, les non chrétiens étaient eux-mêmes attachés à toutes sortes de croyances ou de pratiques religieuses, tandis qu’aujourd’hui il y a aussi beaucoup d’incroyants ou d' »indifférents » : les catéchistes doivent tenir compte d’une telle donnée.
Dans la deuxième partie de votre ouvrage, vous proposez aux lecteurs une réflexion, intitulée « Lire les Pères aujourd’hui ». Pourriez-vous nous indiquer des pistes, comment les écrits patristiques peuvent aujourd’hui inspirer, nourrir et féconder le travail des catéchistes ?
Il est déjà heureux qu’un recueil comme « Magnificat » propose parfois des extraits de textes patristiques. Surtout, les volumes de la liturgie des heures proposent, pour l’office des lectures, de nombreux textes patristiques qui sont parfois très beaux. Je pense en tout cas qu’il faut saisir certaines occasions pour faire mieux connaître des textes patristiques :ainsi à la faveur d’une messe célébrée le jour où l’on fait mémoire d’un Père de l’Église ; ou encore, dans le cadre de groupes bibliques (par exemple, si un tel groupe a lu le récit de l’Exode sur la sortie d’Égypte, l’animateur de ce groupe pourrait très bien lui proposer de découvrir ensuite un texte patristique qui commente ce même récit). Il ne faut pas hésiter, en tout cas, à recommander la lecture de certains textes patristiques qui sont très accessibles et très nourrissants : ainsi les lettres d’Ignace d’Antioche, certaines pages de saint Irénée, la Vie d’Antoine de saint Athanase, les premiers livres des Confessions de saint Augustin (on remarque d’ailleurs que ce dernier livre a été souvent lu bien au-delà des milieux chrétiens : c’est un texte qui parle à beaucoup…). Je soulignerais enfin la responsabilité propre des théologiens : il leur revient entre autres de citer des textes patristiques, de les faire ainsi connaître à leurs auditeurs ou lecteurs, et d’en montrer la portée pour notre temps.
Les textes des Pères de l’Église sont parfois considérés comme incompréhensibles, ou difficiles à « traduire » dans le langage de notre temps. Que pouvons-nous aujourd’hui apprendre de leur manière de traduire et exprimer les vérités de la foi ainsi que de leur familiarité dans la relation avec la Parole de Dieu ?
Certes, un certain nombre de textes patristiques sont difficiles d’accès (notamment, du fait de la distance culturelle entre leur époque et la nôtre). Mais, tout d’abord, ce n’est pas le cas de tous les textes : certains écrits des Pères demeurent aujourd’hui même très accessibles. D’autre part, là même où les Pères usent d’un langage qui est marqué par la situation de leur temps, ils nous apprennent justement comment ils ont su rendre compte de la foi à leur époque et, par là même, nous aident à comprendre comment nous pouvons nous-mêmes traduire et exprimer notre foi dans nos propres situations. Nous pouvons notamment recueillir d’eux leur souci d’être à l’écoute de la Parole de Dieu : les Pères ont été de grands lecteurs de l’Écriture sainte. Nous pouvons aussi apprendre d’eux les chemins de l’expérience spirituelle, car celle-ci tient une grande place dans leurs écrits.
Le catéchuménat, la préparation aux sacrements, avant et après (catéchèses mystagogiques) dans le temps des Pères ont été des espaces privilégiés set très vivants pour la transmission de la foi. Quels éclairages donne la lecture des textes des Pères de l’Église pour l’accompagnement des catéchumènes aujourd’hui ?
Les écrits des Pères nous rendent témoinz de ce qu’a été la catéchèse dans l’Église ancienne. Non seulement ils nous informent sur cette catéchèse, mais ils nous aident à comprendre, à travers elle, la manière dont des hommes et des femmes peuvent s’éveiller à la foi, en saisir le sens, et surtout en vivre (une vie qui passe bien sûr par les célébrations des sacrements, mais qui doit rayonner dans l’ensemble de l’existence). Il y a là une source d’inspiration pour l’accompagnement des catéchumènes aujourd’hui, non pas pour que ceux-ci trouvent des réponses toutes faites dans le passé, mais pour qu’ils soient attentifs aux exigences fondamentales d’une formation à la vie chrétienne. L’un des apports majeurs de la catéchèse ancienne, par exemple, est de mettre en évidence l’importance centrale du mystère de la Pâque ; un autre apport est de souligner qu’il faut aider les nouveaux chrétiens à relire leur expérience et à saisir la portée de ce qui leur a été donné à travers les sacrements. Ce sont là des apports qui sont toujours de très grande portée pour les catéchistes d’aujourd’hui.
Quatrième de couverture de l’éditeur :
« La lecture des Pères de l’Église a apporté, dans l’histoire, des contributions majeures à la pensée chrétienne. Cette fécondité s’est notamment vérifiée au XXe siècle à travers l’oeuvre de certains théologiens comme Henri de Lubac ou Hans Urs von Balthasar. Elle s’est manifestée plus largement dans la vie de l’Église qui, avec le concile Vatican II, a puisé dans la tradition patristique une source d’inspiration pour son propre renouveau.
Cependant, alors même que les recherches et travaux sur le christianisme ancien connaissent un développement considérable depuis plusieurs décennies, la théologie chrétienne est aujourd’hui confrontée à de nouvelles questions. Ainsi,quel statut reconnaître à l’exégèse des Pères? L’écart ne s’est-il pas creusé par rapport à l’héritage de la pensée patristique? Plus radicalement, les requêtes de théologies « contextuelles » dans diverses continents n’obligent-elles pas à prendre distance par rapport à des traditions qui furent jadis limitées, pour l’essentiel, à des régions méditerranéennes ou européennes?
Si des questions doivent être entendues, elles ne sauraient pourtant dispenser la théologie chrétienne de se laisser, aujourd’hui comme hier, inspirer et féconder par les écrits des Pères. Le livre tente justement de mettre en lumière ce qui, à notre époque même, justifie la nécessité d’une théologie patristique. Il montre comment la lecture des Pères contribue à l’intelligence de la foi dans les différents champs de la pensée chrétienne. Il souligne la portée de leurs écrits pour la vie spirituelle et la précieuse nourriture qu’ils offrent ainsi à notre temps. »