La posture du catéchiste, la posture en catéchèse
« Le catéchiste devient progressivement celui qui a d’abord rencontré Jésus. Ce qui le caractérise, c’est qu’il a basculé vers « l’intérieur du mystère ». » Mgr Vincent Jordy évoque la figure et la posture du catéchiste, catéchète, accompagnateur du catéchuménat dans la transmission de la foi. Il est intervenu sur ce sujet dans le cadre de la session Perspectives catéchétiques, « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises » (Ap 2,17a).
Introduction
Je vais entrer dans la matière par un très rapide regard, en quelques phrases, autour de la question de la transmission pour légitimer ce propos sur la posture et essayer de l’éclairer.
Je vous propose d’intervenir en deux temps :
- Pourquoi une posture du catéchète ?
- Comment vivre cette posture, comment la nourrir et comment la structurer dans nos vies de baptisés ?
Pourquoi une posture de catéchète ?
A partir de la Renaissance, la transmission s’inverse : le salut vient désormais du futur et non plus du passé
Sur quatre siècles, nous avons vécu un glissement fondamental en ce qui concerne la question de la transmission. Il est intéressant de voir que l’on a inventé le catéchisme, qu’on l’a fait naître à une époque où va commencer ce qui nous conduit aujourd’hui à avoir autant de difficulté à transmettre en catéchèse.
Les catéchismes (une explication organique et aussi des moyens de transmettre, en particulier l’imprimerie) naissent avec la Réforme puis la contre-Réforme mais, au même moment, va naître aussi ce qui va rendre difficile la transmission par un glissement continu que j’aimerais analyser en quelques points.
Tout d’abord, c’est la naissance au 16ème siècle de la modernité, du projet moderne, c’est-à-dire l’émancipation de la raison, l’homme qui va s’autodéterminer par sa propre conscience. C’est à la fois la Réforme protestante qui va le permettre mais, en même temps, l’émancipation de la raison est un projet issu de la Renaissance, de la redécouverte des sources grecques et de la réflexion des philosophes.
Cette modernité est portée par une idée centrale et essentielle qui est l’idée de progrès, qui va résoudre le problème qui se pose à l’homme, qui est particulièrement celui de sa fragilité, de ses limites, de sa pauvreté devant la maladie. Aux 16ème, 17ème siècles, on sort d’une période où il y a eu les guerres de religions et auparavant les grandes pestes, de grandes souffrances. Or on est de plus en plus convaincu, depuis Francis Bacon notamment, que c’est la science, et la médecine en particulier, qui vont résoudre les problèmes de l’humanité.
Il va y avoir ici comme conséquence un profond bouleversement. Depuis l’Antiquité et la période que l’on peut appeler la Chrétienté, il y a deux réalités qui assurent le salut. Dans l’Antiquité, ce qui assure le salut est de recevoir de la communauté humaine à laquelle on appartient la mémoire de ce qu’ont vécu les héros. L’Antiquité vit le salut par l’héroïsme. On demeure vivant à travers la figure du héros. Donc, dans l’Antiquité, le salut vient du héros et l’histoire du héros est partagée par une communauté qui la transmet.
Le christianisme fonctionne d’une certaine manière sur le même modèle. Le salut vient du passé. Il est porté par une communauté. La communauté porte un message qui vient du passé. Même si, en théologie, on dira que ce message est toujours actuel, d’un point de vue historique, ce message est un message qui vient du passé. C’est le message de l’Ancien Testament et, bien évidemment, sommet de ce message, la Révélation de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu, Sauveur, mort et ressuscité pour nous. Toute cette réalité vient du passé, c’est une histoire qu’on transmet à travers le temps et qu’une communauté transmet aussi à travers des rites initiatiques à ceux qui sont les nouveaux entrants dans cette communauté c’est-à-dire les enfants et les adolescents.
A partir de la Renaissance, à partir du projet moderne, à partir du moment où on s’interroge sur le salut par le progrès, par la science, par la médecine, le salut ne va plus venir « de l’arrière », du passé, porté par une communauté. Le salut désormais est devant. C’est ce qui va venir. Tout comme nous sommes aujourd’hui en train d’attendre le salut des progrès en matière de traitements médicamenteux ou de vaccins.
A cet égard, ce renversement va opérer le début d’une glissade du point de vue des rapports sociologiques et des rapports intergénérationnels qui fait que le salut non seulement ne vient plus du passé mais qu’il n’est plus porté par la communauté. Il est désormais un salut qui vient du futur et qui devient de plus en plus un salut individualiste. Aujourd’hui, dans la société, ce sont les enfants qui disent aux adultes ce qu’ils doivent faire. C’est Greta Thunberg, ce sont les publicités où ce sont les enfants qui expliquent aux parents ce qu’ils doivent vivre ou faire.
Les conséquences de ce glissement
Le premier élément est l’élément lointain qui, peu à peu, a glissé à travers les siècles jusqu’à aujourd’hui. Le deuxième élément, c’est la crise des années 60/70. On dirait en France mai 1968, mais il a eu lieu sous d’autres modalités dans d’autres lieux en Europe. C’est ce qu’on pourrait appeler la période de libération d’un modèle social pour passer à un nouveau modèle. Cette libération a produit un certain nombre de phénomènes dont on mesure aujourd’hui les effets.
Cette génération, qui arrive à l’âge adulte en 68, a reçu une transmission importante, dans la famille, de valeurs, de repères qu’elle considère comme étant une transmission oppressante. Cette génération va rejeter ce qu’elle a reçu : on rejette une morale familiale trop étouffante, une morale bourgeoise. Cette génération, qui rejette consciemment ce qu’elle a reçu, constate que, malgré cela, elle continue à vivre et à tenir debout. Cela signifie, pour elle, que l’on peut vivre sans avoir besoin de transmettre puisqu’on tient debout sans transmission. Elle va elle-même vouloir éduquer les générations futures sans avoir à transmettre.
L’erreur fondamentale de cette époque, c’est d’avoir oublié un élément essentiel. C’est que cette génération qui avait reçu une tradition, une transmission, l’a rejetée consciemment mais a continué à tenir debout, non pas par l’opération du Saint-Esprit ou parce qu’ils auraient eu de manière inchoative des valeurs essentielles en eux-mêmes mais parce qu’ils avaient été structurés inconsciemment par ce qu’ils avaient reçu même s’ils l’avaient rejeté consciemment. Il y a donc ici quelque chose de très important : les conséquences que nous avons eues, il y a à peu près quarante ans, c’est non seulement l’inversion de la dynamique de transmission qui est devenue de plus en plus forte (avec la concentration sur la figure de l’enfant qui est celui qui va apporter le salut, avec Greta Thunberg comme modèle, comme icône) mais c’est aussi l’apparition à partir des années 1990/2000 de ce que l’on a appelé la société post-moderne c’est-à-dire une société faite de subjectivité, de relativisme, une société qui valorise beaucoup plus l’expérience que le savoir que l’on transmet.
Ce processus va aussi être marqué par le processus de sécularisation avec la remise en question des autorités qui n’ont plus à nous transmettre quoi que ce soit, qui n’ont plus à être les gardiennes du savoir. C’est la remise en question de l’enseignant, du curé, c’est la remise en question aujourd’hui de l’autorité politique. Toute autorité aujourd’hui est mise en péril comme d’ailleurs la vérité, que l’autorité est censée garantir, est mise en péril. Nous savons bien aujourd’hui que les fake-news sont partout. Yuval Harari dit, dans Homo deus, que la Bible est la première des fake-news de l’histoire. C’est comme cela que la Bible est vue à travers certains réseaux sociaux.
Nous sommes à une époque où ce n’est plus la fonction qui porte la personne mais la personne qui porte la fonction. C’est la manière dont vous allez habiter votre fonction qui va lui donner une crédibilité. La crédibilité ne vient pas du fait qu’une institution vous a conféré une fonction.
Nécessité d’une nouvelle évangélisation
Ici se situe la prise de conscience de la nécessité de la nouvelle évangélisation que nous a apportée en particulier le pape Jean-Paul II, c’est-à-dire la prise de conscience que cette sécularisation, que cette fragilisation de la transmission peu à peu a des conséquences sociologiques et anthropologiques déterminantes avec l’arrivée d’un nouveau modèle d’homme qui n’a plus de terreau, qui n’a plus de culture, qui n’a plus de racines, qui vit dans une société dite « liquide » selon l’expression du sociologue allemand Zygmunt Bauman.
Nous sommes devant une personne qui ne peut plus être rejointe par les transmissions traditionnelles parce que cette transmission est fragilisée et parce que cette personne elle-même n’est plus sensible nécessairement d’abord à des notions ou à des arguments de raison mais plus à la question de l’expérience et du lien.
D’où l’inflexion fondamentale du DpC qui est la conséquence de tout ce mouvement c’est-à-dire qui vient assumer pleinement la manière dont l’Église, face à ce défi, (de manière très forte à partir de Jean-Paul II et la question de la nouvelle évangélisation mais qui était déjà présente dans le concile Vatican II et chez Paul VI dans Evangelii nuntiandi) dit, face à ce nouvel homme, face à cette culture qui n’existe plus, la nécessité d’une nouvelle évangélisation. Cette nouvelle évangélisation demande fondamentalement de faire résonner le kérygme, de faire résonner la Bonne nouvelle et d’initier un processus qui permette la rencontre de Jésus. C’est la rencontre personnelle avec la personne Jésus qui devient l’élément déterminant et non pas d’abord la transmission de notions, la transmission d’un contenu.
Le DpC nous fait comprendre que la catéchèse est au cœur de l’évangélisation, de cette nouvelle évangélisation dont le Pape François nous donne la clef au §1 d’Evangelii gaudium quand il nous dit : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus ». L’essentiel se joue dans la rencontre de Jésus. Cette rencontre produit de la joie mais, si cette rencontre ne s’opère pas, « le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée » (EG §2). Pour cette raison, le Pape François invite solennellement, avec des accents presque gaulliens, « chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse » (EG §3).
Cette intimité avec Jésus à rechercher chaque jour sans cesse devient la clef. D’où la posture du catéchiste.
Posture du catéchiste
Le catéchiste devient progressivement celui qui a d’abord rencontré Jésus. Ce qui le caractérise, c’est qu’il a basculé vers « l’intérieur du mystère ». Il est celui qui a fait une rencontre personnelle, spirituelle, existentielle pour lui-même mais aussi qui va féconder ce qu’il va vivre comme mission avec les autres. Cette rencontre avec Jésus, qui va transformer sa vie, va faire que c’est le témoignage de vie qui devient à ce moment-là essentiel. Paul VI l’avait déjà énoncé dans Evangelii nuntiandi en 1975 quand il disait : « le monde d’aujourd’hui a plus besoin de témoins que de maîtres ».
Mais comme Paul VI n’était pas marxiste, il n’opposait pas les deux et il disait : « tant mieux si les témoins sont des maîtres ». L’un n’empêche pas l’autre. Le témoignage du catéchiste, le témoignage de celui qui annonce la foi, n’empêche pas un donné, un contenu mais ce n’est pas le contenu qui va rejoindre celui qui va recevoir l’annonce et la Bonne nouvelle, c’est d’abord la manière d’être du catéchiste, la manière d’être de celui qui a compris qu’il est appelé (qu’il soit catéchiste, qu’il soit prêtre, quelle que soit sa place dans l’Église) à être avant toute chose un disciple-missionnaire, c’est-à-dire un disciple de Jésus, qui a rencontré Jésus comme les pèlerins d’Emmaüs, qui a eu sa vie transformée et qui, parce qu’il a eu sa vie transformée, parce que la joie de Jésus est entrée dans sa vie, parce que la communication de la grâce, de la joie s’est faite, a désormais une joie dans le cœur qu’il ne peut pas garder pour lui. Au nom de quel égoïsme garderais-je la joie que m’a procurée la rencontre de Jésus si cette rencontre change effectivement quelque chose dans mon existence ?
Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg, disait souvent : « Si être chrétien est un ennui de plus dans la vie, ce n’est pas étonnant que personne n’ait envie de le devenir ». Le christianisme n’est pas un ennui de plus, ce n’est pas d’abord de la morale, ce n’est pas d’abord un savoir, ce n’est pas non plus d’abord un engagement. Un engagement sans être relié à Jésus donne des gens fatigués.
L’essentiel est un chemin de type catéchuménal pour le catéchiste. C’est un chemin initiatique, progressif, c’est un processus pour que cette rencontre initiale de Jésus, qui va se poursuivre durant toute la vie, nourrisse la personne dans cette dimension vitale, avec par moment des avancées, avec par moment des reculs (c’est le combat spirituel que j’évoquerai plus dans ma seconde partie) mais qui permet d’entrer dans cette dimension catéchuménale, mystagogique dans laquelle va se jouer le témoignage.
Je terminerai par le souvenir d’un échange au Séminaire français à Rome avec le Cardinal Decourtray. Il nous avait dit quelque chose qui m’a beaucoup marqué, qui est pour moi de l’ordre de la mystagogie dans la liturgie de la vie quotidienne. Il nous a dit : « J’ai compris qui était Jésus quand j’ai vu un jour mon père, alors que j’étais tout petit, s’agenouiller devant une croix ».
Le catéchiste, le catéchète qui accompagne des enfants, ne parle pas seulement par des mots, il parle par tout son être, il « transpire » sa relation au Christ. Le corps, sacrement de l’âme, disait Jean-Paul II. C’est le premier élément de cette posture du catéchiste.
Comment vivre cette posture ? Comment la nourrir ? Comment la structurer dans nos vies de baptisés ?
Pour vivre la posture, il s’agit d’entrer dans l’être plutôt que dans le faire, même si le faire est important aussi car il vient parfois vérifier l’être. Cette cohérence est importante.
J’aimerais développer cette partie en deux points : le renversement, la conversion que nous sommes appelés à vivre et l’enracinement dans une relation vivante avec Jésus.
Vivre une conversion
Entrer dans la dynamique des textes du magistère sur l’évangélisation qui existent depuis plus de 40 ans, c’est comprendre qu’être catéchiste, c’est avoir fait la rencontre de Jésus. Cette rencontre nous transforme, nous fait goûter la joie de l’Évangile et fait que cette joie déborde désormais de notre vie, même si le Pape François dit que c’est aussi légitime que, par moments, cette joie soit plus ténue parce que le fait d’avoir rencontré Jésus ne résout pas immédiatement tous nos problèmes, même si cela permet de les traverser d’une autre manière. Il est normal que, lorsque l’on vit des événements douloureux, la joie ne soit pas aussi vive et aussi forte, même si parfois, même dans les moments les plus douloureux, la joie demeure. L’un des textes les plus fameux de la littérature spirituelle est la Joie parfaite des Fioretti de Saint François d’Assise. Si vous allez lire ce texte ou si vous l’avez lu, il vous montre combien la joie cohabite avec des épreuves spirituelles douloureuses.
Le premier point, c’est cette metanoia, cette conversion à opérer pour entrer vraiment dans cette dynamique nouvelle, cette dynamique des disciples-missionnaires. Cette metanoia, ce renversement n’est pas une option puisque nous sommes dans un monde où la culture qui porte encore un tout petit peu n’existe plus partout. On rencontre encore dans les territoires des endroits où des mamans catéchistes, des grand-mères font une catéchèse merveilleuse qui ressemble plus à celle qui devait se faire il y a trente ou quarante ans qu’à un autre modèle. La transmission peut s’opérer parce qu’il y a encore des écosystèmes familiaux, villageois ou de quartiers qui fonctionnent. Mais, de manière générale, cette réalité d’une culture ambiante, d’un bain ecclésial qui porte suffisamment n’est plus possible partout. On se retrouve aujourd’hui dans une très grande fragilité : où chercher des témoins ? C’est une des questions que nous avons à nous poser.
Ce qui est le cœur de l’entrée dans ce processus de conversion, c’est un processus catéchuménal, un cheminement spirituel qui, comme l’a rappelé le pape François, s’appuie, en utilisant une métaphore musicale, sur la « basse continue » du kérygme. Le Pape nous a bien rappelé que le kérygme n’est pas un moment de la vie catéchétique, le kérygme est ce qui la sous-tend de manière continue et à quoi nous revenons sans arrêt, en le modulant et en le partageant de manière diverse, avec des formulations diverses, des manières de le dire diverses mais qui chacune nous font toujours rejoindre ce qui est le cœur de la foi, c’est-à-dire : Jésus, qui est le Fils de Dieu, qui nous aime, qui a donné sa vie pour nous et qui veut devenir le Seigneur de nos existences et vivre une amitié avec nous.
Il s’agit donc d’être, de vivre et de rentrer dans cette relation avec le Christ, de goûter cette joie afin qu’elle devienne véritablement communicative dans nos vies parce que, ce qui est essentiel, est ce qui va émaner du catéchiste et ce qui émane du catéchiste ce sont tout simplement, dans notre théologie spirituelle, les fruits de l’Esprit Saint : la paix, la joie, l’amour, la bonté, la bienveillance, la maîtrise de soi, la confiance.
Car l’évangélisation s’opère par attraction. Le pape François nous le rappelle souvent mais c’est le pape Benoit XVI qui a utilisé le premier cette expression. C’est cela la mystagogie, le mystère du travail de la grâce en nous. Celui qui a fait la rencontre de Jésus est transformé, il vit de Jésus. Ce n’est plus lui progressivement qui vit, c’est un autre qui vit en lui (Ga 2,20). C’est la croissance de la sainteté dans la personne qui a fait la rencontre de Jésus, une croissance qui se joue en partie à son insu. Personne ne se voit devenir saint. Si vous vous voyez devenir saint, la première chose à faire est de commencer à consulter !
La transformation qui s’opère dans la rencontre avec Jésus est une transformation qui fait que, peu à peu, un autre vit en nous, que sa grâce opère en nous et se manifeste par les fruits de l’Esprit, par la sainteté – « le plus beau visage de l’Église », dirait le pape François dans Gaudete et exsultate – qui est véritablement le mode d’attraction, le mode par lequel va passer le mystère du Christ.
Enzo Bianchi parle d’évangélisation, de transmission par capillarité, c’est-à-dire de personne à personne dans l’intimité du dialogue à propos de Jésus. Et cela passe par la vraie expérience de la rencontre de Jésus qui se reconnaît à la joie de l’Évangile. Cette joie est quelque chose d’assez mystérieux mais dont j’aime bien donner la définition que donnait le cardinal Martini. Il disait : « La joie, c’est ce qui rend tout facile », c’est-à-dire ce qui vient nous dilater de l’intérieur et qui va nous donner cette cohérence de vie chrétienne.
J’entendais un jour un prédicateur qui disait que la force de Jésus est qu’il vit ce qu’il dit, et qu’il dit ce qu’il vit. Le catéchiste qui va pouvoir avoir un impact sur ceux qui lui sont confiés est celui dont la vie est cohérente avec ce qu’il dit.
C’est la raison pour laquelle il s’agit de vivre en profondeur cet être catéchiste qui demande bien évidemment, et c’est une chose très importante, d’avoir un triple amour : d’abord, un certain amour de soi-même, une certaine estime de soi, savoir s’accueillir dans un regard de foi, dans un regard théologal c’est à dire consentir à s’aimer tel qu’on est avec ses pauvretés qui sont parfois autant de chances.
L’être catéchiste passe également, bien évidemment, par l’amour de Jésus, par la rencontre amoureuse de Jésus dont nous avons parlé. Il passe aussi par un véritable amour de l’Église. On ne peut pas véritablement être catéchiste sans un certain amour de l’Église malgré ses limites et ses pauvretés que nous connaissons tous. J’aime bien là aussi ce que disait le cardinal Martini : « Quand vous avez du mal à aimer l’Église, commencez par vous rappeler, première chose, que, sans institution, il n’y a rien qui tienne dans le temps et, deuxième chose, que c’est de cette institution là que vous avez tout reçu à propos de Jésus ».
La transmission, la traçabilité dans l’histoire, c’est l’Église catholique, avec l’Église orthodoxe, qui l’a assurée. C’est par elle que nous avons reçu le visage du Christ. L’Église, disait Mgr Martini, c’est aussi le mystère pascal du Christ et c’est normal qu’il y ait par moment des accents de Passion, de dépouillement et par moment des accents de résurrection.
S’enraciner dans une relation vivante avec Jésus
Deuxième chose qui me paraît importante dans cette posture du catéchiste, dans cet être catéchiste : il y a non seulement ce renversement, cette conversion fondamentale et première qui nous fait apprendre à nous aimer nous-mêmes, à aimer Jésus et à aimer l’Église et la mission qui nous est donnée, mais il faut ensuite entretenir cette relation vivante avec Jésus. La qualité de notre vie spirituelle va être de plus en plus la condition sine qua non de l’avenir de l’Église. On a souvent dit d’André Malraux qu’il aurait dit que le 21è siècle serait spirituel ou ne serait pas. Il semble que la formule ne soit pas historique ; par contre, on a une formule assurée du grand théologien allemand Karl Rahner qui a dit que le chrétien du 21ème siècle « sera mystique ou ne sera pas ». Il est fondamental de comprendre cette importance de la vie spirituelle.
Les évêques avec qui j’en parle sont parfois inquiets de cette exigence mais je pense que dans les années qui vont venir ce sera ça ou rien. À la fin des temps, Yahvé vomira les tièdes selon l’Apocalypse. Il y a une sorte d’entre-deux aujourd’hui qui malheureusement ne peut plus rien produire. Il est donc très important de comprendre que nous avons à nous motiver les uns les autres. C’est cela la grâce de l’Église, d’être en Église, de nous motiver pour nous rappeler que la conversion spirituelle est vitale.
En tout cas, j’aimerais pour terminer ce point vous dire deux choses : cet enracinement dans la relation vivante à Jésus, cette condition sine qua non de l’être catéchiste par la vie spirituelle passe d’abord par une qualité de vie intérieure. Cela passe, comme le disait déjà le pape François en 2013, par une familiarité avec Jésus, par apprendre à demeurer en lui, avec lui. Cela demande de passer par une connaissance amoureuse de Jésus, de donner une place à la Parole lue pour connaître Jésus de manière intime (avant toute exégèse, même si celle-ci est un moment nécessaire). Cela demande surtout de parler à Jésus, de passer du temps avec lui, non seulement de « faire des prières », mais de le prier et d’entrer dans un dialogue avec lui.
Il ne s’agit pas seulement d’aimer Dieu mais de se laisser aimer par lui et donc d’arriver à entrer dans une intimité avec lui. Je le dis souvent dans mes retraites avec des prêtres ou des personnes consacrées : quand, pour la dernière fois, avez-vous dit à Jésus « Je t’aime » ?
Au bord du lac de Galilée en Jn 21, la dernière et ultime chose que Jésus a demandé à l’apôtre Pierre pour le reconfirmer dans sa mission, c’est cet amour : « M’aimes-tu ? ». C’est un amour qui peut aller jusqu’au martyre, c’est-à-dire à la nécessité de mourir à soi-même. Qu’est ce qui doit mourir dans ma vie pour que l’amour de Jésus vive ? C’est toute la dimension ascétique, la dimension de conversion de cette vie.
Il faut donc travailler sa vie spirituelle, cette familiarité avec Jésus qui passe par la Parole, par la prière, par l’amour concret de Jésus et puis, il y a la dynamique de sainteté. Ce n’est pas par hasard que le pape François nous a donné, après Evangelii gaudium, Gaudete et exsultate, pour nous rappeler que, dans l’Église, la vocation fondamentale de tout baptisé est l’appel à la sainteté. Et toutes les missions de l’Église, dont la mission de catéchiste, s’articulent sur une manière de vivre l’unique vocation à la sainteté dans l’Église. Cela signifie pour nous être toujours tourmentés par la question de la sainteté, tourment positif qui est le moteur intérieur de notre vie. Il ne faut jamais consentir à se résigner à ne pas être saint, sachant que la sainteté peut prendre des formes différentes. Comme le dit le pape François, il y aura toujours des modèles de sainteté très forts, des martyrs, des Mère Térésa mais il y aussi ce qu’il appelle la sainteté de la porte d’à côté, la classe moyenne, les « gilets jaunes » de la sainteté, tous ceux et celles qui, chaque jour, essayent, et parce qu’ils essayent chaque jour, finiront à leur insu par être ce qu’ils n’auraient jamais espéré être.
Un merveilleux apophtegme des Pères du désert (vous connaissez certainement la tradition des apophtegmes, ces petites histoires de sagesse destinées à transmettre la spiritualité chrétienne) : lorsqu’un jeune moine interroge un ancien, considéré comme un sage, un saint, sur ce qu’il fait au monastère depuis tant d’années, celui-ci lui répond que, sans cesse, il tombe et se relève. Le saint est un têtu de l’amour et de la miséricorde ; c’est celui qui se relève toujours. Jésus n’est pas fils du Père aux 35 heures. Jésus est constamment orienté vers le Père et nous sommes appelés à être constamment orientés vers le Fils, dans la puissance de l’Esprit, pour que le Père trouve en nous sa joie. La vocation chrétienne, la sainteté, c’est donner de la joie au Père.
Cela demande, et c’est cela la posture du catéchiste, de « transpirer » cette réalité de la sainteté, de « transpirer » sa rencontre avec Jésus. Paul VI insistait beaucoup dans Evangelii nuntiandi sur la question de la parrêsia que reprend très souvent le pape François, c’est-à-dire la ferveur. Il ne s’agit pas d’être exalté mais il s’agit de se poser la question le matin devant une glace : où est la joie de l’Évangile dans ma vie ? Dans le diocèse dans lequel j’étais, il y avait un groupe chrétien qui venait souvent me voir et qui réfléchissait à la foi de manière très sérieuse, presque trop sérieuse. Un jour, ils m’ont demandé ce que je pensais de leur groupe. Je leur ai répondu que je cherchais vraiment la joie de l’Évangile chez eux. C’était un peu dur mais ils m’ont écrit trois jours plus tard que je leur avais fait un vrai cadeau parce que c’était une question qu’ils ne s’étaient jamais posée.
Où en est la joie dans notre vie ? La posture du catéchiste, qui est un agent pastoral, mérite d’être interrogée à la lumière des paragraphes 78 à 101 d’Evangelii gaudium sur les tentations des agents pastoraux. Quelles sont les tentations des catéchistes dont parle le pape François ? Tentation d’une préoccupation exagérée pour soi-même, tentation d’acédie par moments, tentation de pessimisme stérile… Cela vaut la peine de relire tout cela et de se demander où l’on en est.
Si c’est la joie de l’Évangile qui est communicative, si c’est elle qui est l’être même du catéchiste comme de tout disciple missionnaire, il faut que cette joie soit diffusive, qu’elle nous donne de sortir de nous -mêmes, d’être en sortie pour partager et témoigner.
Cette joie, il faut le rappeler, est à la fois un précepte (Soyez toujours joyeux ! La joie aussi cela se travaille, cela s’entretient) et aussi, et d’abord, le don de la grâce, le don de l’Esprit. C’est cette joie, cette grâce qui finalement transforme notre cœur et non seulement nous rend transparent à la présence du Christ en nous (c’est elle qui va toucher) mais nous rend aussi intelligent et nous donne force dans la mission.
Conclusion
Je n’ai pas voulu vous faire un cours sur la vie spirituelle mais vous partager, en tant qu’évêque, ce qu’il m’est arrivé de dire dans le diocèse où j’étais auparavant. Aujourd’hui, c’est un plus difficile de dire à cause du masque et de la difficulté de se rencontrer.
Mais on va y arriver quand même !