Le combat spirituel dans la Tradition de l’Église : un éclairage actuel avec le pape François
A ce stade de la session sur le combat spirituel, il est venu pour nous le temps d’aller interroger le Magistère récent. Nous le ferons en regardant ce que le pape François nous dit sur deux « maladies » de ce temps : le gnosticisme et le pélagianisme. A partir de là, nous nous laisserons interpeller sur l’articulation combat, sainteté et salut. Enfin, nous revisiterons nos pratiques catéchétiques à l’école de la joie, catégorie si chère au pape François.
Le combat spirituel à comprendre par rapport à notre vocation à la sainteté
Nous travaillons sur une notion qui ne nous est finalement pas si familière : le combat spirituel. Il semble important de retracer les étapes parcourues depuis le début de la formation avant d’entrer dans ce nouveau temps.
Avec le père Patrick Goujon, nous nous sommes redits que la vie était marquée par de nombreux combats au point qu’être humain, c’est être engagé dans des combats de tous ordres, qui nous marquent. Chacun peut, de manière personnelle et en le partageant avec autrui faire le point sur quelques-uns de ces combats et les accueillir de manière la plus apaisée possible.
Ensuite, grâce au père Gaultier de Chaillé, nous avons replongé dans les évangiles pour y découvrir que Jésus Christ, le Fils de Dieu et le médiateur du salut avait été lui-même, de manière unique, engagé dans des combats qui ont marqué sa vie et son ministère. Il est heureux que nous ayons redécouvert qu’il avait mené des combats semblables aux nôtres, liés à sa condition d’homme. Plus encore, nous avons évoqué le lieu de son combat qui nous intéresse au plus haut point puisque qu’il conditionne notre accès au salut. Que ce soit dans le récit des tentations, dans l’épisode de la tempête apaisée ou dans les récits de la Passion, le Christ s’est engagé librement, par amour pour son Père et par amour pour tous les hommes, et a combattu les forces du mal qui s’opposent au dessein trinitaire de salut. Par toute sa vie et singulièrement par sa mort et sa résurrection, il a vaincu le diable pour nous introduire à la vie divine et nous obtenir le salut gratuit et inconditionnel.
Nous entrons à présent dans un temps nouveau destiné à nous faire franchir une nouvelle étape, essentielle à l’approfondissement de notre compréhension juste du combat spirituel qui nous marque en tant que baptisés. Pour cela, il convient de faire un rapide retour sur un événement de l’histoire de l’Église qui nous aide à penser cela de manière forte : le Concile Vatican II. Ce concile a permis de repenser – notamment – la place de l’Église dans le monde qui ne se veut pas en opposition mais en dialogue (repensons à l’expression de Paul VI dans sa première encyclique Ecclesiam Suam : « L’Eglise se fait conversation »). L’une des constitutions majeures de ce concile – la constitution dogmatique Lumen Gentium sur l’Église fut promulguée le 21 novembre 1964. En réfléchissant sur elle-même, l’Église a défini à frais nouveaux comment elle se pense comme un mystère voulu et institué par le Seigneur et se reçoit comme peuple de Dieu. Au cœur de cette constitution, le chapitre 5 révèle la vocation propre de tous les baptisés, quels qu’ils soient, et quelle que soit leur appartenance à l’Église : il s’agit de la vocation universelle à la sainteté dans l’Église. Réentendons les mots qui doivent, aujourd’hui, nous habiter parce qu’ils conditionnent notre rapport à Dieu, au prochain et au monde : « Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur forme de vie ; dans la société terrestre elle-même, cette sainteté contribue à la promouvoir plus d’humanité dans les conditions d’existence ». Autrement dit, si nous saisissons l’ampleur de cette affirmation, tout baptisé est appelé à devenir saint et c’est ce qui fait sa dignité propre. Entendons cela avec gravité. Si donc nous acceptons de nous engager à devenir saint « comme [notre] Père est saint » (Mt 4, 48), alors, inévitablement, le combat dans lequel le Christ fut engagé de manière singulière, est désormais nôtre.
Plus encore, pour nous ici présents, qui participons à la mission du Christ d’une manière particulière, l’appel à la sainteté revêt un caractère particulier. Appelés par nos évêques à une mission ecclésiale en catéchèse, catéchuménat, éveil à la foi, il nous faut consentir à ce que ce combat du Christ soit nôtre de manière plus intime encore. Faisons référence, encore, à Lumen Gentium : « Il faut y ajouter les laïcs choisis par Dieu qui, pour se livrer pleinement aux travaux de l’apostolat, sont appelés par l’évêque et travaillent sur le champ du Seigneur, en y faisant beaucoup de fruits » (LG 41). La belle mission qui nous est confiée nous fait entrer en proximité avec le Dieu trinitaire de manière responsable.
Le pape François – premier pape à ne pas avoir participé au concile Vatican II – ne cesse de s’inscrire dans l’héritage de cet événement et est un « promoteur » zélé des acquis de Vatican II. Il exhorte chaque disciple missionnaire à travailler à sa propre sainteté, non dans un esprit individualiste, mais pour faire fructifier le salut une fois pour toutes offert, pour en témoigner et pour que ce témoignage soit attractif pour tous les hommes et leur donne de connaître Jésus Christ. Nous allons nous intéresser à un document du magistère ordinaire du pape François : l’exhortation apostolique Gaudete et exsultate (La joie et l’allégresse) parue le 19 mars 2018. Ce texte est un bijou que nous devons lire, relire, méditer et mettre en œuvre. Parce que « sainteté est le visage le plus beau de l’Église » (§9) le pape François fait part de son « humble objectif, [qui est] de faire résonner une fois de plus l’appel à la sainteté, en essayant de l’insérer dans le contexte actuel, avec ses risques, ses défis et ses opportunités. » (§2). Tous les saints « de la porte d’à côté » (§6) qu’il cite nous font du bien car ils nous aident à comprendre que « ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu » et constituent la « classe moyenne de la sainteté » ! Nous sommes cette classe moyenne : alléluia !
Après avoir insisté sur le fait que « pour être saint, il n’est pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuse et religieux » (§14) parce que « nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun de trouve » (§14), le pape entre dans le vif du sujet de ce qui constitue des obstacles à la sainteté.
Hérésie, vous avez dit hérésie ?
Le deuxième chapitre de l’exhortation a pour objectif de nous présenter et de nous mettre en garde contre « deux ennemis subtils de la sainteté ». Ces ennemis sont en réalité deux hérésies, qui datent – dans leur forme originelle – des premiers siècles du christianisme, mais qui resurgissent aujourd’hui avec une certaine forme et sous une forme un peu renouvelée. Déjà le document Placuit Deo de la Congrégation pour la doctrine de la foi rappelait que : « même s’il existe une grande différence entre le contexte sécularisé d’aujourd’hui et celui des premiers siècles au cours desquels sont nées ces hérésies [il n’en demeure pas moins que] le gnosticisme et le pélagianisme représentent des dangers permanents de déformation de la foi biblique » (§3).
Avant de s’appliquer à les décrire, il convient de rappeler ce qu’est une hérésie, pour éviter de se sentir peu concerné par l’affaire. En effet, en consultant le glossaire du site de la CEF nous voyons que l’hérésie – du grec airesis qui signifie choix ou objet choisi – est la négation ou le refus délibéré d’une proposition de la foi catholique définie par l’Église comme vérité révélée. Autrement dit l’hérésie consiste à nier ou à refuser de croire à une vérité révélée. Cette hérésie ne concerne donc pas ceux qui ne partagent pas la foi en Dieu trine mais bien ceux qui, tout en étant baptisés, refusent de croire – à l’invitation de l’Église – à l’une des vérités concernant le salut ! Nous pouvons donc, par conséquent, être des hérétiques qui s’ignorent…
Définitions
Le deuxième chapitre de Gaudete et Exsultate s’intitule donc : « Deux ennemis subtils de la sainteté ». Rien que ce titre indique bien la détermination du pape à donner un nom (deux noms) à des lieux de combats à la fois antiques et toujours contemporains (le gnosticisme et le pélagianisme) et d’emblée il indique qu’ils sont subtils, donc qu’il s’agit de les détecter pour pouvoir les combattre. Autant dire également qu’il faudra bien plus qu’une petite intervention pour aller au bout d’une définition et d’une compréhension.
Gnosticisme
Les paragraphes 36 à 46 de Gaudete et Exsultate, tout d’abord, traitent du gnosticisme .
Prenons quelques instants pour tenter une définition (trop rapide) de la gnose.
Le nom « gnose », veut dire « connaissance » en grec.
Comme le disait l’autre, dans « il y a un os dans le gnosticisme » … La gnose, comme hérésie, est constituée de multiples influences, philosophie, religions orientales, judaïsme hétérodoxe … Les pères de l’Eglise critiquent beaucoup la gnose, ils s’y opposent et c’est ainsi qu’on connait leurs adversaires. Il est dénoncé dans ces courants gnostiques, l’idée que la vérité à chercher est à l’intérieur de soi, du sujet, (ce que dénonce le pape en parlant du « subjectivisme exagéré » n.36) et que l’on puisse se sauver soi-même par une connaissance appropriée. Les Pères critiquent le fait que les gnostiques méprisent ce qui est créé, comme la chair, la matière, en disant que cela est mauvais. Les grands Conciles, en précisant et formulant la doctrine au sujet de la Trinité, vont aider à combattre et à pointer du doigt ce qui est hérésie dans la gnose.
Le gnosticisme est la doctrine selon laquelle une certaine connaissance apporte à l’homme le salut. Il s’agit d’un ensemble des doctrines dualistes qui, durant les premiers siècles du christianisme, ont été rejetées comme hérétiques par l’Église. Il est reproché au « gnosticisme » de prétendre atteindre au salut et à la perfection sans effort moral, sans une véritable transformation de l’homme.
Les pères de l’Eglise considéreront que la connaissance est une bonne chose et en est même la marque du progrès spirituel (il suffit de penser à saint Augustin). Mais la vérification de ce qui est bonne connaissance se fait par la marque de la charité, par la fréquentation des écritures, la contemplation, avec une action pour le prochain. C’est bien ce que rappelle le pape François au paragraphe 37 : « Grâce à Dieu, tout au long de l’histoire de l’Eglise, il a toujours été clair que la perfection des personnes se mesure par leur degré de charité et non par la quantité des données et des connaissances qu’elles accumulent ».
Dans le NT il est question d’une « bonne » gnose. Jésus invite à connaitre le père et son envoyé le Fils. Paul dit qu’il a reçu la connaissance du mystère. A l’inverse, Paul dénonce la « fausse » gnose, dans 1 Tim, une hérésie, qui est une façon détournée de présenter le mystère de Dieu, avec souvent une approche plus philosophique et qui perd de vue le centre de la foi chrétienne. Le gnostique est convaincu d’avoir en lui une étincelle divine qui provient du premier principe. Cette étincelle divine remonte, c’est sa définition du salut. Il va devoir être initié à une connaissance délivrée qu’à une élite et qui se formule dans des termes spécifiques.
Le pape François n’hésite pas avec des termes forts à dénoncer quand le subjectivisme, quand le sujet enfermé dans l’immanence de sa propre raison ou de ses sentiments domine (voir paragraphe 36). Il a des mots forts : « Il s’agit d’une superficialité vaniteuse » (38) et qui peut toucher tout le monde, des laïcs des paroisses en passant par ceux qui enseignent la philosophie ou la théologie dans les centres de formation (39). Et il donne ce points d’attention : « Une chose est un sain et humble usage de la raison pour réfléchir sur l’enseignement théologique et moral de l’Évangile ; une autre est de prétendre réduire l’enseignement de Jésus à une logique froide et dure qui cherche à tout dominer ». Le pape dit au sujet du gnosticisme qu’il s’agit « d’une des pires idéologies » qui à la fois met en avant la connaissance et la propre vision de la réalité comme perfection (n.40). Il écrit : « Peut-être, sans s’en rendre compte, cette idéologie se nourrit-elle elle-même et sombre-t-elle d’autant plus dans la cécité. Elle devient parfois trompeuse quand elle se déguise en spiritualité désincarnée ».
Un lieu de vérification de notre rapport au gnosticisme se trouve dans cet « examen de conscience proposé au numéro 41 : celui qui a réponse à toutes les questions n’est pas sur un chemin sain et il est possible qu’il soit « un faux prophète utilisant la religion à son propre bénéfice, au service de ses élucubrations psychologiques et mentales ». Le pape François rappelle que Dieu nous dépasse indéfiniment et qu’il est toujours une surprise ! Voilà une piste « à coller sur le frigo » quand on est catéchiste ou accompagnateur de catéchumènes.
Il rappelle ensuite qu’il y a des limites à la raison. Que nous resterons toujours dans une pauvreté en matière de connaissance de Dieu (n.43). Et voilà une citation fort éclairante pour notre session sur le combat spirituel : « En réalité, la doctrine ou mieux, notre compréhension et expression de celle-ci n’est pas un système clos, privé de dynamiques capables d’engendres des questions, des doutes, des interrogations et les question de notre peuple, ses angoisses, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupation, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation. Ses questions nous aident à nous interroger, ses interrogations nous interrogent ». Il cite alors deux figures de sainteté : Jean-Paul II (45) en rappelant qui invitait à se déjouer du piège que croire que l’on ait plus avancé dans la sainteté au titre de nos connaissances, meilleurs que la masse ignorante et saint François d’Assise qui écrit à saint Antoine de Padoue qui percevait la tentation « de transformer l’expérience chrétienne en un ensemble d’élucubrations mentales qui finissent par éloigner de la fraîcheur de l’Évangile ».
Et le pape François termine en citant saint Bonaventure : « Il y a une activité qui, en s’unissant à la contemplation ne l’entrave pas, mais la favorise ainsi que les œuvres de miséricorde et de piété. »
Pélagianisme
La seconde hérésie qui nous occupe est celle du pélagianisme. Une session entière mériterait que nous nous intéressions à cette seule hérésie qui date du IVe siècle. Au départ, c’est le moine Pélage qui s’oppose à saint Augustin et entre les deux théologies s’affrontent.
Pélage part de la création et affirme que l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, vient au monde avec une âme qui n’est pas atteinte par la faute d’Adam et dont seul le corps est de condition mortelle. Pour lui l’homme est donc doté d’une liberté et d’une raison qui lui confèrent la capacité d’exécuter volontairement le dessein de Dieu et, par conséquent, de mériter le salut. Ce faisant la volonté (on pourrait dire le libre-arbitre, c’est-à-dire la capacité à choisir entre le bien et le mal) est exaltée de telle façon que la grâce divine paraît inutile. Cette théologie, vous l’aurez compris, met en question la place de la médiation salvifique du Christ : le Christ n’est plus – dans ces conditions- le médiateur du salut mais un simple modèle à imiter. La grâce divine est minimisée.
Augustin, pour contrer Pélage, s’appuie lui sur la théologie de la rédemption. Il met l’accent sur la nature humaine, blessée par le péché, incapable de faire le bien sans le secours de la grâce offerte par le Rédempteur. Ce sera à l’occasion de cette très forte controverse qu’Augustin thématisera la doctrine du péché originel et affinera la théologie des sacrements. Pour lui le Christ renouvelle l’homme jusqu’à la racine de son être par la grâce du baptême : « Bref, comme par la faute d’un seul ce fut pour tous les hommes la condamnation, ainsi par l’œuvre de justice d’un seul, c’est pour tous les hommes la justification qui donne la vie » (Rm 5, 18). Ce qu’il nous faut absolument saisir c’est qu’Augustin comprend le salut comme un don gratuit que nul homme ne peut mériter par lui-même et qui renverse une situation dans laquelle tout homme est plongé à sa naissance.
Vous voyez où le pape veut nous conduire quand il évoque cette hérésie encore à l’œuvre dans nos cœurs. Il dénonce « [la] volonté sans humilité » (§49) de ceux qui « font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique » (§49) … Le pape François dresse la liste un peu glaçante des nouveaux pélagiens, « ces chrétiens qui s’emploient à suivre un autre chemin » (§57) : celui de la justification par leurs propres forces, celui de l’adoration de la volonté humaine et de ses propres capacités, ce qui se traduit par une autosatisfaction égocentrique et élitiste dépourvue de l’amour vrai.
Les attitudes sont également évoquées : l’obsession pour la loi, la fascination de pouvoir montrer des conquêtes sociales et politiques, l’ostentation dans le soin de la liturgie, de la doctrine et du prestige de l’Église, la vaine gloire liée à la gestion des affaires pratiques, l’enthousiasme pour les dynamiques d’autonomie et de réalisation auto-référentielle (§57).
Les mots sont durs et, peut-être, nous réalisons avec un certain effroi que nous sommes parfois au nombre de ces nouveaux pélagiens ! Mais ces mots touchent juste car ils évoquent « l’absence de la reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites [qui] empêche la grâce de mieux agir en nous » (§50). La grâce, précisément, qui ne « fait pas de nous, d’un coup, des surhommes » (§50) mais « agit historiquement et […] nous transforme de manière progressive. » (§50)
Le pape François rappelle à bon droit que cette hérésie, condamnée en 418, est dangereuse car elle nous voile le fait que « le don de la grâce ‘surpasse les capacités de l’intelligence et les forces de la volonté humaine’ » (§54) : entre le Seigneur et les créatures que nous sommes, nulle mesure : la différence est abyssale mais elle ouvre à la gratitude qui doit nous habiter pour ce don reçu, que nous ne méritons pas. C’est bien par amour que nous sommes sauvés et pas en fonction de nos mérites !
Combat, sainteté et salut
Le mot a été prononcé à plusieurs reprises et il est central dans le combat spirituel : ce qui est en jeu n’est rien de moins que le salut ! Quand on lit le §35 de Gaudete et Exsultate, la note 35 du bas de la page doit attirer immédiatement notre attention ; elle est tirée de la lettre Placuit Deo sur certains aspects du salut chrétien (promulguée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 22 février 2018). Les deux hérésies y sont nommément présentes : « L’individualisme néo-pélagien et le mépris néo-gnostique du corps défigurent la confession de foi au Christ, Sauveur unique et universel ».
Que ce soit le gnosticisme qui exalte une prétendue connaissance réservée à quelques-uns et qui fait fi du corps ou le pélagianisme qui promeut la force de la volonté humaine méritoire, les deux défigurent la compréhension chrétienne du salut.
Nous pouvons nous redire quelles sont les principales caractéristiques du salut chrétien :
- Le salut est à la fois une guérison (de la blessure du péché originel) et une élévation car il nous introduit à la filiation divine (à nouveau résonne le sacrement du baptême).
- La bonne nouvelle du salut a un nom et un visage : Jésus Christ, Fils de Dieu sauveur. « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision d’ordre éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et, par-là, son orientation décisive » (Benoît XVI, Deus caritas est, §1). Le salut n’advient donc pas de manière purement intérieure mais par la médiation de l’incarnation du Verbe : Jésus Christ a assumé et a sauvé tout l’homme, corps et âme. La chair est sauvée, contrairement à ce que les gnostiques voudraient enseigner.
- Le salut répond à l’aspiration la plus profonde de l’homme : « Tu nous as faits pour toi et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure pas en Toi » disait Augustin dans ses Confessions.
- Le salut est un don gratuit que nous offre le Dieu Trinité : nul ne mérite le salut, il est offert.
- Le salut ne fait acception de personne : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4-5).
- Ce salut est à accepter dans le temps de notre vie terrestre et suppose que notre liberté soit engagée dans la réponse : « Dieu, qui nous crée sans nous, ne nous justifie (=sauve) pas sans nous » (Augustin, sermon 169).
- Ce salut s’inscrit dans la ligne du salut vétérotestamentaire : il est l’accomplissement d’une histoire d’alliance.
- Enfin ce salut est pleinement vécu dans la médiation de l’Église.
Il ne peut donc être question d’enfermer le salut dans une connaissance quelconque ; de le subordonner à nos actions – aussi méritantes soient-elles ! – ; de le monnayer à certains privilégiés au détriment de tous. Et nous sommes tous responsables de l’annonce de ce salut-là !
D’autant plus que dans notre monde se pose de nouveau de manière urgente pour nos contemporains la question du sens de l’existence et donc d’un salut quand on annonce la fin de la planète (défis écologiques) et un changement de paradigme inédit de l’identité de l’homme (défis bioéthiques)
Les attitudes et postures en catéchèse et catéchuménat qui nous gardent de ces hérésies
Ces hérésies évoquées, les formes qu’elles prennent et que nous avons mis en évidence peuvent peut-être effrayer car, avec humilité, nous reconnaissons certaines tentations qui nous guettent en permanence. Pour lutter efficacement contre ces deux maux, et mener avec succès ce combat spirituel, nous proposons maintenant d’évoquer rapidement les postures, attitudes que nous pouvons cultiver, dans nos vies de baptisés et de mission.
- L’humilité : cette force qui nous anime et nous empêche d’enfermer la connaissance du mystère dans une suite de mots, d’énoncés plus ou moins accessibles et compréhensibles. Cette qualité qui nous autorise à nous reconnaître l’objet d’un don gratuit de la part du Seigneur ‘
- La vie fraternelle et communautaire : c’est en s’appuyant les uns sur les autres, en s’écoutant mutuellement que nous progressons dans notre chemin de sainteté. Par nos propres forces, nous ne pouvons rien et risquons de tomber. « Car en chaque frère, spécialement le plus petit, fragile, sans défense et en celui qui est dans le besoin, se trouve présente l’image même de Dieu » (GE §62)
- La vie de prière : l’abandon dans les bras du Seigneur lui donne l’occasion de nous porter et de mener à bien la mission confiée. « Il faut d’abord appartenir à Dieu. Il s’agit de nous offrir à celui qui nous devance, de lui remettre nos capacités, notre engagement, notre lutte contre le mal et notre créativité, pour que son don gratuit grandisse et se développe en nous : ‘Je vous exhorte, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu’ (Rm 12, 1) » (GE §56).
- La confiance en l’Esprit Saint.
- La charité « qui rend possible la croissance dans la vie de la grâce car « si je n’ai pas la charité, je ne suis rien’ (1 Co 13, 2) » (GE §54).
- La formation, qui n’est jamais optionnelle dans la vie d’un chrétien. Il y a toujours à grandir dans son baptême, donc à se laisser modeler, former comme l’exprime Isaïe 42 « Je te saisis par la main, je te façonne ».
- La posture d’aîné dans la foi qui suppose de reconnaître que l’autre, fut-il en chemin en me sollicitant comme accompagnateur, a quelque chose à m’apprendre, à me faire connaitre, à me révéler de la part de Dieu : une question, une attitude, une remarque, un silence, …
- …
La beauté de la lutte
Nous l’avons compris, qui dit vie chrétienne, qui dit baptême et chemin de sainteté dit combat. En ces temps qui sont les nôtres, le pape François nous le rappelle. En même temps il est un mot, une thématique que le pape François aborde sans cesse – cela n’aura échappé à personne – c’est la question de la joie chrétienne. Pour lui, la condition du disciple-missionnaire est intimement liée la joie. Il y a quelque chose de programmatique chez lui. Il en fait le titre même de son premier grand document pontifical, La joie de l’Évangile et va sans cesse approfondir ce fruit dont nous parle Paul dans la lettre aux Galates au chapitre 5 : La joie de l’amour, La joie de la vérité, Réjouissez-vous et exultez.
Nous venons d’entendre dans l’évangile de dimanche, à l’occasion de la solennité du Baptême du Seigneur, la joie de Dieu lui-même qui exprime au sujet de Jésus : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma joie ». Il y a donc une joie de Dieu pour nous également quand l’acte du baptême produit en nous la filiation. Et nous avons entendu plus haut qu’il y a quelque chose là du salut. Déjà le peuple de l’Ancienne Alliance avait discerné, contemplé et ressenti cette joie de Dieu qui voit que ce qu’il créé est bon. L’homme partage quelque chose de cette joie de Dieu : sentiment exaltant ressenti par toute la personne en plénitude, une exaltation de la conscience, une émotion profonde.
Dans la révélation chrétienne : c’est à travers ce que Dieu fait pour nous que nous pouvons expérimenter ce qu’est la joie. Ainsi le peuple d’Israël découvre ce que Dieu fait pour lui dans la libération du peuple d’Égypte. Cet acte fondateur lui donne son identité. Un des fruits de la présence de Jésus est la joie. Et Jésus s’exprime ainsi : « Je veux que ma joie soit en vous et qu’elle soit parfaite ». Saint François d’Assise, dont nous avons déjà évoqué le nom plus haut, nous parle de cette joie parfaite. Elle n’est pas la conséquence de l’exercice d’une méthode Coué. Elle est le résultat d’une expérience de rencontre et de vie avec le Christ qui n’exclue ni n’empêche le combat, les combats humains, anthropologiques, les combats spirituels, dans la progression sur le chemin de la sainteté. Oui il y a bien une joie spécifique liée à la vie chrétienne. Il s’agit de cette joie infusée en nous par Dieu, dans l’Esprit Saint, de cette joie qui est le fruit de la rencontre avec le Christ, de cette joie partagée avec le Christ. Elle est le fruit de ces vertus théologales liées au baptême : la foi l’espérance et la charité.
En fêtant le baptême du Seigneur, nous sommes à nouveau invités à entrer dans la joie du Salut, dans la joie de notre salut. Entrer dans la joie du salut, c’est entrer dans la libération qui est la source de la joie que l’homme expérimente à la fin d’une guerre par exemple.
L’histoire de la spiritualité nous montre combien joie et beauté de la lutte dans la vie spirituelle sont liés. Il y une joie paradoxale liée au combat spirituel. Pensons à Mère Térésa dans sa nuit de la foi et qui écrivait : « La meilleure manière de montrer notre gratitude envers Dieu et les gens c’est d’accepter tout avec joie. Être heureux avec lui, maintenant, cela veut dire : aimer comme il aime, aider comme il aide, donner comme il donne, servir comme il sert, sauver comme il sauve, être avec lui 24 heures par jour, le toucher avec Son déguisement de misère dans les pauvres et dans ceux qui souffrent. Un cœur joyeux est le résultat normal d’un cœur brûlant d’amour. C’est le don de l’Esprit, une participation à la joie de Jésus vivant dans l’âme. Gardons dans nos cœurs la joie de l’amour de Dieu et partageons cette joie de nous aimer les uns les autres comme Il aime chacun de nous. Que Dieu nous bénisse. Amen ».
Déjà le pape Jean-Paul II parlait de la joie dans son l’exhortation apostolique « La catéchèse en notre temps ». Il donne pour titre au chapitre VIII : « La joie de la foi dans un monde difficile ». Il écrit au numéro 56 : « Nous vivons dans un monde difficile ou l’angoisse de voir les meilleures créations de l’homme lui échapper et se tourner contre lui engendre un climat incertain. C’est dans ce monde que la catéchèse doit aider les chrétiens à être, pour leur joie et pour le service de tous, “lumière” et “sel”1. » Dans un article consacré à son livre « Benoît XVI, Théologien de la joie », Mgr Murphy écrit : « J’ai remarqué que la joie était très présente dans toute l’œuvre de Ratzinger. C’est vraiment le genre de message que les gens aujourd’hui, avec toutes leurs questions et leurs difficultés, ont besoin d’entendre encore. De plus, cette façon de présenter le message chrétien pourrait surmonter l’indifférence ou le découragement qui touche de nombreux membres de l’Église et rallumer leur enthousiasme et leur amour pour la foi ».
Mais qu’en est-il pour la catéchèse ?
La catéchèse a-t-elle pris en considération ces réflexions et cette insistance sur la joie ? Déjà Augustin dans La catéchèse des débutants insistait sur le lien entre catéchèse et joie. Le titre de la Constitution Gaudium et Spes n’a pas été repris dans les documents catéchétiques, comme des éléments structurants. Dans la réception de Gaudium et Spes, qui pourrait concerner directement l’action catéchétique, nous ne constatons pas un point d’insistance ou une donnée programmatique. Comme si c’était plutôt l’angoisse ou l’acédie qui l’avait emporté.
Dans La joie de l’Évangile2, on ne peut dissocier la question de la joie de celle de la nouvelle évangélisation. Dès le début de son exhortation apostolique, François indique que le but de cette dernière est d’inviter les chrétiens à une nouvelle évangélisation : « Je m’adresse aux fidèles chrétiens, pour les inviter à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie et indiquer des voies pour la marche de l’Église dans les prochaines années ». D’emblée, on peut donc dire que pour le pape François, l’Église, à l’intérieur même du processus de nouvelle évangélisation, est arrivée à une « nouvelle étape » et que cette nouvelle étape ne peut pas faire l’économie de la joie, puisqu’elle est « marquée par cette joie ».
Dans la lecture suivie, le pape va préciser la posture de l’évangélisateur, ou de celui qui souhaite que l’Évangile soit annoncé. Et l’on voit bien que cette posture ne peut pas (non plus) faire l’économie de la joie : « Un évangélisateur ne devrait pas avoir constamment une tête d’enterrement. » L’évangélisation est « une réponse joyeuse à l’amour de Dieu qui nous confie la mission et nous rend complets et féconds » (81). Ces exemples peuvent être résumés dans cette phrase insistante et sans détour du Pape : « Ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation » (83). « Soyons réalistes, mais sans perdre la joie…» (109). Il note la diversité culturelle et l’harmonie dans l’Esprit Saint : « L’évangélisation reconnaît avec joie ces multiples richesses que l’Esprit engendre dans l’Église. » (117)
C’est dans cette exhortation que le pape François parle de la catéchèse et en donne sa définition. Il rappelle l’importance de la première annonce, et, liée à la proclamation de celle-ci, la formation et la maturation dont la catéchèse a reçu la tâche. Pour lui, selon les enseignements des documents magistériels pour la catéchèse, le kérygme a un rôle fondamental : il doit être « au centre de l’activité évangélisatrice et de tout objectif de renouveau ecclésial ».
Notons ici un combat à mener sans cesse : celui de l’annonce du kérygme en catéchèse et en catéchuménat, sans quoi nous risquerions d’entrer dans les deux grandes hérésies dénoncées par le pape François.
Dans le domaine de la catéchèse, comment ne pas entendre ces mots près de cent ans après, et soixante ans après le concile Vatican II ? Jungmann émet la thèse suivante : « Il ne s’agit pas d’acquérir un savoir sur beaucoup de choses, mais de cerner le centre, qui se trouve derrière la quantité d’éléments. Cela dépend de ce que, dans la présentation de la doctrine de la foi, la totalité puisse apparaître sans cesse des parties… et cela dépend de ce que cette vision de l’ensemble rentre dans l’âme de celui qui voit, comme une nouvelle lumière et une force qui pousse à conformer chrétiennement la vie3. »
Chez François, la joie, le renouveau catéchétique, le kérygme semblent être trois éléments interdépendants d’une nouvelle évangélisation. Une évangélisation qui assume le tournant conciliaire d’une Église qui se fait dialogue et conversation, dans le déploiement d’une pédagogie de cheminement et donc d’initiation. Pour la catéchèse il s’agit de favoriser les conditions d’une rencontre avec le Christ4.
En conclusion : courage, et … à vos armes baptisés ! Ces armes dont nous parle Paul et que nous verrons demain, après le combat du réveil et de l’oreiller si possessifs le jeudi matin. Mais surtout retenons et méditons cette phrase qui a été le titre même de cette session tirée de la lettre de Jacques : « Tenez pour une joie suprême mes frères, d’être en butte à toutes sortes d’épreuves. »
P. Christophe Sperissen et Isabelle Perrier, SNCC
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1. Jean-Paul II, La catéchèse en notre temps, exhortation apostolique Catechesi tradendae du 16 octobre 1979, Le Centurion, 1979, p.87
2. Pape François, La Joie de l’Évangile, Exhortation Apostolique, Bayard/Cerf/Mame, 2013.
3. Ibid, page 17.
4. « Cette joie diffuse, présente dans toutes les paroles et les actes du Pape François, n’est pas simple émotion ou une gaieté forcée. C’est accueillir en partage l’essence même de Dieu, la joie délicieuse de la Trinité, la joie mutuelle de ses trois personnes ». Timothy RADCLIFFE, Joie, in Pape François, Lexique, Editions du Cerf, Paris, 2018, 211.